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re coûtume : deux maximes très-véritables. Toutefois, avant qu’il y eût aucune coûtume, notre ame existoit, & avoit ses inclinations qui fondoient sa nature ; & ceux qui réduisent tout à l’opinion & à l’habitude, ne comprennent pas ce qu’ils disent. Toute coûtume suppose antérieurement une nature, toute erreur une vérité : il est vrai qu’il est difficile de distinguer les principes de cette premiere nature de ceux de l’éducation ; ces principes sont en si grand nombre, & si compliqués, que l’esprit se perd à les suivre ; & il n’est pas moins difficile de démêler ce que l’éducation a épuré ou gâté dans le naturel. On peut remarquer seulement que ce qui nous reste de notre premiere nature est plus véhément & plus fort, que ce qu’on acquiert par étude, par coûtume, & par réflexion, parce que l’effet de l’art est d’affoiblir, lors même qu’il polit & qu’il corrige ; de sorte que nos qualités acquises sont en même tems plus parfaites & plus défectueuses que nos qualités naturelles : & cette foiblesse de l’art ne procede pas seulement de la résistance trop forte que fait la nature, mais aussi de la propre imperfection de ses principes, ou insuffisans, ou mêlés d’erreurs. Sur quoi cependant je remarque, qu’à l’égard des lettres l’art est supérieur au génie de beaucoup d’artistes, qui ne pouvant atteindre la hauteur des regles, & les mettre toutes en œuvre, ni rester dans leur caractere qu’ils trouvent trop bas, ni arriver au beau naturel, demeurent dans un milieu insupportable, qui est l’enflure & l’affectation, & ne suivent ni l’art ni la nature. La longue habitude leur rend propre le caractere forcé ; & à mesure qu’ils s’éloignent davantage de leur naturel, ils croyent élever la nature : don incomparable, qui n’appartient qu’à ceux que la nature même inspire avec le plus de force. Mais telle est l’erreur qui les flatte ; & malheureusement rien n’est plus ordinaire que de voir les hommes se former, par étude & par coûtume, un instinct particulier, & s’éloigner ainsi, autant qu’ils peuvent, des lois générales & originelles de leur être ; comme si la nature n’avoit pas mis entre eux assez de différence, sans y en ajoûter par l’opinion. De-là vient que leurs jugemens se rencontrent si rarement : les uns disent cela est dans la nature ou hors de la nature, & les autres tout au contraire. Parmi ces variétés inexplicables de la nature ou de l’opinion, je crois que la coûtume dominante peut servir de guide à ceux qui se mêlent d’écrire, parce qu’elle vient de la nature dominante des esprits, ou qu’elle la plie à ses regles ; de sorte qu’il est dangereux de s’en écarter, lors même qu’elle nous paroît manifestement vicieuse. Il n’appartient qu’aux hommes extraordinaires de ramener les autres au vrai, & de les assujettir à leur génie particulier : mais ceux qui concluroient de-là que tout est opinion, & qu’il n’y a ni nature ni coûtume plus parfaite l’une que l’autre par son propre fond, seroient les plus inconséquens de tous les hommes. Article de M. Formey.

« C’est, dit Montagne, une violente & traîtresse maîtresse d’école, que la coûtume. Elle établit en nous peu-à-peu, à la dérobée, le pié de son autorité ; mais par ce doux & humble commencement l’ayant rassis & planté avec l’aide du tems, elle nous découvre tantôt un furieux & tyrannique usage, contre lequel nous n’avons plus la liberté de hausser seulement les yeux… Mais on découvre bien mieux ses effets aux étranges impressions qu’elle fait en nos ames, où elle ne trouve pas tant de résistance. Que ne peut-elle en nos jugemens & en nos créances ?… J’estime qu’il ne tombe en l’imagination humaine aucune fantaisie si forcenée, qui ne rencontre l’exemple de quelque usage public, & par conséquent que notre raison n’étaye & ne fonde.... Les peuples nour-

ris à se commander eux-mêmes, estiment toute

autre forme de police monstrueuse. Ceux qui sont duits à la monarchie en font de même. C’est par l’entremise de la coûtume que chacun est content du lieu où nature l’a planté ».

Coûtume, (Jurisprud) en latin consuetudo, est un droit non écrit dans son origine, & introduit seulement par l’usage, du consentement tacite de ceux qui s’y sont soûmis volontairement ; lequel usage après avoir été ainsi observé pendant un long espace de tems, acquiert force de loi.

La coûtume est donc une sorte de loi ; cependant elle differe de la loi proprement dite, en ce que celle-ci est ordinairement émanée de l’autorité publique, & rédigée par écrit dans le tems qu’on la publie ; au lieu que la plûpart des coûtumes n’ont été formées que par le consentement des peuples & par l’usage, & n’ont été rédigées par écrit que long-tems après.

Il y a beaucoup de rapport entre usage & coutume, c’est pourquoi on dit souvent les us & coûtumes d’un pays. Cependant par le terme d’usage on entend ordinairement ce qui n’a pas encore été rédigé par écrit ; & par coûtume, un usage qui étoit d’abord non écrit, mais qui l’a été dans la suite.

En quelques occasions on distingue aussi les us des coûtumes ; ces us sont pris alors pour les maximes générales, & les coûtumes en ce sens sont opposées aux us, & signifient les droits des particuliers de chaque lieu, & principalement les redevances dûes aux seigneurs.

On dit aussi quelquefois les fors & coûtumes, & en ce cas le terme de coûtume signifie usage, & est opposé à celui de sors, qui signifie les priviléges des communautés & ce qui regarde le droit public.

Les coûtumes sont aussi différentes des franchises & priviléges : en effet, les franchises sont des exemptions de certaines servitudes personnelles, & les priviléges sont des droits attribués à des personnes franches, outre ceux qu’elles avoient de droit commun ; tels sont le droit de commune & de banlieue, l’usage d’une forêt, l’attribution des causes à une certaine jurisdiction.

L’origine des coûtumes en général est fort ancienne ; tous les peuples, avant d’avoir des lois écrites, ont eu des usages & coûtumes qui leur tenoient lieu de lois.

Les nations les mieux policées, outre leurs lois écrites, avoient des coûtumes qui formoient une autre espece de droit non écrit : ces coûtumes étoient même en plusieurs lieux qualifiées de lois ; c’est pourquoi on distinguoit deux sortes de lois chez les Grecs & chez les Romains, savoir les lois écrites, & les lois non écrites : les Grecs étoient partagés à ce sujet ; car à Lacédémone il n’y avoit pour loi que des coûtumes non écrites ; à Athenes au contraire on avoit soin de rédiger les lois par écrit. C’est ce que Justinien explique dans le titre second de ses institutes, où il dit que le droit non écrit est celui que l’usage a autorisé ; nam diuturni mores consensu utentium comprobati legem imicantur.

Les coûtumes de France qui sont opposées aux lois proprement dites, c’est-à-dire au droit Romain, & aux ordonnances, édits & déclarations de nos rois, étoient dans leur origine des usages non écrits, qui par succession de tems ont été rédigés par écrit.

Elles ont été formées en partie des usages des anciens Gaulois, en partie du droit Romain, des usages des Germains dont les Francs sont issus, des anciennes lois des Francs ; & autres qui ont été recueillies dans le code des lois antiques, savoir la loi des Visigoths, celle des Bourguignons, la loi salique & celle des Ripuariens, celles des Allemands, Bava-