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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/707

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besoins ou de nécessités que les hommes se sont imposées ; l’industrie en est le fruit & le soûtien tout à la fois : chaque chose qui peut être communiquée à un homme par un autre pour son utilité ou pour son agrément, est la matiere du Commerce ; il est juste de donner un équivalent de ce que l’on reçoit. Telle est l’essence du Commerce, qui consiste dans un échange ; son objet général est d’établir l’abondance des matieres nécessaires ou commodes ; enfin son effet est de procurer à ceux qu’il occupe les moyens de satisfaire leurs besoins.

La communication générale entre les hommes répandus sur la terre, suppose l’art de traverser les mers qui les séparent, ou la navigation : elle fait un nouveau genre d’industrie & d’occupation entre les hommes. Voyez Navigation.

Les hommes étant convenus que l’or & l’argent seroient le signe des marchandises, & depuis ayant inventé une représentation des métaux mêmes, ces métaux devinrent marchandise ; le commerce qui s’en fait est appellé commerce d’argent ou du change. Voy. Change.

Les peuples intelligens qui n’ont pas trouvé dans leurs terres dequoi suppléer aux trois especes de besoins, ont acquis des terres dans les climats propres aux denrées qui leur manquoient ; ils y ont envoyé une partie de leurs hommes pour les cultiver, en leur imposant la loi de consommer les productions du pays de la domination. Ces établissemens sont appellés colonies. Voyez Colonie.

Ainsi l’Agriculture, les Manufactures, les Arts libéraux, la Pêche, la Navigation, les Colonies, & le Change, forment sept branches du Commerce : le produit de chacune n’est point égal, mais tous les fruits en sont précieux.

Lorsque le Commerce est considéré par rapport à un corps politique, son opération consiste dans la circulation intérieure des denrées du pays ou des colonies, l’exportation de leur superflu, & l’importation des denrées étrangeres, soit pour les consommer, soit pour les réexporter.

Lorsque le Commerce est considéré comme l’occupation d’un citoyen dans un corps politique, son opération consiste dans l’achat, la vente, ou l’échange des marchandises dont d’autres hommes ont besoin, dans le dessein d’y faire un profit.

Nous examinerons le Commerce sous ces deux points de vûe particuliers : mais auparavant il est bon de connoître comment il s’est établi dans le monde, & les diverses révolutions qu’il a essuyées.

D’aprés l’idée générale que nous venons d’en donner, il est constant qu’il a dû exister dès que la terre a eu des habitans : sa premiere époque a été le partage des différentes occupations entr’eux.

Caïn cultivoit la terre, Abel gardoit les troupeaux ; depuis, Tubalcaïn donna des formes au fer & à l’airain : ces divers arts supposent des échanges.

Dans les premiers tems ces échanges se firent en nature, c’est-à-dire que telle quantité d’une denrée équivaloit à telle quantité d’une autre denrée : tous les hommes étoient égaux, & chacun par son travail se procuroit l’équivalent des secours qu’il attendoit d’autrui. Mais dans ces années d’innocence & de paix, on songeoit moins à évaluer la matiere des échanges, qu’à s’en aider réciproquement.

Avant & après le déluge les échanges dûrent se multiplier avec la population ; alors l’abondance ou la rareté de certaines productions, soit de l’art soit de la nature, en augmenta ou en diminua l’équivalent ; l’échange en nature devint embarrassant.

L’inconvénient s’accrut encore avec le Commerce, c’est-à-dire lorsque la formation des sociétés eut distingué les propriétés, & apporté des modifications à l’égalité absolue qui regnoit entre les hommes. La

subdivision inégale des propriétés par le partage des enfans, les différences dans le terroir, dans les forces, & dans l’industrie, occasionnerent un superflu de besoin chez les uns de plus que chez les autres : ce superflu dut être payé par le travail de ceux qui en avoient besoin, ou par de nouvelles commodités inventées par l’art ; son usage fut borné cependant tant que les hommes se contenterent de ce qui étoit simple.

Sujets à l’injustice, ils avoient eu besoin de législateurs : la confiance établit des juges, le respect les distingua, & bientôt la crainte les sépara en quelque façon de leurs semblables. L’appareil & la pompe furent un des apanages de ces hommes puissans ; les choses rares furent destinées à leur usage, & le luxe fut connu ; il devint l’objet de l’ambition des inférieurs, parce que chacun aime à se distinguer. La cupidité anima l’industrie : pour se procurer quelques superfluités, on en imagina de nouvelles, on parcourut la terre pour en découvrir : l’extrème inégalité qui se trouvoit entre les hommes passa jusque dans leurs besoins.

Les échanges en nature devinrent réellement impossibles : l’on convint de donner aux marchandises une mesure commune. L’or, l’argent, & le cuivre, furent choisis pour les représenter. Alors il y eut deux sortes de richesses ; les richesses naturelles, c’est-à-dire les productions de l’Agriculture & de l’industrie ; les richesses de convention ou les métaux.

Ce changement n’altéra point la nature du Commerce, qui consiste toûjours dans l’échange d’une denrée, soit pour une autre, soit pour des métaux. On peut le regarder comme une seconde époque du Commerce.

L’Asie qui avoit été le berceau du genre humain, se vit peuplée bien avant que les autres parties du monde fussent connues : elle fut aussi le premier théatre du Commerce, des grands empires, & d’un luxe dont le nôtre est effrayé.

Les vastes conquêtes des Assyriens dans ces riches contrées, le luxe de leurs rois, & les merveilles de Babylone, nous sont garants d’une grande perfection dans les Arts, & par conséquent d’un grand Commerce : mais il paroît qu’il étoit borné à l’intérieur de ces états & à leurs productions.

Les Phéniciens habitans d’une petite contrée de la Syrie, oserent les premiers franchir la barriere que les mers opposoient à leur cupidité, & s’approprier les denrées de tous les peuples, afin d’acquérir ce qui en faisoit la mesure.

Les richesses de l’Orient, de l’Afrique, & de l’Europe, se rassemblerent à Tyr & à Sydon, d’où leurs vaisseaux répandoient dans chaque contrée du monde le superflu des autres. Ce commerce, dont les Phéniciens n’étoient en quelque façon que les commissionnaires, puisqu’ils n’y fournissoient que très-peu de productions de leur cru, doit être distingué de celui des nations qui trafiquent de leurs propres denrées ; ainsi il a été appellé commerce d’œconomie : ç’a été celui de presque tous les anciens navigateurs.

Les Phéniciens s’ouvrirent par les ports d’Elath & d’Esiongaber sur la mer Rouge, le commerce des côtes orientales de l’Afrique, abondantes en or, & celui de l’Arabie si renommée par ses parfums. Leur colonie de Tyle, dans une île du golphe Persique, nous indique qu’ils avoient étendu leur trafic sur ces côtes.

Par la navigation de la Méditerranée ils établirent des colonies (Voyez Colonie) dans toutes ses îles, en Grece, le long des côtes de l’Afrique, en Espagne.

La découverte de ce dernier pays fut la principale source de leurs richesses ; outre les cotons, les laines, les fruits, le fer, & le plomb qu’ils en retiroient, les