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pourra les employer à former des avenues, à faire du couvert, ou à garnir des bosquets. Ces arbres, ainsi que le chêne & le noyer, ne gagnent jamais à la transplantation, qu’il faut éviter au contraire si l’on se propose de les laisser croître en futaie ; parce que le chataigner a le pivot plus gros & plus long qu’aucun autre arbre ; & comme il craint de plus le retranchement des branches un peu grosses, on doit se dispenser autant qu’il se peut de les étêter en les transplantant.

Greffe. Si l’on veut cultiver le chataigner pour en avoir de meilleur fruit, il faut le greffer ; & alors on l’appelle marronnier. La façon la plus en usage d’y procéder, a été pendant long-tems la greffe en flûte ; parce qu’en effet cette greffe réussit mieux sur le chataigner que sur aucun autre arbre : mais comme l’exécution en est difficile & souvent hasardée, la greffe en écusson est à présent la plus usitée pour cet arbre, sur lequel elle réussit mieux à la pousse qu’à œil dormant. On peut aussi y employer la greffe en fente, qui profite très-bien quand elle reprend ; mais cela arrive rarement.

Le chataigner peut encore se multiplier de branches couchées ; cependant on ne se sert guere de ce moyen, que pour se procurer des plants d’arbres étrangers de son espece.

Usages du bois. C’est un excellent bois de charpente & le meilleur de tous après le chêne, dont il approche néanmoins de fort près pour la masse, le volume, & la qualité du bois, quoique blanc & d’une dureté médiocre ; on y distingue tout de même le cœur & l’aubier. Pour bien des usages, il est aussi bon que le meilleur chêne ; & pour quelques cas, il est même meilleur, comme pour des vaisseaux à contenir toutes sortes de liqueurs : car quand une fois il est bien saisonné, il a la propriété de se maintenir au même point sans se gonfler ni se gerser, comme font presque tous les autres bois. Celui du chataigner est d’un très-bon usage pour toutes sortes de gros & menus ouvrages ; on l’employe à la menuiserie, on en fait de bon mairrein, des palissades, des treillages, & des échalas pour les vignes, qui étant mis en œuvre même avec leur écorce, durent sept ans, au lieu que tout autre bois ne s’y soûtient que la moitié de ce tems : on en fait aussi des cercles pour les cuves & les tonneaux ; on s’en sert pour la sculpture ; enfin on peut l’employer à faire des canaux pour la conduite des eaux : il y résiste plus long-tems que l’orme & que bien d’autres arbres. Mais ce bois n’est pas comparable à celui du chêne pour le chauffage, pour la qualité du charbon, & encore moins pour celle des cendres. Le bois du chataigner petille au feu, & rend peu de chaleur ; son charbon s’éteint promptement, ce qui a néanmoins son utilité pour les ouvriers qui se servent des forges ; & si on employe ses cendres à la lessive, le linge en est taché sans remede.

Chataignes. Le fruit de cet arbre est d’une très grande utilité ; le climat contribue beaucoup à lui donner de la qualité, & sur-tout de la grosseur. Les chataignes de Portugal sont plus grosses que les nôtres, & celles d’Angleterre sont les plus petites. On prétend que pour qu’elles se conservent long-tems, il faut les abattre de l’arbre avant qu’elles tombent d’elles-mêmes. La récolte n’en est pas égale chaque année ; ces arbres ne produisent abondamment du fruit que de deux années l’une : on le conserve en le mettant par lits dans du sable bien sec, dans des cendres, dans de la fougere, ou en le laissant dans son brou. Les montagnards vivent tout l’hyver de ce fruit, qu’ils font sécher sur des claies & qu’ils font moudre après l’avoir pelé pour en faire du pain, qui est nourrissant, mais fort lourd & indigeste. Voyez ci-après Chataignes.

Feuilles. Une belle qualité de cet arbre, c’est qu’il n’est nullement sujet aux insectes, qui ne touchent point à ses feuilles tant qu’ils trouvent à vivre sur celles des autres arbres ; apparemment parce que la feuille du chataigner est dure & seche, ou moins de leur goût. Les pauvres gens des campagnes s’en servent pour garnir des lits au lieu de plume ; & quand on les ramasse aussitôt qu’elles sont tombées de l’arbre & avant qu’elles soient mouillées, on en fait de bonne litiere pour le bétail.

On connoît encore d’autres especes de cet arbre, & quelques variétés.

Le marronnier n’est qu’une variété occasionnée par la greffe, qui perfectionne le fruit en lui donnant plus de grosseur & plus de goût : du reste l’arbre ressemble au chataigner. Les marronniers ne réussissent bien en France que dans les montagnes de la partie méridionale, comme dans les Cévennes, le Vivarès, & le Dauphiné, d’où on les porte à Lyon ; c’est ce qui les fait nommer marrons de Lyon. Voyez Marron.

Le marronnier à feuilles panachées ; c’est un fort bel arbre dans ce genre, pour ceux qui aiment cette sorte de variété, qui n’est occasionnée que par une espece de maladie de l’arbre ; aussi ne s’éleve-t-il dans cet état jamais autant que les autres marronniers. On peut le multiplier par la greffe en écusson, & encore mieux en approche sur le chataigner ordinaire. Il lui faut un terrein sec & leger pour faire durer la bigarrure de ses feuilles, qui fait tout son mérite : car dans un meilleur terrein, l’arbre reprend sa vigueur, & le panaché disparoît peu-à-peu.

Le petit chataigner à grappes : on croit que ce n’est qu’une variété accidentelle du chataigner ordinaire, & non pas une espece distincte & constante. Miller dit, qu’il ne vaut pas la peine d’être cultivé ; & au rapport de Ray, sa chataigne qui n’est pas plus grosse qu’une noisette, est de mauvais goût.

Le chataigner de Virginie ou le chinkapin. Le chinkapin, quoique très-commun en Amérique, est encore fort rare, même en Angleterre, où cependant on est si curieux de faire des collections d’arbres étrangers : aussi je n’en parlerai que d’après Catesby & Miller ; ce n’est pas que cet arbrisseau soit délicat, ou absolument difficile à élever : mais sa rareté vient du défaut de précaution dans l’envoi des graines, qu’on néglige de mettre dans du sable, pour les conserver pendant le transport. Le chinkapin s’éleve rarement en Amérique à plus de seize piés, & pour l’ordinaire il n’en a que huit ou dix ; il prend par proportion plus de grosseur que d’élévation : on en voit souvent qui ont deux piés de tour. Il croît d’une façon fort irréguliere ; son écorce est raboteuse & écaillée ; ses feuilles d’un verd foncé en-dessus & blanchâtres en-dessous, sont dentelées & placées alternativement : elles ressemblent d’ailleurs à celles de notre chataigner, si ce n’est qu’elles sont beaucoup plus petites. Il porte au printems des chatons assez semblables à ceux du chataigner ordinaire. Il produit une très-grande quantité de chataignes d’une figure conique, de la grosseur des noisettes, & de la même couleur & consistance que les autres chataignes ; l’arbrisseau les porte par bouquets de cinq ou six qui pendent ensemble, & qui ont chacune leur enveloppe particuliere : elles murissent au mois de Septembre, elles sont douces & de meilleur goût que nos chataignes ; les Indiens qui en font grand usage, les ramassent pour leur provision pendant l’hyver. Le chinkapin est si robuste, qu’il résiste en Angleterre aux plus grands hyvers en pleine terre ; il craint au contraire les grandes chaleurs qui le font périr, sur-tout s’il se trouve dans un terrein fort sec : il se plaît dans celui qui est médiocrement humide ; car si l’eau y séjournoit