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voient, ils sont censés avoir tacitement consenti d’avance aux conditions que le vainqueur leur imposeroit, pourvû qu’elles n’eussent rien d’injuste ni d’inhumain.

Que faut-il penser des conquêtes injustes, & d’une soumission extorquée par la violence ? Peut-elle donner un droit légitime ? Puffendorf (Liv. VII. ch. vij.) répond qu’il faut distinguer, si l’usurpateur a changé une république en monarchie, ou bien s’il a dépossedé le légitime monarque. Dans le dernier cas, il est indispensablement obligé de rendre la couronne à celui qu’il en a dépouillé, ou à ses héritiers, jusqu’à ce que l’on puisse raisonnablement présumer qu’ils ont renoncé à leurs prétentions, & c’est ce qu’on présume toûjours, lorsqu’il s’est écoulé un tems considérable sans qu’ils ayent voulu ou pû faire effort pour recouvrer la couronne.

Le droit des gens admet donc une espece de prescription entre les rois ou les peuples libres, par rapport à la souveraineté ; c’est ce que demande l’intérêt & la tranquillité des sociétés. Il faut qu’une possession soutenue & paisible de la souveraineté, la mette une fois hors d’atteinte, autrement il n’y auroit jamais de fin aux disputes touchant les royaumes & leurs limites, ce qui seroit une source de guerres perpétuelles, & à peine y auroit-il aujourd’hui un souverain qui possedât l’autorité légitimement.

Il est effectivement du devoir des peuples de résister dans les commencemens à l’usurpateur de toutes leurs forces, & de demeurer fideles à leur souverain ; mais si malgré tous leurs efforts leur souverain a du dessous, & qu’il ne soit plus en état de faire valoir son droit, ils ne sont obligés à rien de plus, & ils peuvent pourvoir à leur conservation.

Les peuples ne sauroient se passer de gouvernement ; & comme ils ne sont pas tenus de s’exposer à des guerres perpétuelles pour soutenir les intérêts de leur premier souverain, ils peuvent rendre légitime par leur consentement le droit de l’usurpateur ; & dans ces circonstances, le souverain dépouillé doit se consoler de la perte de ses états comme d’un malheur sans remede.

A l’égard du premier cas, si l’usurpateur a changé une république en monarchie, s’il gouverne avec modération & avec équité, il suffit qu’il ait regné paisiblement pendant quelque tems, pour donner lieu de croire que le peuple s’accommode de sa domination, & pour effacer ainsi ce qu’il y avoit de vicieux dans la maniere dont il l’avoit acquise : c’est ce qu’on peut appliquer au regne d’Auguste ; ou si l’on ne veut pas lui en faire l’application, on ne doit pas moins recevoir notre maxime, que par laps de tems,

Les usurpateurs des provinces
En deviennent les justes princes
En donnant de plus justes lois.

Que si au contraire le prince qui s’est rendu maître du gouvernement d’une république l’exerce tyranniquement ; s’il maltraite les citoyens & les opprime, on n’est point alors obligé de lui obéir ; dans ces circonstances la possession la plus longue n’emporte autre chose, qu’une longue continuation d’injustice.

Au reste, rien ne doit mieux corriger les princes de la folie des usurpations & des conquêtes lointaines, que l’exemple des Espagnols & des Portugais, & de toutes autres conquêtes moins éloignées, que leur inutilité, leur incertitude & leurs revers. Mille exemples nous apprennent combien peu il faut compter sur ces sortes d’acquisitions. Il arrive tôt ou tard qu’une force majeure se sert des mêmes moyens pour les enlever à celui qui les a faites, ou à ses enfans. C’est ainsi que la France perdit sous le regne

de Jean, ce que Philippe Auguste & S. Louis avoient conquis sur les Anglois, & qu’Edouard III. perdit les conquêtes qu’il avoit lui-même faites en France. On vit ensuite un des successeurs d’Edouard (Henri V.) réparer avantageusement toutes les pertes de ses prédécesseurs, & enfin les François à leur tour, recouvrer peu de tems après tout ce que ce prince leur avoit enlevé.

Les conquêtes se font aisément, parce qu’on les fait avec toutes ses forces & qu’on profite de l’occasion ; elles sont difficiles à conserver, parce qu’on ne les défend qu’avec une partie de ces forces. L’aggrandissement des états d’un prince conquérant, montre de nouveaux côtés par où on peut le prendre, & on choisit aussi pour cet effet des conjonctures favorables. C’est le destin des héros de se ruiner à conquérir des pays qu’ils perdent ensuite. La réputation de leurs armes peut étendre leurs états ; mais la réputation de leur justice en augmenteroit la force plus solidement. Ainsi comme les monarques doivent avoir de la sagesse pour augmenter légitimement leur puissance, ils ne doivent pas avoir moins de prudence afin de la borner. Art. de M. le Ch. de Jaucourt.

* CONQUISITEUR, conquisitor, (Hist. anc.) gens à Rome qu’on envoyoit pour rassembler les soldats qui se cachoient ou que les parens retenoient ; on employoit quelquefois à cette fonction des sénateurs ou des députés, legati, ou quelquefois des triumvirs, mais toûjours des hommes sans reproches & nés libres.

CONSANGUIN, (Jurisprud.) se dit de celui qui est du même sang qu’un autre. On appelle freres & sœurs consanguins, ceux qui sont enfans d’un même pere, à la différence des freres & sœurs utérins, qui sont ceux issus d’une même mere. Lorsqu’ils sont tous procréés des mêmes pere & mere, on les appelle freres & sœurs germains. Chez les Romains on appelloit consanguins en général tous les parens du côté paternel. Les consanguins ou agnats formoient le premier ordre d’héritiers ab intestat, au défaut d’enfans héritiers de leur pere & mere ; parmi nous on ne donne la qualité de consanguins qu’aux freres & sœurs qui sont enfans d’un même pere. (A)

CONSANGUINITÉ, s. f. (Jurisprud.) est la parenté & la liaison qui est entre plusieurs personnes sorties d’un même sang.

Chez les Romains le lien de consanguinité avoit lieu, suivant la loi des douze tables, entre tous les descendans d’un même pere, soit mâles ou femelles.

Dans la suite par la loi Voconia les femmes furent excluses des priviléges de l’agnation, & conséquemment de succéder avec les mâles, à moins qu’elles ne fussent dans le degré de consanguinité, c’est-à-dire excepté la sœur de celui qui étoit mort ab intestat. Justinien retablit les femmes dans les droits de l’agnation.

Mais le droit de consanguinité n’étoit pas précisément la même chose que le droit d’agnation en général, c’étoit seulement une des especes d’agnation ; car il y avoit deux sortes d’agnats ou parens du côté paternel, les uns naturels & les autres adoptifs, & pour pouvoir qualifier les agnats de consanguins, il falloit qu’ils fussent freres naturels & non adoptifs ; qu’ils fussent procréés d’un même pere, il importoit peu qu’ils fussent de la même mere ou non.

On ne connoît point parmi nous ces différences d’agnation ni de cognation, & l’on entend ordinairement par le terme de consanguinité, la parenté qui est entre ceux qui sont sortis d’un même sang.

Lorsque le terme de consanguinité est opposé à la qualité de freres & sœurs germains ou de freres & sœurs utérins, il s’entend de la parenté qui est entre freres & sœurs procréés d’un même pere mais non pas d’une même mere.