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lui-là sur-tout qu’il faudroit obtenir des ouvriers. Ne consiste-t-il que dans la manœuvre suivante ? nous l’ignorons. Lorsque le talart est garni de boyaux tords, on les frotte les uns après les autres avec des cordes de crin ; on passe dessus la corde de crin cinq ou six fois de suite, ce qui acheve de les dégraisser & de les dégrossir en les arrondissant. Lorsque chaque boyau ou corde aura été frottée ainsi à deux reprises de la corde de crin, & qu’on la trouvera fort nette, on portera le talart tout garni de ses cordes, dans une étuve proportionnée à sa grandeur, c’est-à-dire d’un peu plus de deux aulnes de long, & d’environ une demi-aulne pour ses autres dimensions ; on les y laissera tendues pendant cinq ou six jours, pour y sécher lentement à la vapeur du soufre, & y prendre de l’élasticité. L’étuve est échauffée par un peu de feu de charbon, qu’on y introduit dans un réchaud sur lequel on jette deux onces de fleur de soufre. Cet ensoufrement se donne toûjours en mettant le talart dans l’étuve, & se répete deux jours après. On a soin de tenir l’étuve fermée, afin que la fumée du soufre ne s’échappant point, produise son effet. Au bout de cinq à six jours on sort les talarts de l’étuve ; on frotte chaque corde avec un peu d’huile d’olive ; on les plie à l’ordinaire, après les avoir coupées de la longueur de deux aulnes aux deux extrémités du talart. C’est de la même maniere que se préparent les grosses cordes à boyau, avec cette différence qu’on apporte un peu moins de précautions pour les dégraisser, qu’on les tord & file comme le chanvre ; qu’on y employe les boyaux les plus communs, & qu’on les laisse plus long-tems à l’étuve. Nous n’avons pû nous procurer des connoissances plus étendues sur cet objet. Peut-être n’y a-t-il rien de plus à savoir, peut-être aussi n’est-ce là que le gros de l’art, que ce dont les ouvriers ne se cachent point, & n’avons-nous rien dit des tours de main particuliers, des préparations singulieres, & des manœuvres requises pour la perfection des cordes. Au reste, celui qui portera ces instructions préliminaires dans un attelier, y acquérera d’autant plus facilement les autres, si en effet il en reste quelques-unes à suppléer ; car j’ai toûjours remarqué que les ouvriers se livroient facilement aux gens dont ils espéroient tirer quelque lumiere. On ne trouvera que le roüet, le chassis & le talart dans nos planches, parce que les autres instrumens n’ont rien de particulier. Le roüet est, comme on voit, un roüet de cordier ; le talart n’est qu’un chassis ordinaire, & le lavoir se connoît assez facilement sur ce que nous en avons dit ; une table commune y suppléeroit. Ce sont les nœuds qu’on fait aux cordes, quand les boyaux sont trop courts, qui ordinairement les rendent fausses, par l’inégalité qu’ils occasionnent. Quand on choisit des cordes d’instrumens, il faut d’abord prendre les plus claires, les plus rondes & les plus égales, & ensuite faire tendre par quelqu’un la corde de la longueur convenable pour l’instrument, en la tirant par les deux bouts ; se placer en face du jour, & la pincer. Si en la pinçant on n’apperçoit dans ses oscillations que deux cordes, c’est une preuve certaine qu’elle est juste ; si on en apperçoit trois, cette preuve qu’elle est fausse n’est pas moins assurée. Cette seconde apparence peut venir de ce que toutes les parties de la corde n’arrivent pas en même tems à la situation horisontale, & qu’elle oscille en deux tems différens. On tord deux cordes à la fois, quoiqu’on n’en voye qu’une dans le dessein, où l’on n’a pû en montrer davantage.

