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dont chaque citoyen cherche à se tirer. Dans ces circonstances la banque offre un crédit nouveau, une sûreté réelle toûjours existante, des opérations simples, lucratives, & connues. La confiance qu’elle inspire, celle qu’elle prête elle-même, dissipent en un instant les craintes & les soupçons entre les citoyens.

Les signes des denrées sortent de la prison où la défiance les renfermoit, & rentrent dans le commerce en concurrence avec les denrées : la circulation se rapproche de l’ordre naturel.

La banque apporte dans le commerce le double des valeurs qu’elle a mises en mouvement : ces nouveaux signes ont l’effet de toute augmentation actuelle dans la masse de l’argent, c’est-à-dire que l’industrie s’anime pour les attirer. Chacune de ces deux valeurs donne du mouvement à l’industrie, contribue à donner un plus haut prix aux productions, soit de l’art, soit de la nature ; mais avec des différences essentielles.

Le renouvellement de la circulation de l’ancienne masse d’argent, rend aux denrées la valeur intrinseque qu’elles auroient dû avoir relativement à cette masse, & relativement à la consommation que les étrangers peuvent en faire.

Si d’un côté la multiplication de cette ancienne masse, par les représentations de la banque, étoit en partie nécessaire pour la faire sortir, on conçoit d’ailleurs qu’en la doublant on hausse le prix des denrées à un point excessif en peu de tems. Ce surhaussement sera en raison de l’accroissement des signes qui circuleront dans le commerce, au-delà de l’accroissement des denrées.

Si les signes circulans sont doublés, & que la quantité des denrées n’ait augmenté que de moitié, les prix hausseront d’un quart.

Pour évaluer quel devroit être dans un pays le degré de la multiplication des denrées, en raison de celle des signes, il faudroit connoître l’étendue des terres, leur fertilité, la maniere dont elles sont cultivées, les améliorations dont elles sont susceptibles, la population, la quantité d’hommes occupés, de ceux qui manquent de travail, l’industrie & les manieres générales des habitans, les facilités naturelles, artificielles & politiques pour la circulation intérieure & extérieure ; le prix des denrées étrangeres qui sont en concurrence ; le goût & les moyens des consommateurs. Ce calcul seroit si compliqué, qu’il peut passer pour impossible ; mais plus l’augmentation subite des signes sera excessive, moins il est probable que les denrées se multiplieront dans une proportion raisonnable avec eux.

Si le prix des denrées hausse, il est également vrai de dire que par l’excès de la multiplication des signes sur la multiplication des denrées, & l’activité de la nouvelle circulation, il se rencontre alors moins d’emprunteurs que de prêteurs ; l’argent perd de son prix.

Cette baisse par conséquent sera en raison composée du nombre des prêteurs & des emprunteurs.

Elle soulage les denrées d’une partie des frais que font les négocians pour les revendre. Ces frais diminués sont l’intérêt des avances des négocians, l’évaluation des risques qu’ils courent, le prix de leur travail : les deux derniers sont toûjours réglés sur le taux du premier, & on les estime communément au double. De ces trois premieres diminutions résultent encore le meilleur marché de la navigation, & une moindre évaluation des risques de la mer.

Quoique ces épargnes soient considérables, elles ne diminuent point intrinsequement la valeur premiere des denrées nationales ; il est évident qu’elles ne la diminuent que relativement aux autres peuples qui vendent les mêmes denrées en concurrence, sou-

tiennent l’intérêt de leur argent plus cher en raison

de la masse qu’ils possedent. Si ces peuples venoient à baisser les intérêts chez eux dans la même proportion, ce seroit la valeur premiere des denrées qui décideroit de la supériorité, toutes choses égales d’ailleurs.

Quoique j’aye rapproché autant qu’il a dépendu de moi les conséquences de leurs principes, il n’est point inutile d’en retracer l’ordre en peu de mots.

Nous avons vû la banque ranimer la circulation des denrées, & rétablir le crédit général par la multiplication actuelle des signes : d’où résultoit une double cause d’augmentation dans le prix de toutes choses, l’une naturelle & salutaire, l’autre forcée & dangereuse. L’inconvénient de cette derniere se corrige en partie relativement à la concurrence des autres peuples par la diminution des intérêts.

De ces divers raisonnemens on peut donc conclure, que par tout où la circulation & le crédit joüissent d’une certaine activité, les banques sont inutiles, & même dangereuses. Nous avons remarqué en parlant de la circulation de l’argent, que ses principes sont nécessairement ceux du crédit même, qui n’en est que l’image : la même méthode les conserve & les anime. Elle consiste, 1o. dans les bonnes lois bien exécutées contre l’abus de la confiance d’autrui. 2o. Dans la sûreté des divers intérêts qui lient l’état avec les particuliers comme sujets ou comme créanciers. 3o. A employer tous les moyens naturels, artificiels, & politiques qui peuvent favoriser l’industrie & le commerce étranger ; ce qui emporte avec soi une finance subordonnée au commerce. J’ai souvent insisté sur cette derniere maxime, parce que sans elle tous les efforts en faveur du commerce seront vains. J’en ai précédemment traité dans un ouvrage particulier, auquel j’ose renvoyer ceux qui se sentent le courage de développer des germes abandonnés à la sagacité du lecteur.

Si quelqu’une de ces regles est négligée, nulle banque, nulle puissance humaine n’établira parmi les hommes une confiance parfaite & réciproque dans leurs engagemens : elle dépend de l’opinion, c’est-à-dire de la persuasion ou de la conviction.

Si ces regles sont suivies dans toute leur étendue, le crédit général s’établira sûrement.

L’augmentation des prix au renouvellement du crédit, ne sera qu’en proportion de la masse actuelle de l’argent, & de la consommation des étrangers. L’augmentation des prix par l’introduction continuelle d’une nouvelle quantité de métaux, & la concurrence des négocians, par l’extension du commerce, conduiront à la diminution des bénéfices : cette diminution des bénéfices & l’accroissement de l’aisance générale feront baisser les intérêts comme dans l’hypothèse d’une banque : mais la réduction des intérêts sera bien plus avantageuse dans le cas présent que dans l’autre, en ce que la valeur premiere des denrées ne sera pas également augmentée.

Pour concevoir cette différence, il faut se rappeller trois principes déjà répétés plusieurs fois, sur-tout en parlant de la circulation de l’argent.

L’aisance du peuple dépend de l’activité de la circulation des denrées : cette circulation est active en raison de la répartition proportionnelle de la masse quelconque des métaux ou des signes, & non en raison de la répartition proportionnelle d’une grande masse de métaux ou de signes : la diminution des intérêts est toûjours en raison composée du nombre des prêteurs & des emprunteurs.

Ainsi à égalité de répartition proportionnelle d’une masse inégale de signes, l’aisance du peuple sera relativement la même ; il y aura relativement même proportion entre le nombre des emprunteurs & des prêteurs, l’intérêt de l’argent sera le même.