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l’armée d’Espagne. Ce fut un encouragement accordé par l’état en faveur des circonstances, & non pas un contrat. C’est dans le même sens qu’on doit entendre un autre passage de Suétone, qu’il cite dans la vie de l’empereur Claude, nomb. xjx. On voit que ce prince prit sur lui le risque des blés qui s’apportoient à Rome par mer, afin que le profit de ce commerce étant plus certain, un plus grand nombre de marchands l’entreprît, & que leur concurrence y entretînt l’abondance.

Les Anglois prétendent que c’est chez eux que le commerce des assûrances a pris naissance, ou du moins que son usage courant s’est établi d’abord ; que les habitans d’Oléron en ayant eu connoissance, en firent une loi parmi eux, & que la coûtume s’introduisit de là dans nos villes maritimes.

Quoi qu’il en soit, un peu avant l’an 1668, il y avoit à Paris quelques assemblées d’assûreurs, qui furent autorisés par un édit du roi du 5 Juin 1668, avec le titre de chambre des assûrances & grosses avantures, établie par le roi. Le réglement ne fut arrêté que le 4 Décembre 1671, dans une assemblée générale tenue rue Quincampoix, & souscrit par quarante-trois associés principaux.

Il paroît par ce réglement, que cette chambre n’étoit proprement qu’une assemblée d’assûreurs particuliers, qui, pour la commodité publique & la leur, étoient convenus de faire leurs assûrances dans le même lieu.

Le nom des assûreurs étoit inscrit sur un tableau, avec le risque que chacun entendoit prendre sur un même vaisseau.

Les particuliers qui vouloient se faire assûrer, étoient libres de choisir les assûreurs qui leur convenoient : un greffier commun écrivoit en conséquence cette police en leur nom, & en donnoit lecture aux parties, ensuite elle étoit enregistrée.

Le greffier tenoit la correspondance générale avec les villes maritimes, & les avis qui en venoient étoient communs : il étoit chargé de tous les frais, moyennant de p , qui lui étoient adjugés sur la somme assûrée ; & un droit de vingt sous pour chaque police ou copie de police qu’il délivroit. Le droit sur tous les autres actes quelconques, en fait d’assûrance, étoit de cinq sous.

Il est étonnant que l’on ait oublié parmi nous une forme d’association aussi simple, & qui sans exiger de dépôt de fonds, offre au public toute la solidité & la commodité que l’on peut desirer ; supposé que le tableau ne contînt que des noms connus, comme cela devroit être.

Le greffier étoit le seul auquel on s’adressât en cas de perte, sans qu’il fût pour cela garant ; il avertissoit les assûreurs intéressés d’apporter leurs fonds.

Dans ces tems le commerce étoit encore trop foible pour n’être pas timide ; les négocians se contenterent de s’assûrer entre eux dans les villes maritimes ou dans l’étranger

Les assûreurs de Paris crurent à leur inaction qu’il manquoit quelque chose à la forme de leur établissement : ils convinrent d’un dépôt de fonds en 1686. Le roi accorda un nouvel édit en faveur de cette chambre, qui prenoit la place de l’ancienne. L’édit du 6 Juin fixoit le nombre des associés à trente, & ordonnoit un fonds de 300000 livres en soixante-quinze actions de 4000 livres chacune. Le succès ne devoit pas être plus heureux qu’il ne le fut, parce que les circonstances étoient toûjours les mêmes.

Quelque médiocre que fût cet établissement, c’est un monument respectable, dont on ne doit juger qu’en se rapprochant du tems où il fut élevé : notre commerce étoit au berceau, & il n’est pas encore à son adolescence.

L’édit n’offre d’ailleurs rien de remarquable, que

l’esprit de gêne qui s’étoit alors introduit dans l’administration politique du commerce, & qui l’a long-tems effarouché. L’article 25 interdit tout commerce d’assûrances & de grosses avantures dans la ville de Paris, à d’autres qu’aux membres de la compagnie : c’étoit ignorer que la confiance ne peut être forcée, & que la concurrence est toûjours en faveur de l’état.

L’article 27 laisse aux négocians des villes maritimes la liberté de continuer leur commerce d’assûrances, mais seulement sur le pié qu’ils le faisoient avant la date de l’édit. Cette clause étoit contraire à la concurrence & à la liberté : peut-être même a-t-elle retardé dans les ports l’établissement de plusieurs chambres qui, enrichies dans ces tems à la faveur des fortes primes que l’on payoit, seroient devenues plûtôt assez puissantes pour se charger de gros risques à moindre prix, & pour nous soustraire à l’empire que les étrangers ont pris sur nous dans cette partie.

Il s’est formé en 1750 une nouvelle chambre des assûrances à Paris, à laquelle le Roi a permis de prendre le titre de chambre royale des assûrances, Son fonds est de six millions, divisés en deux mille actions de trois mille livres chacune. Cet établissement utile formé par les soins du Ministre qui préside si supérieurement à la partie du commerce & des finances, répond par ses succès à la protection qu’il en a reçûe : la richesse de son capital indique les progrès de la nation dans le commerce, & par le commerce.

Dans presque toutes les grandes villes maritimes de France, il y a plusieurs chambres d’assurance composées de négocians : Rouen en a sept ; Nantes trois ; Bordeaux, Dunkerque, La Rochelle, en ont aussi ; mais ce n’est que depuis la derniere paix qu’elles sont formées.

La ville de Saint-Malo, toûjours distinguée dans les grandes entreprises, est la seule de France qui ait eu le courage de former une chambre d’assûrance pendant la derniere guerre : elle étoit composée de vingt actions de soixante mille livres chacune. Malgré le malheur des tems, elle a produit à sa résiliation à la paix quinze mille livres net par chaque action, sans avoir fait aucune avance de fonds : le profit eût été plus considérable encore, sans la réduction des primes qui fut ordonnée à la paix.

Indépendamment de ces sociétés dans nos villes maritimes, il se fait des assûrances particulieres : un négociant souscrit à un prix une police d’assûrance, pour la somme qu’il prétend assûrer ; d’autres négocians continuent à la remplir aux mêmes conditions.

C’est de cette façon que se font les assûrances en Hollande : les paysans mêmes connus prennent un risque sur la police ouverte ; & sans être au fait du commerce, se reglent sur le principal assûreur.

J’ai déjà parlé de la prétention qu’ont les Anglois de nous avoir enseigné l’usage des assûrances : en la leur accordant, ce ne sera qu’un hommage de plus que nous leur devrons en fait de commerce ; il n’est pas honteux d’apprendre, & il seroit beau d’égaler ses maîtres.

Le quarante-troisieme statut de la reine Elisabeth établissoit à Londres un bureau public, où toutes les polices d’assûrance devoient être enregistrées : mais aujourd’hui elles se font entre particuliers, & sont de la même valeur en justice que si elles étoient enregistrées : la seule différence, c’est qu’en perdant une police non enregistrée, on perd le titre de l’assûrance.

Le même statut porte que le lord chancelier donnera pouvoir à une commission particuliere de juger toutes discussions au sujet des polices d’assûrance enregistrées. Cette commission doit être com-