Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

démontré que, tout étant égal d’ailleurs, plus les filamens seront longs, plus le cordon qui en proviendra sera fort. Quand le coton a été bien arçonné, ils le font filer par des hommes & par des femmes. J’ai inutilement essayé ces moyens, dit l’auteur de ces mémoires, & je ne les trouve bons que pour faire du fil tout-à-fait commun ; ils peuvent à peine remplacer le cardage ordinaire, pratiqué dans les fabriques de Normandie ; & je suis persuadé que les Indiens en ont quelqu’autre pour la préparation de leur coton, & qui ne nous est point encore parvenu. Si M. Jore eût refléchi sur le but & l’effet de l’arçonnage, il n’en auroit rien attendu d’avantageux ; car il ne s’agit pas ici de multiplier les surfaces aux dépens des longueurs : cela est bon, quand il s’agit de donner du corps par le contact, mais non par le tortillement. L’arçonnage est une opération évidemment contraire à l’étoupage.

Filer les cotons fins. Le roüet étant préparé, comme on le dira ci-après, & la fileuse ayant l’habitude de le faire tourner également avec le pié ; pour commencer, elle fixera un bout de fil quelconque sur le fuseau d’ivoire ; elle le fera passer sur l’épinguer & dans le bouton d’ivoire ; de-là elle portera l’extrémité de ce fil, qui doit avoir environ quatre piés de long, sur la grande carde qui doit servir de quenouille ; elle le posera sur le coton, à la partie la plus voisine du manche ; elle tiendra ce manche dans sa main gauche, faisant ensorte d’avancer le pouce & l’index au-delà des dents de la carde, vers les bouts du coton, où elle saisira le fil à un pouce près de son extrémité, sans prendre aucun filament du coton entre ses doigts. Tout étant en cet état, elle donnera de la main droite le premier mouvement au roüet, qui doit tourner de gauche à droite : Ayant entretenu ce mouvement quelques instans avec son pié, le ferin étant suffisamment tendu, l’on sent le fil se tordre jusque contre les doigts de la main gauche qui le tiennent proche le coton, sans lui permettre d’y communiquer ; prenez alors ce fil de votre droite entre le pouce & l’index, à six pouces de distance de la main gauche, & le serrez de façon que le tors que le roüet lui communique en marchant toûjours, ne puisse pas s’étendre au-delà de votre main droite. Cela bien exécuté, il n’y a plus qu’un petit jeu pour former le fil ; mais observez qu’il ne faut jamais approcher de la tête du roüet plus près que de deux piés & demi à trois piés, & que les deux mains soient toûjours à quelque distance l’une de l’autre, excepté dans des circonstances extraordinaires que l’on expliquera ailleurs.

Le bout du fil qui est entre les deux mains, qui a environ six pouces de longueur, ayant été tors comme on l’a dit, sert à former à-peu-près 4, 5, 6 pouces de nouveau fil ; car en lâchant ce fil de la main gauche seulement, le tors montera dans la carde le long de sa partie qui y est posée, & y accrochera quelques bouts de coton qui formeront un fil que vous tirerez hors de la carde, en portant la main droite vers la tête du roüet, tant que le tors aura le pouvoir de se communiquer au coton. Dès que vous vous appercevrez que le tors cessera d’accrocher les filamens du coton, vous saisirez le fil nouveau fait des deux doigts de votre gauche, comme ci-devant ; alors vous laisserez aller le fil que vous teniez de votre droite, le tors qui étoit entre le roüet & votre droite venant à monter précipitamment jusqu’à votre gauche, vous donnera occasion de reprendre sur le champ votre fil de la droite, à 5 ou 6 pouces de la gauche, comme auparavant, & de continuer à tirer ainsi de nouveau fil de la carde. On parviendra à se faire une habitude de cette alternative de mouvement, si grande qu’il en devient d’une telle promptitude, que le roüet ne peut quelquefois pas

tordre assez vîte, & que la fileuse est obligée d’attendre ou de forcer le mouvement du roüet.

Le bout de fil de six pouces de long qui est intercepté entre les deux mains, & qui contient le tors qui doit former le nouveau fil, le formera inégalement si on le laisse agir naturellement ; car étant plus vif au premier instant que vers la fin, il accrochera plus de coton au premier instant que dans les instans suivans. Il est de l’adresse de la fileuse de modérer ce tors en roulant entre ses doigts le fil qu’elle tient de la droite dans un sens opposé au tors ; & lorsqu’elle s’apperçoit que le tors s’affoiblit, en le roulant dans le sens conspirant avec le tors, afin d’en augmenter l’effet. Par ce moyen elle parviendra à former le fil parfaitement égal, si le coton a été bien préparé. Celles qui commencent cassent souvent leur fil, faute d’avoir acquis ce petit talent.

On a fait le roüet à gauche, afin que la main droite pût agir dans une circonstance d’où dépend toute la perfection du fil. On a fait pareillement tourner le roüet de gauche à droite, parce que sans cela le fil se torderoit dans un sens où il seroit incommode à modérer, soit en le tordant, soit en le détordant entre les doigts de la main droite.

Une autre adresse de la fileuse, c’est de tourner sa carde ou quenouille de façon que le tors qui monte dedans trouve toûjours une égale quantité de coton à accrocher, & qu’il soit accroché par les extrémités des filamens, & non par le milieu de leur longueur. C’est par cette raison qu’il est très-essentiel que le coton y soit bien également distribué, & que les brins soient bien détachés les uns des autres. Mais quelqu’adroite que soit la fileuse, il arrive quelquefois que le tors accroche une trop grande quantité de coton, qui forme une inégalité considérable. Pour y remédier, il faut saisir l’endroit inégal, tout au sortir de la carde, avec les deux mains, c’est-à-dire du côté de la carde avec la gauche, comme si le fil étoit parfait, & l’autre bout avec la droite, & détordre cette inégalité en roulant légerement le fil entre les doigts de la droite, jusqu’à ce que le coton étant ouvert, vous puissiez allonger cette partie trop chargée de coton au point de la réduire à la grosseur du fil. Cette pratique est nécessaire, mais il faut faire ensorte de n’y avoir recours que quand on ne peut prévenir les inégalités ; elle retarde la fileuse, quand elle est trop souvent réitérée. Une femme habile qui prépare bien son coton, forme son fil égal dans la carde même.

Il est inutile d’avertir que lorsque le coton qui est près du manche de la carde est employé, il faut avancer la main gauche sur les dents de la carde même, pour être à portée d’opérer sur le reste. Lorsque la carde commence à se vuider, il reste toûjours du coton engagé dans le fond des dents : pour le filer, il faut approcher la main droite, & filer à deux pouces près de la carde ; on pourra par ce moyen aller chercher le coton partout où il sera, & on l’accrochera en tordant un peu le fil entre les doigts de la droite, afin de rendre le tors du fil plus âpre à saisir les filamens épars. Lorsque l’opération devient un peu difficile, on abandonne ce coton pour le reprendre avec la petite carde, & s’en servir à charger de nouvelles quenouilles.

Toutes les fois que le fuseau est chargé d’une petite monticule de coton filé appellé fillon, il faut avoir soin de changer le fil sur l’épinguer, c’est-à-dire le transporter d’une dent dans une autre, & ne pas attendre que le sillon s’éboule. Il faut remplir le fuseau de suite, autrement le fil ne se peut devider ; il est perdu. Quand le fuseau sera plein à la hauteur des épaulemens, il faudra passer une épingue au-travers du fil, & y arrêter le bout du fil.

Si l’on faisoit usage du fil de coton au sortir du