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tingue deux sortes de droit public, l’un général qui est commun à toutes les nations, l’autre particulier qui est propre à un état seulement, le terme de droit des gens est plus ancien & plus usité, pour exprimer le droit qui est commun à toutes les nations.

Les lois romaines distinguent le droit naturel d’avec le droit des gens ; & en effet le premier considéré dans le sens le plus étendu que ce terme présente, est un certain sentiment que la nature inspire à tous les animaux aussi-bien qu’aux hommes.

Mais si l’on considere le droit naturel qui est propre à l’homme, & qui est fondé sur les seules lumieres de la raison, dont les bêtes ne sont pas capables, il faut convenir que dans ce point de vûe le droit naturel est la même chose que le droit des gens, l’un & l’autre étant fondé sur les lumieres naturelles de la raison : aussi voit-on que la plûpart des auteurs qui ont écrit sur cette matiere, ont confondu ces deux objets ; tels que le baron de Puffendorf, qui a intitulé son ouvrage le droit de la nature & des gens, ou système général de la morale, de la jurisprudence, & de la politique.

On distinguoit aussi chez les Romains deux sortes de droit des gens ; savoir, l’un primitif appellé primarium, l’autre secundarium.

Le droit des gens appellé primarium, c’est-à-dire primitif ou plus ancien, est proprement le seul que la raison naturelle a suggéré aux hommes : comme le culte que l’on rend à Dieu, le respect & la soûmission que les enfans ont pour leurs pere & mere, l’attachement que les citoyens ont pour leur patrie, la bonne-foi qui doit être l’ame des conventions, & plusieurs autres choses semblables.

Le droit des gens appellé secundarium, sont de certains usages qui se sont établis entre les hommes par succession de tems, à mesure que l’on en a senti la nécessité.

Les effets du droit des gens par rapport aux personnes, sont la distinction des villes & des états, le droit de la guerre & de la paix, la servitude personnelle, & plusieurs autres choses semblables Ses effets par rapport aux biens, sont la distinction des patrimoines, les relations que les hommes ont entre eux pour le commerce & pour les autres besoins de la vie ; & la plûpart des contrats, lesquels tirent leur origine du droit des gens, & sont appellés contrats du droit des gens, parce qu’ils sont usités également chez toutes les nations : tels que les contrats de vente, d’échange, de loüage, de prêt, &c.

On voit par ce qui vient d’être dit, que le droit des gens ne s’applique pas seulement à ce qui fait partie du droit public général, & qui a rapport aux liaisons que les différentes nations ont les unes avec les autres, mais aussi à certains usages du droit privé, lesquels sont aussi regardés comme étant du droit des gens, parce que ces usages sont communs à toutes les nations, tels que les différens contrats dont on a fait mention ; mais quand on parle simplement du droit des gens, on entend ordinairement le droit public des gens.

Le droit primitif des gens est aussi ancien que les hommes ; & il a tant de rapport avec le droit naturel, qui est propre aux hommes, qu’il est par essence aussi invariable que le droit naturel. Les cérémonies de la religion peuvent changer, mais le culte que l’on doit à Dieu ne doit souffrir aucun changement : il en est de même des devoirs des enfans envers les peres & meres, ou des citoyens envers la patrie, & de la bonne-foi dûe entre les contractans ; si ces devoirs ne sont pas toûjours remplis bien pleinement, au moins ils doivent l’être, & sont invariables de leur nature.

Pour ce qui est du second droit des gens appellé par les Romains secundarium, celui-ci ne s’est for-

mé, comme on l’a déjà dit, que par succession de tems, & à mesure que l’on en a senti la nécessité : ainsi les devoirs réciproques des citoyens ont commencé lorsque les hommes ont bâti des villes pour vivre en société ; les devoirs des sujets envers l’état ont commencé, lorsque les hommes de chaque pays qui ne composoient entre eux qu’une même famille soûmise au seul gouvernement paternel, établirent au-dessus d’eux une puissance publique, qu’ils déférerent à un ou plusieurs d’entre eux.

L’ambition, l’intérêt, & autres sujets de différends entre les puissances voisines, ont donné lieu aux guerres & aux servitudes personnelles, telles sont les sources funestes d’une partie de ce second droit des gens.

Les différentes nations, quoique la plûpart divisées d’intérêt, sont convenues entre elles tacitement d’observer, tant en paix qu’en guerre, certaines regles de bienséance, d’humanité, & de justice : comme de ne point attenter à la personne des ambassadeurs, ou autres personnes envoyées pour faire des propositions de paix ou de treve ; de ne point empoisonner les fontaines ; de respecter les temples ; d’épargner les femmes, les vieillards, & les enfans : ces usages & plusieurs autres semblables, qui par succession de tems ont acquis force de loi, ont formé ce que l’on appelle droit des gens, ou droit commun aux divers peuples.

Les nations policées ont cependant plus ou moins de droits communs avec certains peuples qu’avec d’autres, selon que ces peuples sont eux-mêmes plus ou moins civilisés, & qu’ils connoissent les lois de l’humanité, de la justice & de l’honneur.

Par exemple, avec les sauvages antropophages, qui sont dans une profonde ignorance & sans forme de gouvernement, il y a peu de communication, & presqu’aucune sûreté de leur part. Il est permis aux autres hommes de s’en défendre, même par la force, comme des bêtes féroces ; on ne doit cependant jamais leur faire de mal sans nécessité : on peut habiter dans leur pays pour le cultiver, & s’ils veulent trafiquer avec nous, les instruire de la vraie religion, & leur communiquer les commodités de la vie.

Chez les Barbares qui vivent en forme d’état, on peut trafiquer & faire toutes les autres choses qu’ils permettent, comme on feroit avec des peuples plus polis.

Avec les infideles on peut faire tout ce qui ne tend point à autoriser leur religion, ni à nier ou déguiser la nôtre.

Les diverses nations mahométanes, quoiqu’attachées la plûpart à différentes sectes & soûmises à diverses puissances, ont entr’elles plusieurs droits communs qui forment leur droit des gens, l’alcoran étant le fondement de toutes leurs lois, même pour le temporel.

Les Chrétiens, lorsqu’ils sont en guerre les uns contre les autres, font des prisonniers, comme les autres nations ; mais ils ne traitent point leurs prisonniers en esclaves : c’est aussi une loi entr’eux, de se donner un mutuel secours contre les infideles.

Le droit des gens qui s’observe présentement en Europe, s’est formé de plusieurs usages venus en partie des Romains, en partie des loix germaniques, & n’est arrivé que par degrés au point de perfection où il est aujourd’hui.

Les Germains, d’où sont sortis les Francs, ne connoissoient encore presqu’aucun droit des gens du tems de Tacite ; puisque cet auteur, en parlant des mœurs de ces peuples, dit que toute leur politique à l’égard des étrangers, consistoit à enlever ouvertement à leurs voisins le fruit de leur labeur, ayant pour maxime qu’il y avoit de la lâcheté à n’acquérir qu’à