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coup le tems de la plus grande maturité, avant que de les piler pour les cidrer ; les pommes dures au contraire se pilent vertes. On juge du progrès de la maturité des pommes entassées dans les greniers, par l’accroissement de l’odeur qu’elles exhalent : quand cette odeur a pris un degré de force que la seule expérience apprend à connoître, il est tems de faire le cidre, & de porter le fruit à la pile.

Voici la construction de la pile : imaginez une auge circulaire de pieces de bois rapportées à deux meules de bois semblables à celles d’un moulin à blé, mais différemment posées ; celles du moulin à blé sont horisontales, celles de la pile à cidre sont verticales dans leur auge : elles sont appliquées contre une piece de bois verticale, mobile sur elle-même, & placée au centre de l’espace circulaire de l’auge ; un long essieu les traverse ; cet essieu est assemblé avec l’axe vertical ; son autre extrémité s’étend au-delà de l’auge ; on y attele un cheval ; ce cheval tire l’essieu en marchant autour de l’auge, & fait mouvoir en même tems les meules dans l’auge, où les pommes dont on l’a remplie sont écrasées. Lorsqu’on les juge convenablement écrasées, c’est-à-dire assez pour en pouvoir tirer tout le jus, on les prend avec une pelle de bois, & on les jette dans une grande cuve voisine. On écrase autant de pommes qu’il en faut pour faire un marc.

Les meules de bois sont meilleures que celles de pierre. Il faut que l’auge soit bien close, & que les pieces en soient bien assemblées, pour que rien ne se perde. Ceux qui n’ont pas de grandes piles à meules tournantes, se servent de pilons & de massues, dont ils pilent le fruit à force de bras.

Alors on travaille à asseoir le marc sur l’émoi du pressoir. Le pressoir est composé d’un gros sommier de bois qui s’appelle la brebis, de vingt-quatre à vingt-huit piés de longueur, posé horisontalement sur le terrein, & d’un arbre appellé le mouton, de pareille figure, & élevé parallélement sur la brebis : le mouton est soûtenu au bout le moins gros par une forte vis de bois, dont l’autre extrémité se rend pareillement au bout le moins gros de la brebis. Au milieu de la longueur de ces deux arbres il y a deux jumelles, & à leur gros bout deux autres jumelles : ce sont quatre pieces de bois plates, arrêtées fixement par le bout d’en-bas à la brebis, & par en-haut à des traverses qui les tiennent solidement unies, & les empêchent de s’écarter. Le mouton hausse & baisse entre les quatre jumelles, & toûjours à-plomb sur la brebis. On a une traverse que l’on met à la main sous le mouton dans les ceux jumelles du côté de la vis, où on les a disposées à la recevoir & à la soûtenir : à l’aide de cette traverse on fait hausser & baisser en bascule le gros bout du mouton. Pour les jumelles de derriere on a des morceaux de bois qu’on appelle clés ; ces clés servent soit à supporter, soit à faire presser le mouton.

On établit entre les quatre jumelles sur la brebis un fort plancher de bois, qu’on appelle le chassis d’émoi ; ce plancher a un rebord de quatre pieces de bois qu’on nomme roseaux d’émoi ; ce rebord contient le jus de la pomme ; il ne peut s’écouler que par un endroit qu’on appelle le beron, d’où il tombe dans une petite cuve.

On éleve perpendiculairement sur l’émoi le marc des pommes, par lits de trois ou quatre pouces d’épaisseur, séparés par des couches de longue paille ou par des toiles de crin, jusqu’à la hauteur de quatre à cinq piés. Le marc ainsi disposé a la forme d’une pyramide tronquée & quarrée.

Quand le marc est mis en motte de cette forme, il y a au-dessous du mouton un plancher qui lui est attaché, qui est de la grandeur de celui qui porte le marc, & qu’on nomme le hec : par le moyen de

la vis qui est au bout de la brebis & du mouton, on fait descendre le mouton ; le hec est fortement appliqué sur le marc, & la pression en fait sortir le jus.

On laisse quelque tems la motte affaissée sous le hec avant que de le relever : quand le jus n’en coule plus guere, on desserre le pressoir, on taille la motte quarrément avec le couteau à pressoir, qui est un grand fer recourbé & emmanché de bois, on charge les recoupes sur la motte, & l’on continue à pressurer, recoupant & chargeant jusqu’à ce que le marc soit épuisé.

Au bas de la vis du pressoir il y a un bâti de bois placé horisontalement sur la brebis, & embrassant la vis ; ce bâti est une espece de roue dont les bras sont des leviers ; il y a des chevilles sur la gente de cette roue ; on prend ces chevilles à la main, on tourne la vis ; le mouton descend d’autant plus, & presse le marc d’autant plus fortement.

A mesure que la petite cuve qui est sous le beron de l’émoi se remplit, on prend le cidre & on l’entonne. L’entonnoir est garni d’un tamis de crin qui arrête les parties grossieres de marc qui se sont mêlées au cidre. On ne remplit pas exactement les tonneaux, on y laisse la hauteur de quatre pouces de vuide ; on les descend dans la cave, où on les laisse ouverts, car la fermentation du cidre est violente : là le cidre fermente & se clarifie ; une partie de la lie est précipitée au fond, une autre est portée à la surface ; celle-ci s’appelle le chapeau.

Si l’on veut avoir du cidre fort, on le laisse reposer sur sa lie, & couvert de son chapeau : si on le veut doux, agréable, & délicat, il faut le tirer au clair lorsqu’il commence à grater doucement le palais ; ce cidre s’appelle cidre paré. Pour lui conserver sa qualité, on lui ajoûte un sixieme de cidre doux au sortir de l’émoi ; cette addition excite une seconde fermentation legere, qui précipite au fond du tonneau un peu de lie, & porte à la surface de la liqueur un leger chapeau.

Quand on a tiré le jus du marc qui est sur l’émoi, on enleve le marc, & on le remet à la pile avec une quantité suffisante d’eau ; on broye le marc avec l’eau, & l’on reporte le tout à un pressoir où il rend le petit cidre, qui est la boisson ordinaire du menu peuple. Le premier suc s’appelle le gros cidre.

Le petit cidre est d’autant meilleur que le marc a été moins pressuré. Il paye ordinairement les frais de la cueillette. Le marc de quatre gros muids de cidre donne deux muids de petit cidre. Il y a donc du profit à avoir à soi un pressoir, parce que le marc reste au propriétaire du pressoir, avec le prix qu’on fait par motte quand on pressure chez les autres. Quand le marc est tout-à-fait sec, il sert encore d’engrais aux cochons & aux arbres, ou on le brûle.

Quand le cidre a séjourné assez long-tems dans les futailles pour y prendre le goût agréable qu’on lui veut, on le colle comme le vin, & on le met en bouteilles.

Le bon cidre doit être clair, ambré, agréable au goût & à l’odorat, & piquant. Il y en a qui se garde jusqu’à quatre ans. Les cidres legers ne passent gueres la premiere année.

Il faut communément trente-six boisseaux ou six mines de pommes, pour faire un muid de cent-soixante-huit pots de cidre. On dit que les meilleurs cidres sont sujets à la cappe, ou à une espece de croûte qui se forme à leur surface, & qui venant à se briser quand le tonneau est à la barre, met tout le reste du cidre en lie. Cette croûte ne se brisant que quand le tonneau est à la barre, il y a de l’apparence qu’il faut attribuer cet accident à l’extrème fragilité de la cappe, & à la diminution de la surface horisontale du ton-