cieux dépôt de la doctrine, & firent tous leurs efforts pour le transmettre fidellement à des successeurs qui pourroient un jour voir renaître la Chirurgie : leur zele n’oublia rien. Parmi cette troupe d’hommes avec qui ils étoient confondus, ils trouverent dans quelques-uns des teintures des lettres, prises dans une heureuse éducation ; dans d’autres, des talens marqués pour réparer, dans un âge avancé, le malheur d’une éducation négligée ; & dans tous enfin, le zele le plus vif pour la conservation d’un art qui étoit devenu le leur.
Ce fut ainsi que la Chirurgie se maintint dans la possession de la théorie. Ce fut le fruit des sentimens que ces peres de l’art, restes de l’ancienne Chirurgie, sûrent inspirer à leurs nouveaux associés. Mais cette possession n’étoit pas une possession d’état, une possession publique autorisée par la loi ; c’étoit une possession de fait, une possession furtive, qui dès lors ne pouvoit pas long-tems se soûtenir. La séparation de la théorie, d’avec les opérations de l’art, étoit la suite infaillible de cet état, & la Chirurgie se voyoit par-là sur le penchant de sa ruine. On sentit même plus que le présage de cette décadence, & l’on ne doit point en être surpris ; car les dictées & les lectures publiques étant interdites, on n’avoit d’autre moyen que la tradition pour faire passer aux éleves les connoissances de la Chirurgie ; & l’art dut nécessairement se ressentir de l’insuffisance de cette voie, pour transmettre ses préceptes.
La perte de la Chirurgie étoit donc assûrée : il ne falloit rien moins pour prévenir ce malheur, qu’une loi souveraine qui rappellât cet art dans son état primitif. L’établissement de cinq démonstrateurs royaux en 1724, pour enseigner la théorie & la pratique de l’art, la fit espérer : bientôt après, elle parut comme prochainement annoncée (en 1731) par la formation de l’académie royale de Chirurgie dans le corps de S. Côme ; & ce fut enfin l’impression du premier volume des mémoires de cette nouvelle compagnie, qui amena l’instant favorable où il plut au Roi de prononcer. Voici les propres termes de cette loi mémorable, qui non-seulement prévint en France la chûte de la Chirurgie, mais qui en assûre à jamais la conservation & les progrès, en fermant pour toûjours les voies par lesquelles on avoit pensé conduire la Chirurgie à sa perte.
Après avoir déclaré d’abord que la Chirurgie est reconnue pour un art savant, pour une vraie science qui mérite les distinctions les plus honorables, la loi ajoûte : « Que l’on en trouve la preuve la moins équivoque dans un grand nombre d’ouvrages sortis de l’école de S. Côme, où l’on voit que depuis long-tems les Chirurgiens de cette école ont justifié par l’étendue de leurs connoissances, & par l’importance de leurs découvertes, les marques d’estime & de protection que les rois prédécesseurs ont accordées à une profession si importante pour la conservation de la vie humaine : mais que les Chirurgiens de robe longue qui en avoient été l’objet, ayant eu la facilité de recevoir parmi eux, suivant les lettres patentes du mois de Mars 1656, enregistrées au parlement, un corps entier de sujets illittérés, qui n’avoient pour partage que l’exercice de la Barberie, & l’usage de quelques pansemens aisés à mettre en pratique ; l’école de Chirurgie s’avilit bientôt par le mêlange d’une profession inférieure, ensorte que l’étude des lettres y devint moins commune qu’elle ne l’étoit auparavant : mais que l’expérience a fait voir combien il étoit à desirer, que dans une école aussi célebre que celle des Chirurgiens de S. Côme, on n’admît que des sujets qui eussent étudié à fond les principes d’un art dont le véritable objet est de chercher, dans la pratique précédée de la théorie, les regles
les plus sûres qui puissent résulter des observations & des expériences. Et comme peu d’esprits sont assez favorisés de la nature pour pouvoir faire de grands progrès dans une carriere si pénible, sans y être éclairés par les ouvrages des maîtres de l’art, qui sont la plûpart écrits en Latin, & sans avoir acquis l’habitude de méditer & de former des raisonnemens justes par l’étude de la Philosophie ; Nous avons reçû favorablement les représentations qui nous été faites par les Chirurgiens de notre bonne ville de Paris, sur la nécessité d’exiger la qualité de maître-ès-arts de ceux qui aspirent à exercer la Chirurgie dans cette ville, afin que leur art y étant porté par ce moyen à la plus grande perfection qu’il est possible, ils méritent également par leur science & par leur pratique, d’être le modele & les guides de ceux qui, sans avoir la même capacité, se destinent à remplir la même profession dans les provinces & dans les lieux où il ne seroit pas facile d’établir une semblable loi ».
Exposer les dispositions de cette favorable déclaration, c’est en démontrer la sagesse. Les Chirurgiens souffrirent neanmoins à son occasion des contradictions de toute espece. Cette loi les lavoit de l’ignominie qui les couvroit : en rompant le contrat d’union avec les Barbiers, elle rendoit les Chirurgiens à l’état primitif de leur art, à tous les droits, priviléges, prérogatives dont ils jouissoient par l’autorité des lois avant cette union. La faculté de Medecine disputa aux Chirurgiens les prérogatives qu’ils vouloient s’attribuer, & elle voulut faire regarder le rétablissement des lettres dans le sein de la Chirurgie, comme une innovation préjudiciable au bien public & même aux progrès de la Chirurgie. L’université s’éleva contre les Chirurgiens, en reclamant le droit exclusif d’enseigner. Les Chirurgiens répondirent à toutes les objections qui leur furent faites. Ils prouverent contre l’université, qu’une possession fondée sur une législation constante les autorisoit à donner par-tout où bon leur sembleroit, des leçons publiques de l’art & science de Chirurgie ; qu’ils avoient toûjours joüi pleinement du droit d’enseigner publiquement dans l’université ; que la Chirurgie étant une science profonde & des plus essentielles, elle ne pouvoit être enseignée pleinement & sûrement que par les Chirurgiens ; & que les Chirurgiens ayant toûjours été de l’université, l’enseignement de cette science avoit toûjours appartenu à l’université.
De-là les Chirurgiens conclurent que l’université, pour conserver ce droit, qu’ils ne lui contestoient pas, avoit tort de s’élever contre la déclaration du Roi, qui en maintenant les Chirurgiens (obligés dorénavant à être maîtres-ès-arts) dans la possession de lire & d’enseigner publiquement dans l’université, lui conservoit entierement son droit. Ils ajoûterent que si l’université refusoit de reconnoître le collége & la faculté de Chirurgie, comme faisant partie d’elle-même, elle ne pourroit encore faire interdire aux Chirurgiens le droit d’enseigner cette science, étant les seuls qui soient reconnus capables de l’enseigner pleinement ; & que l’université voudroit en vain dans ce cas opposer aux lois, à l’usage, & à la raison, son prétendu droit exclusif d’enseigner, puisqu’elle ne peut se dissimuler que ce droit, qu’elle tient des papes, a été donné par nos rois, seuls arbitres du sort des sciences, à différens colléges qui enseignent, hors de l’université, des sciences que l’université enseigne elle-même.
Ces contestations, qui furent longues & vives, & dans le cours desquelles les deux principaux partis se livrerent sans doute à des procédés peu mesurés, pour soûtenir leurs prétentions respectives, sont enfin terminées par un arrêt du conseil d’état du