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cellulaire de quelque autre partie : comme font un fœtus trop grand ou mort dans la matrice, un calcul dans les reins ou dans la vessie : comme on l’éprouve par le poids des visceres enflammés, obstrués, skirrheux ; ou par celui du sang, lorsqu’il est ramassé en assez grande quantité & sans mouvement dans quelqu’un de ses vaisseaux. C’est à cette espece de douleur que l’on doit rapporter celle qu’éprouvent les voyageurs à pié, qui après s’être arrêtés, ressentent une lassitude gravative, occasionnée par une suite du relâchement qui se fait dans toutes les fibres charnues, pour avoir été trop tiraillés par l’action musculaire trop long-tems continuée ; d’où résultent des engorgemens dans tous les membres, qui ne retenant pas ordinairement tant de fluides, éprouvent un sentiment de pesanteur extraordinaire par la distraction des fibres des vaisseaux engorgés. On appelle stupeur gravative, le sentiment que l’on éprouve après l’engourdissement d’un membre par compression d’un nerf qui s’y distribue, ou par quelqu’autre cause que ce soit.

3°. La douleur pulsative est produite par une distension de nerfs, augmentée par un mouvement distractile, qui répond à la pulsation des arteres, c’est-à-dire à leur dilatation : celle-ci en est effectivement la cause immédiate, parce que le plus grand abord des fluides augmente le volume de la partie souffrante, lui donne plus de tension, & par conséquent distend aussi davantage les nerfs qui se trouvent dans son tissu. Cette espece de douleur a principalement lieu dans les parties où il se fait une grande distribution de nerfs, comme dans la peau, les membranes, les parties tendineuses, rarement & presque point du tout dans les visceres mous, comme la rate, les poumons, &c. On appelle lancinante, la douleur pulsative, lorsqu’elle est augmentée au point de faire craindre à chaque pulsation que la partie ne s’entr’ouvre par une solution de continuité.

4°. Enfin la douleur pungitive est accompagnée d’un sentiment aigu, comme d’un corps dur & pointu qui pénetre la partie souffrante ; ainsi elle peut être causée par tout ce qui a de la disposition à piquer, à percer les parties nerveuses ; soit au-dehors par tous les corps ambients, tant méchaniques que physiques ; soit au-dedans par l’effet des humeurs âcres, ou de celles qui réunissant leur action vers un seul point, ensuite du mouvement qui leur est communiqué dans un lieu resserré, écartent les fibres nerveuses, & produisent un sentiment approchant à la piquûre, comme il arrive dans l’éruption de certaines pustules. On donne aussi différens noms à la douleur pungitive ; on l’appelle terebrante, si la surface de la partie souffrante est plus étendue qu’une pointe, & que l’on se représente la douleur comme l’effet d’une tarriere qui pénetre bien avant dans le siége de la douleur ; c’est ce qui arrive lorsque les furoncles sont sur le point de suppurer. La matiere qui agit contre la pointe & tous les parois de l’abcès, cause un sentiment douloureux qui fait naître l’idée dans l’ame de l’action du trépan, appliqué à la peau dans toute son épaisseur. On appelle fourmillement, le sentiment qu’excite une piquûre legere, multipliée, & vague, qui a rapport à l’impression que peuvent faire des fourmis en marchant sur une partie sensible : on éprouve cette espece de sentiment desagréable, à la suite des engourdissemens des membres, par le retour du sang & des autres liquides dans les vaisseaux, d’où ils avoient été détournés par la compression, &c. il se fait un écartement de leurs parties resserrées, qui en admettant les humeurs, éprouvent un leger tiraillement dans leurs tuniques nerveuses, contre lesquelles elles heurtent, pour les dilater. On appelle enfin prurigineuse, l’espece de douleur qui représente à l’ame l’action d’une puissance,

qui cause une espece d’érosion sur la partie souffrante : lorsque l’érosion est legere, on la nomme demangeaison : lorsqu’elle est plus forte, & accompagnée d’un sentiment de chaleur, on la nomme douleur âcre : lorsqu’elle est très-violente, on lui donne le nom de douleur mordicante, corrosive.

On peut aisément rapporter toute sorte de douleur à quelqu’une de celles qui viennent d’être mentionnées, selon qu’elle participe plus ou moins des unes ou des autres especes, dans lesquelles la douleur peut être, ou continue ou intermittente, égale ou inégale, fixe ou erratique, &c.

Après avoir exposé les causes & les différences de la douleur, l’ordre conduit à dire quelque chose de ses effets, qui sont proportionnés à son intensité & aux circonstances qui l’accompagnent.

Comme il est de l’animal de faire tous ses efforts pour faire cesser un sentiment desagréable, sur-tout lorsqu’il tend à la destruction du corps, c’est ce qui fait que les hommes qui souffrent dans quelque partie que ce soit, cherchent par différentes situations & par une agitation continuelle à diminuer la cause de la douleur, dans l’espérance de trouver une attitude qui en empêche l’effet en procurant le relâchement aux parties trop tendues ; c’est pourquoi on se tient, le tronc plié, courbé dans la plûpart des coliques, &c. de-là les inquiétudes & les mouvemens continuels de ceux qui éprouvent de grandes douleurs : de-là les insomnies, tout ce qui affecte vivement les organes des sens, empêche le sommeil ; à plus forte raison ce qui affecte le cerveau, pour y imprimer le sentiment de la douleur : toute irritation des nerfs peut produire la fievre ; ainsi elle se joint souvent aux douleurs considérables, même dans les maladies qui par leur nature peuvent le moins y donner lieu, telles que les affections arthritiques, vénériennes, &c. parce que la trop grande tension des nerfs dans les parties souffrantes se communique à tout le genre nerveux, d’où il se fait un resserrement dans les vaisseaux qui gêne le cours des humeurs ; ce qui suffit pour établir une cause de fievre, & des symptomes qui en sont une suite, tels que la chaleur, la soif, la sécheresse. Les violentes douleurs donnent aussi très-souvent lieu aux convulsions, surtout dans les personnes qui ont le genre nerveux susceptible d’être facilement irrité ; comme dans les enfans, les femmes, & particulierement dans celles qui sont sujettes aux affections hystériques. Le délire, la fureur, sont souvent les effets des grandes douleurs ; l’érétisme de tout le genre nerveux, dont elles sont souvent la cause, suspend aussi toutes les secrétions & excrétions, trouble les digestions, l’évacuation des matieres fécales, des urines, la transpiration. La gangrene même est souvent une suite de la douleur, lorsque la cause de celle-ci agit si fortement, qu’elle parvient bien-tôt à déchirer, à rompre les fibres nerveuses de la partie souffrante, ce qui y détruit le sentiment & le mouvement : cet effet constitue l’état d’une partie gangrenée, mortifiée ; c’est ce qui arrive sur-tout à la suite des violentes inflammations accompagnées de fievre, comme dans la pleurésie, &c.

Le signe de la douleur est le sentiment même que la cause excite ; il ne peut y avoir de difficulté, que pour connoître le siége de cette cause, parce que la douleur est quelquefois idiopatique, & quelquefois sympathique ; quelquefois elle affecte certaines parties, que l’on ne distingue pas aisément des parties voisines. L’histoire des maladies dolorifiques apprend à connoître les différens signes qui caractérisent les differens siéges de la douleur, & les divers prognostics que l’on peut en porter.

On peut dire en général, que comme rien de ce qui peut causer de la douleur n’est salutaire, elle doit