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glaisées, & l’on y seme peu de luserne ; on se contente d’y recueillir du froment ou du segle après une année de repos. Tous à la vérité sement des navets, mais en général ces laboureurs usent leurs terres par des récoltes successives, & qui dès lors sont peu abondantes. Ceux qui ne glaisent point laissent pour la plûpart leurs champs ouverts ; d’autres glaisent & ne ferment point non plus leurs pieces de terres, par conséquent ils perdent l’avantage des prairies artificielles.

Il s’agit maintenant d’expliquer en quoi consiste cet avantage, & comment il est plus considérable dans nos terres qu’ailleurs.

J’ai dit que le revenu ordinaire de nos meilleures terres est de 5 à 8 s. par acre. Lorsqu’un homme en possede en entier une certaine étendue, il peut y faire avec profit les améliorations dont nous parlons ; mais en général c’est dans les défrichemens qu’il y a le plus à gagner.

Les terres en pacage sont estimées communément du produit de 2 à 4 s. par acre. Lorsqu’elles avoient nourri des moutons pendant sept, dix ou quinze ans, l’usage étoit de les labourer ; elles donnoient communément une récolte de segle, qui étoit suivie par une autre d’orge ou d’avoine. Ces terres retournoient ensuite en pacage pour autant de tems, & d’autres prenoient leur place. Au bout de quelques années elles se trouvoient couvertes d’une croûte dure & assez mince.

C’est dans cet état que je les prends. On répand sur la surface de chaque acre environ quarante à quarante-six charretées de glaise grasse. La moins dure est réputée la meilleure ; elle est grisâtre, au lieu que notre marne est brune. On pensoit autrefois que la marne étoit la seule substance capable de féconder ces terres ; mais l’expérience a prouvé que la glaise est préférable dans les terres chaudes & légeres. Il est d’ailleurs plus facile de se la procurer. Il est rare que sur trente à quarante acres de terre, il ne s’en trouve pas quelque veine. Si elle étoit éloignée, la dépense deviendroit trop considérable.

Les puits que l’on creuse retiennent l’eau pour l’ordinaire, & forment un réservoir dans chaque piece de terre ; avantage que j’ai souvent entendu évaluer par nos fermiers à un quart du revenu d’un champ, lorsque les bestiaux y paissent en été ; ce qui arrive deux fois en cinq ans.

La clôture de ces pieces de terre est une haie alignée d’épine blanche. A chaque perche de distance (16 piés ) nous plantons un chêne. Plusieurs qui l’ont été dans le tems où l’on a commencé à clore les pieces de terre, promettent de très beau bois de construction à la prochaine génération. Ces haies croissent fort hautes, & forment avec les arbres un abri très-salutaire tant aux grains qu’aux bestiaux.

Dans nos terres nouvellement défrichées, nous semons rarement autre chose que des navets pour la premiere fois. Les façons que l’on donne à la terre la purgent des mauvaises herbes, & aident à la mêler avec l’engrais qui a été répandu sur la surface. Ce dernier objet est perfectionné par la récolte des navets, soit qu’on les leve de terre pour nourrir les bestiaux pendant l’hyver, soit qu’on les fasse manger sur le lieu. La seconde méthode est préférable, elle améliore la terre & opere mieux le mêlange. Si cependant le champ est sujet à être trop mouillé pendant l’hyver, on transporte les navets dans une autre piece ; mais comme cette terre est bénéficiée, elle paye suffisamment cette dépense sur sa récolte. Après les turnipes vient l’orge ou l’avoine. Avec l’une ou l’autre on seme de la graine de luzerne qui produit une récolte pour l’année suivante, soit qu’on la fauche, soit qu’on la laisse paître par les bes-

tiaux. Le froment succede régulierement à la luzerne,

& de cette façon on ne perd aucune moisson. La terre reçoit quelquefois jusqu’à trois labours, mais le plus souvent on se contente d’un seul. Les racines de luzerne ou de trefle se trouvant labourées & enfoncées dans le sillon, il en pourroit résulter que la terre se chargeroit d’herbes ; on y remédie en semant des navets ou turnipes immédiatement après le froment. Si cependant la récolte du froment s’est trouvée nette, on la remplace par de l’orge.

Au moyen de cette culture nous semons cinq fois plus de froment que nous ne faisions, & deux fois plus d’orge. Le froment nous rend trois fois plus qu’il ne faisoit, & l’orge deux fois seulement.

Le pays est devenu plus agréable à la vûe au moyen des plantations, qui forment en même-tems un abri salutaire contre l’ardeur du soleil & la violence des vents ; il y a trois fois plus de travail qui soutient le double de familles qu’il n’y en avoit auparavant ; & quoique notre population se soit si fort accrue, nous avons les denrées à meilleur marché. Une ancienne ferme est partagée en deux, trois ou quatre, suivant sa force. On a construit de nouveaux bâtimens, les anciens sont réparés, toutes les maisons sont de brique : chaque jour nos chefs-lieux & nos marchés deviennent plus considérables. Il s’y trouve déjà dix fois plus de maisons qu’il n’y en avoit ; le nombre des ouvriers s’est multiplié dans la même proportion. Nos gentilshommes ont doublé leurs revenus, & quelques-uns l’ont augmenté par-delà, suivant que la terre s’est trouvée plus ou moins propre à recevoir les améliorations. M. Morley de Barsham retire 800 livres sterling d’un bien qui n’étoit loüé, il y a quelques années, que 180 livres. Il y a une ferme à Scultorque, qui, à ce qu’on m’a assûré, a monté de 18 livres à 240 livres sterling. Ces exemples sont rares : cependant nos terres sont communément loüées de 9 à 12 s. sterling par acre, dixme payée (de 11 liv. à 14 liv. tournois), & les fermiers sont à leur aise. Plusieurs dans des baux de 21 ans, sur des terres affermées à l’ancien taux, ont gagné des dix mille livres sterling & plus.

La glaise que nous mettons sur nos champs est une terre neuve, dont le mêlange avec l’autre en fait une grasse, mais en même tems chaude & legere. Nous recueillons quatre quarters & plus de froment par acre, quoique nous labourions avec des chevaux de 40 s. à 3 liv. piece. Un petit garçon les conduit, & laboure ses deux acres par jour : tandis que dans presque tout le reste de l’Angleterre on laboure avec quatre chevaux, même six ; & deux hommes ont de la peine à labourer trois quarts d’acre par jour. Les provinces d’Essex & d’Hartford passent pour les plus fertiles du royaume ; c’est ainsi qu’on y laboure. Jamais on n’y fait une récolte de froment sans laisser reposer la terre ; les aféagemens y sont plus chers : il faut pour que le fermier vive, que le froment vaille 12 livres le last (26 à 27 livres le setier de Paris), tandis qu’à ce prix les nôtres s’enrichissent.

Il ne faut pas croire que cette amélioration ne dure qu’un certain nombre d’années : nous sommes convaincus que si la qualité de la glaise est bonne, que la terre soit bien conduite, c’est-à-dire si les champs sont fermés, la luzerne & les turnipes semés à propos, c’est pour toûjours. Nous avons des terres ainsi améliorées depuis 30, 40, 50, & même 60 ans, qui sont aussi fertiles que celles qu’on a défrichées depuis peu. Il n’y a eu de différence que pendant les cinq ou six premieres moissons, qui sont réellement prodigieuses. Après tout, on peut se procurer ce bénéfice en faisant tous les 30 ans la dépense d’y répandre environ 20 à 30 charretées : elle est toûjours bien assurément payée.

J’ai dit que notre terre en général est molle & pro-