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chose garantie lui avoit été volée ; entre le seigneur & le vassal, pour la mouvance.

On pouvoit appeller en duel les témoins, ou l’un d’eux, même ceux qui déposoient d’un point de droit ou de coûtume.

Les juges mêmes n’étoient pas exempts de cette épreuve, lorsqu’on prétendoit qu’ils avoient été corrompus par argent ou autrement.

Les freres pouvoient se battre en duel, lorsque l’un accusoit l’autre d’un crime capital ; en matiere civile, ils prenoient des avoüés ou champions, qui se battoient pour eux.

Les nobles étoient aussi obligés de se battre, soit entre eux, ou contre des roturiers.

Les ecclésiastiques, les prêtres, ni les moines, n’en étoient pas non plus exempts ; seulement, afin qu’ils ne se souillassent point de sang, on les obligeoit de donner des gens pour se battre à leur place ; comme l’a fait voir le P. Luc d’Achery, dans le VIII. tome de son spicilege. Ils se battoient aussi quelquefois eux-mêmes en champ clos ; témoin Regnaud Chesnel, clerc de l’évêque de Saintes, qui se battit contre Guillaume, l’un des religieux de Geoffroi, abbé de Vendôme.

On ne dispensoit du duel que les femmes, les malades, les mehaignés, c’est-à-dire les blessés, ceux qui étoient au dessous de vingt-un ans, ou au-dessus de soixante. Les Juifs ne pouvoient aussi être contraints de se battre en duel, que pour meurtre apparent.

Dans quelques pays, comme à Villefranche en Perigord, on n’étoit point obligé de se soûmettre à l’épreuve du duel.

Mais dans tous les autres lieux où il n’y avoit point de semblable privilége, la justice ordonnoit le duel quand les autres preuves manquoient ; il n’appartenoit qu’au juge haut-justicier d’ordonner ces sortes de combats : c’est pourquoi des champions combattans, représentés dans l’auditoire, étoient une marque de haute justice, comme on en voyoit au cloître S. Merry, dans la chambre où le chapitre donnoit alors audience, ainsi que le remarque Ragueau, en son glossaire, au mot champions ; & Sauval, en ses antiquités de Paris, dit avoir vû de ces figures de champions dans les deux chambres des requetes du palais, avant qu’on les eût ornées comme elles sont présentement.

Toutes sortes de seigneurs n’avoient même pas le droit de faire combattre les champions dans leur ressort ; il n’y avoit que ceux qui étoient fondés sur la loi, la coûtume, ou la possession : les autres pouvoient bien ordonner le duel, mais pour l’exécution ils étoient obligés de renvoyer à la cour du seigneur supérieur.

Le roi & le parlement ordonnoient aussi souvent le duel ; il suffit d’en citer quelques exemples : tels que celui de Louis le Gros, lequel ayant appris le meurtre de Milon de Montlhéry, condamna Hugues de Crécy, qui en étoit accusé, à se purger par la voie du duel. Philippe-de-Valois en ordonna aussi un entre deux chevaliers appellés Vervins & Dubois.

Le 17 Février 1375, 3 Janvier 1376, & 9 Juillet 1396, on plaida au parlement des causes de duel en présence de Charles V. & de Charles VI.

Le parlement en ordonna un en 1256, sur une accusation d’adultere ; il le défendit à diverses personnes en 1306, 1308, 1311, 1333, 1334, & 1342 ; il en permit deux en 1354 & 1386, pour cause de viol ; & en 1404, on y plaida encore une cause de duel pour crime de poison.

L’Eglise même approuvoit ces épreuves cruelles. Quelquefois des évêques y assistoient ; comme on en vit au combat des ducs de Lancastre & de Brunswick. Les juges d’église ordonnoient aussi le duel.

Louis le Gros accorda aux religieux de S. Maur des Fossés le droit d’ordonner le duel entre leurs serfs & des personnes franches.

Les monomachies ou duels ordonnés par le juge de l’évêque, se faisoient dans la cour même de l’évêché : c’est ainsi que l’on en usoit à Paris ; les champions se battoient dans la premiere cour de l’archevêché, où est le siége de l’officialité. Ce fait est rapporté dans un manuscrit de Pierre le Chantre de Paris, qui écrivoit vers l’an 1180 : quædam écclesiæ, dit-il, habent monomachias, & indicant monomachiam debere fieri quandoque inter rusticos suos, & faciunt eos pugnare in curiâ ecclesiæ, in atrio episcopi vel archidiaconi, sicut fit Parisiis. Il ajoûte que le pape Eugene (c’étoit apparemment Eugene III.) étant consulté à ce sujet, répondit utimini consuetudine vestrâ. Descr. du dioc. de Paris, par M. Lebœuf.

Quant aux formalités des duels, il y en avoit de particulieres pour chaque sorte de duels ; mais les plus générales étoient d’abord la permission du juge qui déclaroit qu’il échéoit gage, c’est-à-dire qu’il y avoit lieu au duel ; à la différence des combats à outrance, qui se faisoient sans permission & souvent par défi de bravoure sans aucune querelle. Ces sortes de combats étoient ordinairement de cinq ou six contre un même nombre d’autres personnes, & rarement de deux personnes seulement l’une contre l’autre.

Dans le duel reglé, on obligeoit ceux qui devoient se battre, à déposer entre les mains du juge quelques effets en gage, sur lesquels devoient se prendre l’amende & les dommages & intérêts au profit du vainqueur. En quelques endroits, le gage de bataille étoit au profit du seigneur : cela dépendoit de la coutume des lieux.

Il étoit aussi d’usage que celui qui appelloit un autre en duel, lui donnoit un gage : c’étoit ordinairement son gant qu’il lui jettoit par terre, l’autre le ramassoit en signe qu’il acceptoit le duel.

On donnoit aussi quelquefois au seigneur des otages ou cautions, pour répondre de l’amende.

Les gages ainsi donnés & reçus, le juge renvoyoit la décision à deux mois, pendant lesquels des amis communs tâchoient de connoître le coupable, & de l’engager à rendre justice à l’autre ; ensuite on mettoit les deux parties en prison, où des ecclésiastiques tâchoient de les détourner de leur dessein ; si les parties persistoient, on fixoit le jour du duel ; on amenoit ce jour-là les champions à jeun devant le même juge qui avoit ordonné le duel ; il leur faisoit préter serment de dire vérité : on leur donnoit ensuite à manger, puis ils s’armoient en présence du juge. On régloit leurs armes. Quatre parreins choisis avec même cérémonie les faisoient dépouiller, oindre le corps d’huile, couper la barbe & les cheveux en rond ; on les menoit dans un camp fermé & gardé par des gens armés : c’est ce que l’on appelloit lices, champ de bataille, ou champ clos ; on faisoit mettre les champions à genoux l’un devant l’autre, les doigts croisés & entrelassés, se demandant justice, jurant de ne point soûtenir une fausseté, & de ne point chercher la victoire par fraude ni par magie. Les parreins visitoient leurs armes, & leur faisoient faire leur priere & leur confession à genoux ; & après leur avoir demandé s’ils n’avoient aucune parole à faire porter à leur adversaire, ils les laissoient en venir aux mains : ce qui ne se faisoit néanmoins qu’après le signal du héraut, qui crioit de dessus les barrieres par trois fois, laissez aller les bons combattans ; alors on se battoit sans quartier.

A Paris, le lieu destiné pour les duels étoit marqué par le roi : c’étoit ordinairement devant le Louvre, ou devant l’hôtel-de-ville, ou quelque autre lieu spacieux. Le roi y assistoit avec toute sa cour. Quand