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Au terme limité ces promesses reviennent trouver l’argent qu’elles ont représenté : à mesure que ce terme approche, la circulation en est plus rapide ; l’argent s’est hâté de passer par un plus grand nombre de mains, & toûjours en concurrence avec les denrées dont il est attiré, & qu’il attire réciproquement. Tant que le commerce répartira l’argent dans toutes les parties de l’état où il y a des denrées, en proportion de la masse générale, ces obligations seront fidélement acquittées : tant que rien n’éludera les effets de l’activité du commerce dans un état, cette répartition sera faite exactement. Ainsi l’effet des obligations circulantes dont nous parlons, est de répéter l’usage de la masse proportionnelle de l’argent dans toutes les parties d’un état : dès-lors elles ont encore l’avantage de n’être le signe des denrées, que dans la proportion de leur prix avec la masse actuelle de l’argent ; parce qu’elles paroissent & disparoissent alternativement du commerce, qu’elles indiquent même qu’elles n’y sont que pour un tems ; au lieu que les autres représentations d’espece restent dans le public comme monnoie : leur abondance a l’effet même de l’abondance de la monnoie ; elle renchérit le prix des denrées sans avoir enrichi l’état. L’avantage des signes permanens n’est pas d’ailleurs intrinsequement plus grand pour la commodité du commerce, ni pour son étendue.

Car tout homme qui peut représenter l’argent dans la confiance publique, par son billet ou sa lettre de change, donne autant que s’il payoit la même somme avec ces représentations monnoies. Il est donc à souhaiter que l’usage des signes momentanés de l’argent s’étende beaucoup, soit en lui accordant toute la faveur que les lois peuvent lui donner, soit peut-être en astreignant les négocians qui ne payent pas sur le champ avec l’argent, de donner leur billet ou une lettre de change. Dans les endroits où l’argent est moins abondant, cette petite gêne auroit besoin qu’on prolongeât les jours de grace ; mais elle auroit des avantages infinis, en mettant les vendeurs en état de joüir du prix de la vente avant son terme.

L’accroissement des consommations est une suite évidente de la facilité de la circulation des denrées, comme celle-ci est inséparable de la circulation facile de la masse d’argent qui a paru dans le commerce. Chaque membre de la société a donc un intérêt immédiat à favoriser autant qu’il est en lui le crédit des autres membres.

Le chef de cette société ou le prince, dont la force & la félicité dépendent du nombre & de l’aisance des citoyens, multiplie l’un & l’autre par la protection qu’il accorde au crédit général.

La simplicité, la rigueur des lois, & la facilité d’obtenir des jugemens sans frais, sont le premier moyen d’augmenter les motifs de la confiance publique.

Un second moyen, sans lequel même elle ne peut exister solidement, sera la sûreté entiere des divers intérêts qui lient l’état avec les particuliers, comme sujets ou comme créanciers.

Après avoir ainsi assûré le crédit des particuliers dans ses circonstances générales, ceux qui gouvernent ne peuvent rien faire de plus utile que de lui donner du mouvement & de l’action. Tous les expédiens propres à animer l’industrie, sont la seule méthode de remplir cette vûe, puisque l’usage du crédit n’aura lieu que lorsque cet usage deviendra utile. Il sera nul absolument dans une province qui n’aura ni rivieres navigables, ni canaux, ni grands chemins praticables ; où des formalités rigoureuses & de hauts droits détruiront les communications naturelles ; dont le peuple ne saura point mettre en œuvre les productions de ses terres ; ou bien dont

l’industrie privée de l’émulation qu’apporte la concurrence, sera encore refroidie par des sujétions ruineuses, par la crainte qu’inspirent les taxes arbitraires ; dans tout pays enfin dont il sortira annuellement plus d’argent, qu’il n’y en peut rentrer dans le même espace de tems.

Crédit public, premiere branche. Nous avons observé plus haut, que la faculté d’emprunter sur l’opinion conçûe de l’assûrance du payement étant appliquée à des compagnies exclusives & à l’état, porte le nom de crédit public ; ce qui le divise naturellement en deux branches.

Les compagnies exclusives ne sont admises chez les peuples intelligens que pour certains commerces, qui exigent des vûes & un système politique dont l’état ne veut pas faire la dépense ou prendre l’embarras ; & que la rivalité ou l’ambition des particuliers auroit peine à suivre. Le crédit de ces compagnies a les mêmes sources que celui des particuliers, il a besoin des mêmes secours ; mais le dépôt en est si considérable, il est tellement lié avec les opérations du gouvernent, que ses conséquences méritent une considération particuliere, & lui assignent le rang de crédit public.

Le capital des compagnies exclusives dont nous parlons, se forme par petites portions, afin que tous les membres de l’état puissent y prendre commodément intérêt. La compagnie est représentée par ceux qui en dirigent les opérations, & les portions d’intérêt le sont par une reconnoissance transportable au gré du porteur.

Cette espece de commerce emporte de grands risques, de grandes dépenses ; & quelque considérables que soient les capitaux, rarement les compagnies sont-elles en état de ne point faire usage de la puissance d’autrui.

Il en résulte deux sortes d’engagemens de la compagnie avec le public : les uns sont les reconnoissances d’intérêt dans le capital ; les autres sont les reconnoissances des dettes contractées à raison des besoins. Ces deux sortes d’engagemens, dont l’un est permanent & l’autre momentané, ont cours comme signes de l’argent.

Si la somme des dettes s’accroît à un point & avec des circonstances qui puissent donner quelque atteinte à la confiance, la valeur d’opinion de l’un & de l’autre effet sera moindre que la valeur qu’ils représentoient dans l’origine.

Il en naîtra deux inconvéniens, l’un intérieur, l’autre extérieur.

Dans une pareille crise, les propriétaires de ces reconnoissances ne seront plus réellement aussi riches qu’ils l’étoient auparavant, puisqu’ils n’en retrouveroient pas le capital en argent. D’un autre côté le nombre de ces obligations aura été fort multiplié ; ainsi beaucoup de particuliers s’en trouveront porteurs : & comme il n’est pas possible de les distinguer, le discrédit de la compagnie entraînera une défiance générale entre tous les citoyens.

Le trouble même qu’apporte dans un état la perte d’une grande somme de crédit, est un sûr garant des soins qu’un gouvernement sage prendra de le rétablir & de le soûtenir. Ainsi les étrangers qui calculeront de sang-froid sur ces sortes d’évenemens, acheteront à bas prix les effets décriés, pour les revendre lorsque la confiance publique les aura rapprochés de leur valeur réelle. Si chez ces étrangers l’intérêt de l’argent est plus bas de moitié que dans l’état que nous supposons, ils pourront profiter des moindres mouvemens dans ces obligations, lors même que les spéculateurs nationaux regarderont ces mouvemens d’un œil indifférent.

Le profit de cet agiotage des étrangers sera une diminution évidente du bénéfice de la balance du