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la construction simple. C’est pourtant à cet ordre qu’il faut tout ramener, si l’on veut pénétrer la raison des différentes modifications que les mots reçoivent dans le discours. Car, comme nous l’avons déjà remarqué, les constructions figurées ne sont entendues que parce que l’esprit en rectifie l’irrégularité par le secours des idées accessoires, qui font concevoir ce qu’on lit & ce qu’on entend, comme si le sens étoit énoncé dans l’ordre de la construction simple.

C’est par ce motif, sans doute, que dans les écoles où l’on enseigne le latin, sur-tout selon la méthode de l’explication, les maîtres habiles commencent par arranger les mots selon l’ordre dont nous parlons, & c’est ce qu’on appelle faire la construction ; après quoi on accoûtume les jeunes gens à l’élégance, par de fréquentes lectures du texte dont ils entendent alors le sens, bien mieux & avec plus de fruit que si l’on avoit commencé par le texte sans le réduire à la construction simple.

Hé, n’est-ce pas ainsi que quand on enseigne quelqu’un des Arts libéraux, tel que la Danse, la Musique, la Peinture, l’Écriture, &c. on mene long-tems les jeunes éleves comme par la main, on les fait passer par ce qu’il y a de plus simple & de plus facile ; on leur montre les fondemens & les principes de l’art, & on les mene ensuite sans peine à ce que l’art a de plus sublime.

Ainsi, quoi qu’en puissent dire quelques personnes peu accoûtumées à l’exactitude du raisonnement, & à remonter en tout aux vrais principes, la méthode dont je parle est extrèmement utile. Je vais en exposer ici les fondemens, & donner les connoissances nécessaires pour la pratiquer avec succès.

Du discours consideré grammaticalement, & des parties qui le composent. Le discours est un assemblage de propositions, d’énonciations, & de périodes, qui toutes doivent se rapporter à un but principal.

La proposition est un assemblage de mots, qui, par le concours des différens rapports qu’ils ont entr’eux, énoncent un jugement ou quelque considération particuliere de l’esprit, qui regarde un objet comme tel.

Cette considération de l’esprit peut se faire en plusieurs manieres différentes, & ce sont ces différentes manieres qui ont donné lieu aux modes des verbes.

Les mots, dont l’assemblage forme un sens, sont donc ou le signe d’un jugement, ou l’expression d’un simple regard de l’esprit qui considere un objet avec telle ou telle modification : ce qu’il faut bien distinguer.

Juger, c’est penser qu’un objet est de telle ou telle façon ; c’est affirmer ou nier ; c’est décider relativement à l’état où l’on suppose que les objets sont en eux-mêmes. Nos jugemens sont donc ou affirmatifs ou négatifs. La terre tourne autour du soleil ; voilà un jugement affirmatif. Le soleil ne tourne point autour de la terre ; voilà un jugement négatif. Toutes les propositions exprimées par le mode indicatif énoncent autant de jugemens : je chante, je chantois, j’ai chanté, j’avois chanté, je chanterai ; ce sont là autant de propositions affirmatives, qui deviennent négatives par la seule addition des particules ne, non, ne pas, &c.

Ces propositions marquent un état réel de l’objet dont on juge : je veux dire que nous supposons alors que l’objet est ou qu’il a été, ou enfin qu’il sera tel que nous le disons indépendamment de notre maniere de penser.

Mais quand je dis soyez sage, ce n’est que dans mon esprit que je rapporte à vous la perception ou idée d’être sage, sans rien énoncer, au moins directement, de votre état actuel ; je ne fais que dire ce que je souhaite que vous soyez : l’action de mon es-

prit n’a que cela pour objet, & non d’énoncer que vous êtes sage ni que vous ne l’êtes point. Il en est de même de ces autres phrases, si vous étiez sage, afin que vous soyez sage ; & même des phrases énoncées dans un sens abstrait par l’infinitif, Pierre être sage. Dans toutes ces phrases il y a toujours le signe de l’action de l’esprit qui applique, qui rapporte, qui adapte une perception ou une qualification à un objet, mais qui l’adapte, ou avec la forme de commandement, ou avec celle de condition, de souhait, de dépendance, &c. mais il n’y a point là de décision qui affirme ou qui nie relativement à l’état positif de l’objet.

Voilà une différence essentielle entre les propositions : les unes sont directement affirmatives ou négatives, & énoncent des jugemens ; les autres n’entrent dans le discours que pour y énoncer certaines vûes de l’esprit ; ainsi elles peuvent être appellées simplement énonciations.

Tous les modes du verbe, autre que l’indicatif, nous donnent de ces sortes d’énonciations, même l’infinitif, sur-tout en latin ; ce que nous expliquerons bien-tôt plus en détail. Il suffit maintenant d’observer cette premiere division générale de la proposition.

Proposition directe énoncée par le mode indicatif.

Proposition oblique ou simple énonciation exprimée par quelqu’un des autres modes du verbe.

Il ne sera pas inutile d’observer que les propositions & les énonciations sont quelquefois appellées phrases : mais phrase est un mot générique qui se dit de tout assemblage de mots liés entr’eux, soit qu’ils fassent un sens fini, ou que ce sens ne soit qu’incomplet.

Ce mot phrase se dit plus particulierement d’une façon de parler, d’un tour d’expression, entant que les mots y sont construits & assemblés d’une maniere particuliere. Par exemple, on dit est une phrase françoise ; hoc dicitur est une phrase latine : si dice est une phrase italienne : il y a long-tems est une phrase françoise ; e molto tempo est une phrase italienne : voilà autant de manieres différentes d’analyser & de rendre la pensée. Quand on veut rendre raison d’une phrase, il faut toujours la réduire à la proposition, & en achever le sens, pour démêler exactement les rapports que les mots ont entr’eux selon l’usage de la langue dont il s’agit.

Des parties de la proposition & de l’énonciation. La proposition a deux parties essentielles : 1°. le sujet : 2°. l’attribut. Il en est de même de l’énonciation.

1°. Le sujet ; c’est le mot qui marque la personne ou la chose dont on juge, ou que l’on regarde avec telle ou telle qualité ou modification.

2°. L’attribut ; ce sont les mots qui marquent ce que l’on juge du sujet, ou ce que l’on regarde comme mode du sujet.

L’attribut contient essentiellement le verbe, parce que le verbe est dit du sujet, & marque l’action de l’esprit qui considere le sujet comme étant de telle ou telle façon, comme ayant ou faisant telle ou telle chose. Observez donc que l’attribut commence toujours par le verbe.

Différentes sortes de sujets. Il y a quatre sortes de sujets : 1°. sujet simple, tant au singulier qu’au pluriel : 2°. sujet multiple : 3°. sujet complexe : 4°. sujet énoncé par plusieurs mots qui forment un sens total, & qui sont équivalens à un nom.

1°. Sujet simple, énoncé en un seul mot : le soleil est levé, le soleil est le sujet simple au singulier. Les astres brillent, les astres sont le sujet simple au pluriel.

2°. Sujet multiple ; c’est lorsque pour abreger, on donne un attribut commun à plusieurs objets différens : la foi, l’espérance, & la charité sont trois vertus