Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/696

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prononciation, soit par rapport à la durée des mesures, soit par rapport à l’intonnation des accens ; & il est probable que dans les leçons qu’ils leur donnoient à étudier, ils se servoient des notes dont les Grammairiens postérieurs ont parlé. Nous serions obligés d’user des mêmes moyens, si nous avions à former pour notre théatre un acteur normand ou provençal, quelqu’intelligence qu’il eût d’ailleurs. Si de pareils soins seroient nécessaires pour une prosodie aussi simple que la nôtre, combien en devoit-on prendre avec des étrangers pour une prosodie qui avoit quelques-uns des caracteres du chant ? Il est assez vraissemblable qu’outre les marques de la prononciation réguliere, on devoit employer pour une déclamation théatrale qui avoit besoin d’un accompagnement des notes pour les élevations & les abaissemens de voix d’une quantité déterminée, pour la valeur précise des mesures, pour presser ou rallentir la prononciation, l’interrompre, l’entrecouper, augmenter ou diminuer la force de la voix, &c.

Voilà quelle devoit être la fonction de ceux que Quintilien nomme artifices pronuntiandi. Mais tous ces secours n’ont encore rien de commun avec la déclamation considérée comme étant l’expression des sentimens & de l’agitation de l’ame. Cette expression est si peu du ressort de la note, que dans plusieurs morceaux de musique les compositeurs sont obligés d’écrire en marge dans quel caractere ces morceaux doivent être exécutés. La parole s’écrit, le chant se note ; mais la déclamation expressive de l’ame ne se prescrit point ; nous n’y sommes conduits que par l’émotion qu’excitent en nous les passions qui nous agitent. Les acteurs ne mettent de vérité dans leur jeu, qu’autant qu’ils excitent en nous une partie de ces émotions. Si vis me flere, dolendum est, &c.

A l’égard de la simple récitation, celle des Romains étant si différente de la nôtre, ce qui pouvoit être d’usage alors ne pourroit s’employer aujourd’hui. Ce n’est pas que nous n’ayons une prosodie à laquelle nous ne pourrions manquer sans choquer sensiblement l’oreille : un auteur ou un orateur qui emploiroit un é fermé bref au lieu d’un é ouvert long, révolteroit un auditoire, & paroitroit étranger au plus ignorant des auditeurs instruit par le simple usage ; car l’usage est le grand-maître de la prononciation, sans quoi les regles surchargeroient inutilement la mémoire.

Je crois avoir montré à quoi pouvoient se réduire les prétendues notes déclamatoires des anciens, & la vanité du système proposé à notre égard. En reconnoissant les anciens pour nos maîtres & nos modeles, ne leur donnons pas une supériorité imaginaire : le plus grand obstacle pour les égaler est de les regarder comme inimitables. Tâchons de nous préserver également de l’ingratitude & de la superstition littéraire.

Nos qui sequimur probabilia, nec ultra id quod verisimile occurrit progredi possumus, & refellere sine pertinaciâ, & refelli sine iracundiâ, parati sumus. Cicér. Tuscul. 2.

Déclamation, (Musiq.) c’est le nom qu’on donne au chant de scene que les Musiciens ont appellé improprement récitatif. Voyez Récitatif. Cette espece de déclamation n’est & ne doit être autre chose que l’expression en chant du sentiment qu’expriment les paroles. Voyez Expression.

Les vieillards attachés aux beaux vers de Quinault, qu’ils ont appris dans leur jeunesse avec le chant de Lulli, reprochent aux opéra modernes qu’il y a trop peu de vers de déclamation. Les jeunes gens qui ont savouré le brillant, la variété, le feu de la nouvelle Musique, sont ennuyés de la trop grande quantité de déclamation des opéra anciens. Les gens de goût qui savent évaluer les choses, qu’aucun pré-

jugé n’entraîne, & qui desirent le progrès de l’art,

veulent que l’on conserve avec soin la belle déclamation dans nos opéra, & qu’elle y soit unie à des divertissemens ingénieux, à des tableaux de musique, à des chants legers, &c. & enfin ils pensent que la déclamation doit être la base & comme les gros murs de l’édifice, & que toutes les autres parties doivent concourir pour en former les embellissemens.

Le succès des scenes de déclamation dépend presque toûjours du poëte : on ne connoît point de scene bien faite dans ce genre qui ait été manquée par un musicien, quelque médiocre qu’il ait été d’ailleurs. Le chant de celles de Médée & Jason a été fait par l’abbé Pelegrin, qui n’étoit rien moins que musicien sublime.

L’effort du génie a été d’abord de trouver le chant propre à la langue & au genre : il en est de cette invention comme de presque toutes les autres ; les premiers raiyons de lumiere que l’inventeur a répandus ont suffi pour éclairer ceux qui sont venus après lui : Lulli a fait la découverte ; ce qui sera prouvé à l’article Récitatif. (B)

Déclamation, (Belles-lettres.) discours ou harangue sur un sujet de pure invention que les anciens rhéteurs faisoient prononcer en public à leurs écoliers afin de les exercer.

Chez les Grecs la déclamation prise en ce sens étoit l’art de parler indifféremment sur toutes sortes de sujets, & de soûtenir également le pour & le contre, de faire paroître juste ce qui étoit injuste, & de détruire au moins de combattre les plus solides raisons. C’étoit l’art des sophistes que Socrate avoit décrédité, mais que Démétrius de Phalere remit depuis en vogue. Ces sortes d’exercices, comme le remarque M. de S. Evremont, n’étoient propres qu’à mettre de la fausseté dans l’esprit & à gâter le goût, en accoûtumant les jeunes gens à cultiver leur imagination plûtôt qu’à former leur jugement, & à chercher des vraissemblances pour en imposer aux auditeurs, plûtôt que de bonnes raisons pour les convaincre. Voyez Sophiste.

Déclamation est un mot connu dans Horace, & plus encore dans Juvénal ; mais il ne le fut point à Rome avant Cicéron & Calvus. Ce fut par ces sortes de compositions que dans sa jeunesse ce grand orateur se forma à l’éloquence. Comme elles étoient un image de ce qui se passoit dans les conseils & au barreau, tous ceux qui aspiroient à l’éloquence, ou qui vouloient s’y perfectionner, c’est-à-dire les premieres personnes de l’état, s’appliquoient à ces exercices, qui étoient tantôt dans le genre délibératif, & tantôt dans le judiciaire, rarement dans le démonstratif. On croit qu’un rhéteur nommé Plotius Gallus en introduisit le premier l’usage à Rome.

Tant que ces déclamations se tinrent dans de justes bornes, & qu’elles imiterent parfaitement la forme & le style des véritables plaidoyers, elles furent d’une grande utilité ; car les premiers rhéteurs latins les avoient conçues d’une toute autre maniere que n’avoient fait les sophistes grecs : mais elles dégénérerent bien-tôt par l’ignorance & le mauvais gout des maîtres. On choisissoit des sujets fabuleux tout extraordinaires, & qui n’avoient aucun rapport aux matieres du barreau. Le style répondoit au choix des sujets : ce n’étoient qu’expressions recherchées, pensées brillantes, pointes, antitheses, jeux de mots, figures outrées, vaine enflure, en un mot ornemens puériles entassés sans jugement, comme on peut s’en convaincre par la lecture d’une ou de deux de ces pieces recueillies par Seneque : ce qui faisoit dire à Pétrone que les jeunes gens sortoient des écoles publiques avec un goût gâté, n’y ayant rien vû ni entendu de ce qui est d’usage, mais des imagina-