Des cordes de nerfs, ou, pour parler plus exactement, de tendons ou de ligamens. Les anciens, qui faisoient grand usage de ces cordes dans leurs machines de guerre, désignoient en général les veines, arteres, tendons, ligamens, nerfs, par le mot de nerf,

& ils appelloient corde de nerf, une corde filée de ligamens. Ils ont ordonné de choisir entre les tendons, ceux des cerfs & des bœufs ; & sur ces animaux les tendons les plus exercés, comme ceux du col dans les bœufs, & ceux de la jambe du cerf. Mais comme il est plus facile de se pourvoir de ceux-là que de ceux-ci, c’est de cette matiere qu’on a fait à Paris les premieres cordes de nerfs, sous les ordres & la direction de M. le comte d’Herouville, qui fut engagé dans un grand nombre d’expériences sur cet objet, par l’exactitude & l’étendue de ses recherches sur tout ce qui appartient à l’Art militaire. Voici comment ces cordes ont été travaillées. On prend chez le boucher les tendons des jambes, on les fait tirer le plus entiers & le plus longs qu’il est possible. Ils se tirent de l’animal assommé, quand il est encore chaud. On les expose dans des greniers ; on fait ensorte qu’ils ne soient point exposés au soleil, de peur qu’ils ne sechent trop vîte, & qu’ils ne durcissent trop. Il ne faut pas non plus que l’endroit soit humide, & qu’ils puissent souffrir de la gelée en hyver ; ces accidens les feroient corrompre. Il y a aussi un tems propre à prendre pour les battre : quand ils sont trop secs, ils se rompent ; quand ils sont trop frais, on en épure la graisse. Il faut éviter ces deux extrèmes. Avant que de les battre, il en faut séparer les deux bouts qui sont trop durs & trop secs : le reste d’ailleurs s’en divisera plus facilement sous le marteau. Le nerf ou ligament n’est filé fin qu’autant que ses extrémités se divisent facilement, ce qui ne peut arriver quand on lui laisse les deux bouts qui sont durs & secs comme du bois.

Les outils de cette espece de corderie se réduisent à un marteau de fer, une pierre & un peigne. Le bloc de pierre doit être un cube, dont la surface polie du côté qu’il doit servir, ait huit à dix pouces en quarré. Le marteau peut peser une demi-livre, & le peigne a huit ou dix dents éloignées les unes des autres d’environ six lignes, & toutes dans la même direction. Le ligament ne doit point être dépouillé de ses membranes ; on les bat ensemble jusqu’à ce qu’on s’apperçoive que la membrane est entierement séparée des fibres. Sept à huit ligamens battus & fortement liés ensemble, suffisent pour faire une poignée ; on passe la poignée dans les dents du peigne : cette opération en sépare la membrane, & divise les fibres les unes des autres. Le point le plus important dans tout ce qui précede, est de bien battre, c’est de-là que dépend la finesse du nerf. Si le nerf n’est pas assez battu, on a beau le peigner ; on l’accourcit en en rompant les fibres, sans le rendre plus fin. Le seul parti qu’il y ait à prendre dans ce cas, est de l’écharpir avec les mains, en séparant les fibres des brins qui ont résisté au peigne, pour n’avoir pas été suffisamment travaillés sous le marteau.

Quant au cordelage de cette matiere, il n’a rien de particulier. On file le nerf comme le chanvre, & on le commet soit en aussiere, soit en grelin. V. l’article Corderie. Avant que de se servir de ces cordes, il faut les faire tremper dans l’huile la plus grasse : elles sont très-élastiques & très-fortes. Voici une expérience dans laquelle M. d’Herouville a fait comparer la force d’une corde de chanvre, d’une corde de crin, & d’une corde de nerf. On prit le nerf le plus long qu’on put trouver ; on le peigna avec beaucoup de douceur ; on en fila du fil de carret ; on prit six bouts de ce fil, de neuf piés chacun ; on les commit au tiers, c’est-à-dire que ces neuf piés se réduisirent à six dans le commettage. Cette corde se trouva de quinze lignes de circonférence, & tout-à-fait semblable à une corde de chanvre très-parfaite qui avoit servi à quelques expériences de M. Duhamel sur la résistance des cordes, & qui avoit été faite