Voilà précisément la voyelle. Chaque voyelle exige que les organes de la bouche soient dans la situation requise pour faire prendre à l’air qui sort de la trachée-artere la modification propre à exciter le son de telle ou telle voyelle. La situation qui doit faire entendre l’a, n’est pas la même que celle qui doit exciter le son de l’i ; ainsi des autres.
Tant que la situation des organes subsiste dans le même état, on entend la même voyelle aussi long-tems que la respiration peut fournir d’air. Les poumons sont à cet égard ce que les soufflets sont à l’orgue.
Selon ce que nous venons d’observer, il fuit que le nombre des voyelles est bien plus grand qu’on ne le dit communément.
Tout son qui ne résulte que d’une situation d’organes sans exiger aucun battement ni mouvement qui survienne aux parties de la bouche, & qui peut être continué aussi long-tems que l’espiration peut fournir d’air ; un tel son est une voyelle. Ainsi a, â, é, è, ê, i, o, ô, u ou eu, & sa foible e muet, & les nazales an, en, &c. Tous ces sons-là sont autant de voyelles particulieres, tant celles qui ne sont écrites que par un seul caractere, telles que a, e, i, o, u, que celles qui, faute d’un caractere propre, sont écrites par plusieurs lettres, telles que ou, eu, oient, &c. Ce n’est pas la maniere d’écrire qui fait la voyelle, c’est la simplicité du son qui ne dépend que d’une situation d’organes, & qui peut être continué : ainsi au, eau, ou, eu, ayent, &c. quoiqu’écrits par plus d’une lettre, n’en sont pas moins de simples voyelles. Nous avons donc la voyelle u & la voyelle ou ; les Italiens n’ont que l’ou, qu’ils écrivent par le simple u, Nous avons de plus la voyelle eu, feu, lieu ; l’e muet en est la foible, & est aussi une voyelle particuliere.
Il n’en est pas de même de la consonne ; elle ne dépend pas comme la voyelle d’une situation d’organes, qui puisse être permanente, elle est l’effet d’une action passagere, d’un trémoussement, ou d’un mouvement momentanée [écrivez momentanée par deux ee, telle est l’analogie des mots françois, qui viennent de mots latins eu, eus. c’est ainsi que l’on dit les champs élisées, les monts pyrenées, le colisée, & non le colisé, le fleuve alphée, & non le fleuve alphé, fluvius alpheus. Voyez le dictionn. de l’Académie, celui de Trévoux, & celui de Joubert aux mots momentanée & spontanée] de quelque organe de la parole, comme de la langue, des levres, &c. ensorte que si j’ai comparé la voyelle au son qui résulte d’un tuyau d’orgue ou du trou d’une flûte, je croi pouvoir comparer la consonne à l’effet que produit le battant d’une cloche, ou le marteau sur l’enclume ; fournissez de l’air à un tuyau d’un orgue ou au trou d’une flûte, vous entendrez toûjours le même son, au lieu qu’il faut répéter les coups du battant de la cloche & ceux du marteau de l’enclume : pour avoir encore le son qu’on a entendu la premiere fois ; de même si vous cessez de répéter le mouvement des levres qui a fait entendre le be ou le pe ; si vous ne redoublez point le trémoussement de la langue qui a produit le re, on n’entendra plus ces consonnes. On n’entend de son que par les trémoussemens que les parties sonores de l’air reçoivent des divers corps qui les agitent : or l’action des levres ou les agitations de la langue, donnent à l’air qui sort de la bouche la modification propre à faire entendre telle ou telle consonne. Or si après une telle modification, l’émission de l’air qui l’a reçue dure encore, la bouche demeurant nécessairement ouverte pour donner passage à l’air, & les organes se trouvant dans la situation qui a fait entendre la voyelle, le son de cette voyelle pourra être continue aussi long-tems que l’émission de l’air
L’union ou combinaison d’une consonne avec une voyelle, ne peut se faire que par une même émission de voix ; cette union est appellée articulation. Il y a des articulations simples, & d’autres qui sont plus ou moins composées : ce que M. Harduin secrétaire de la société litteraire d’Arras, a extrèmement bien développé dans un mémoire particulier. Cette combinaison se fait d’une maniere successive, & elle ne peut être que momentanée. L’oreille distingue l’effet du battement & celui de la situation : elle entend séparement l’un après l’autre : par exemple, dans la syllabe ba, l’oreille entend d’abord le b, ensuite l’a ; & l’on garde ce même ordre quand on écrit les lettres qui font les syllabes, & les syllabes qui font les mots.
Enfin cette union est de peu de durée, parce qu’il ne seroit pas possible que les organes de la parole fussent en même tems en deux états, qui ont chacun leur effet propre & différent. Ce que nous venons d’observer à l’égard de la consonne qui entre dans la composition d’une syllabe, arrive aussi par la même raison dans les deux voyelles qui font une diphtongue, comme ui, dans lui, nuit, bruit, &c. L’u est entendu le premier, & il n’y a que le son de l’i qui puisse être continué, parce que la situation des organes qui forme l’i, a succédé subitement à celle qui avoit fait entendre l’u.
L’articulation ou combinaison d’une consonne avec une voyelle fait une syllabe ; cependant une seule voyelle fait aussi fort souvent une syllabe. La syllabe est un son ou simple ou composé, prononcé par une seule impulsion de voix, a-jou-té, ré-u-ni, cré-é, cri-a, il-y-a.
Les syllabes qui sont terminées par des consonnes sont toûjours suivies d’un son foible, qui est regardé comme un e muet ; c’est le nom que l’on donne à l’effet de la derniere ondulation ou du dernier tremoussement de l’air sonore, c’est le dernier ébranlement que le nerf auditif reçoit de cet air : je veux dire que cet e muet foible n’est pas de même nature que l’e muet excité à dessein, tel que l’e de la fin des mots vu-e, vi-e, & tels que sont tous les e de nos rimes féminines. Ainsi il y a bien de la différence entre le son foible que l’on entend à la fin du mot Michel & le dernier du mot Michele, entre bel & belle, entre coq & coque, entre Job & robe ; bal ; & balle, cap & cape, Siam & ame, &c.
S’il y a dans un mot plusieurs consonnes de suite, il faut toûjours supposer entre chaque consonne cet e foible & fort bref, il est comme le son que l’on distingue entre chaque coup de marteau quand il y en a plusieurs qui se suivent d’aussi près qu’il est possible. Ces réflexions font voir que l’e muet foible est dans toutes les langues.
Recueillons de ce que nous avons dit, que la voyelle est le son qui résulte de la situation où les organes de la parole se trouvent dans le tems que l’air de la voix sort de la trachée-artere, & que la consonne est l’effet de la modification passagere que cet air reçoit de l’action momentanée de quelque organe particulier de la parole.
C’est relativement à chacun de ces organes, que dans toutes les langues on divise les lettres en certaines classes où elles sont nommées du nom de l’organe particulier, qui paroît contribuer le plus à leur formation. Ainsi les unes sont appellées labiales, d’autres linguales, ou bien palatiales, ou dentales, ou nazales, ou gutturales. Quelques-unes peuvent être dans l’une & dans l’autre de ces classes, lorsque divers organes concourent à leur formation.
1o. Labiales, b, p, f, v, m.
2o. Linguales, d, e, n, l, r.