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ont toûjours été en grande considération chez tous les princes chrétiens, & singulierement en France, où on leur a accordé plusieurs honneurs, distinctions, & priviléges, tant au clergé en corps, qu’à chacun des membres qui le composent.

Le second concile de Macon tenu en 585, porte que les laïcs honoreront les clercs majeurs, c’est-à-dire ceux qui avoient reçû le sous-diaconat ou un autre ordre supérieur ; que quand ils se rencontreroient, si l’un & l’autre étoient à cheval, le laïc ôteroit son chapeau ; que si le clerc étoit à pié, le laïc descendroit de cheval pour le saluer.

Une des principales prérogatives que les ecclésiastiques ont dans l’état, c’est de former le premier des trois ordres qui le composent, & de précéder la noblesse dans les assemblées qui leur sont communes ; quoique dans l’origine la noblesse fût le premier ordre, & même proprement le seul ordre considéré dans l’état.

Pour bien entendre comment les ecclésiastiques ont obtenu cette prérogative, il faut observer que les évêques eurent beaucoup de crédit dans le royaume, depuis que Clovis eut embrassé la religion chrétienne ; ils furent admis dans ses conseils, & eurent beaucoup de part au gouvernement des affaires temporelles.

On croit aussi que tous les ecclésiastiques francs & tous ceux qui étoient ingénus & libres, furent admis de bonne-heure dans les assemblées de la nation ; mais c’étoit d’abord sans aucune distinction, c’est-à-dire sans y former un ordre à part.

Ils ne tenoient point non plus alors d’assemblées reglées pour leurs affaires temporelles ; s’ils s’assembloient quelquefois en pareil cas, l’affaire étoit terminée en une ou deux séances. Les assemblées que le clergé tient présentement de tems en tems, n’ont commencé à devenir fréquentes & à prendre une forme reglée, que depuis le contrat de Poissy en 1561. Voyez ce qui en a été dit aux mots Clergé, Décime, Don gratuit.

Mais si les ecclésiastiques n’étoient pas alors autorisés à tenir de telles assemblées, ils eurent l’avantage d’être admis dans les assemblées de la nation ou parlemens généraux.

Il y avoit trente-quatre évêques au parlement, où Clotaire fit resoudre la loi des Allemands. Les abbés étoient aussi admis dans ces assemblées. Le nombre des ecclésiastiques y étoit quelquefois supérieur à celui des laïcs : c’est de-là que les historiens ecclésiastiques, comme Grégoire de Tours, donnent souvent à ces assemblées le nom de synodes ou conciles.

Mais il paroît que dès le tems de Gontran, on n’appelloit plus aux assemblées que ceux que l’on jugeoit à propos : en effet, quoiqu’il fût question de juger deux ducs, on n’y appella que quatre évêques. Il est probable qu’on ne les appelloit tous à ces assemblées, que quand quelqu’un d’eux y étoit intéressé.

Ces assemblées ne subsisterent pas long-tems dans la même forme, tant à cause des partages de la monarchie, qu’à cause des entreprises de Charles Martel, lequel irrité contre les ecclésiastiques, abolit ces assemblées pendant les vingt-deux ans de sa domination. Elles furent rétablies par Pepin-le-Bref, lequel y fit de nouveau recevoir les prélats, leur y donna le premier rang ; & par leur suffrage, il gagna tout le monde. Il confia à ces assemblées le soin de la police extérieure ; emploi que les prélats saisirent avec avidité, & qui changea la plûpart des parlemens en conciles.

On distinguoit cependant dès le tems de Charlemagne deux chambres.

L’une pour les ecclésiastiques, où les évêques, les abbés, & les vénérables clercs, étoient reçûs sans que les laïcs y eussent d’entrée : c’étoit-là que l’on

traitoit toutes les affaires ecclésiastiques ou réputées telles, dont les ecclésiastiques affecterent de ne point donner connoissance aux laïcs.

L’autre chambre où se traitoient les affaires du gouvernement civil & militaire, étoit pour les comtes & autres principaux seigneurs laïcs, lesquels de leur part n’y admettoient pas non plus les ecclésiastiques ; quoique probablement ceux-ci consultassent, du moins comme casuistes ou jurisconsultes, pour la décision des affaires capitales, mais sans avoir part aux jugemens.

Ces deux chambres se réunissoient quand elles jugeoient à-propos, selon la nature des affaires qui paroissoient mixtes, c’est-à-dire ecclésiastiques & civiles.

Les ecclésiastiques, tant du premier que du second ordre, s’étant ainsi par leur crédit attribué la séance avant les plus hauts barons, ils siégeoient même au-dessus du chancelier ; mais le parlement, par un arrêt de 1287, rendit aux barons la séance qui leur appartenoit, & renvoya les prélats & autres gens d’église, dans un rang qui ne devoit point tirer à conséquence.

Philippe V. rendit une ordonnance le 3 Décembre 1319, portant qu’il n’y auroit dorénavant aucuns prélats députés au parlement, le roi se faisant conscience de les empêcher de vaquer au gouvernement de leur spiritualité. Il paroît néanmoins que cette ordonnance ne fut pas toûjours ponctuellement exécutée ; car le parlement, toutes les chambres assemblées le 28 Janvier 1471, ordonna que dorénavant les archevêques & évêques n’entreroient point au conseil de la cour sans le congé d’icelle, ou s’ils n’y étoient mandés, excepté les pairs de France, & ceux qui par privilége ancien y doivent & ont accoûtumé y venir & entrer.

Les évêques qui possedent les six anciennes pairies ecclesiastiques, siegent encore au parlement après les princes du sang, au-dessus de tous les autres pairs laics.

Pour ce qui est des conseillers-clercs qui sont admis au conseil du roi, dans les parlemens & dans plusieurs autres tribunaux, ils n’y ont rang & séance que suivant l’ordre de leur réception, excepté en la grand-chambre du parlement de Paris, où ils ont une séance particuliere du côté des présidens à mortier.

Indépendamment de l’entrée & séance qui fut donnée aux ecclésiastiques dans les assemblées de la nation & parlemens, comme ils étoient presque les seuls dans les siecles d’ignorance qui eussent quelque connoissance des lettres, ils remplissoient aussi presque seuls les premieres places de l’état, & celles des autres cours & tribunaux, & généralement presque toutes les fonctions qui avoient rapport à l’administration de la justice.

Tandis qu’ils s’occupoient ainsi des affaires temporelles, le relâchement de la discipline ecclésiastique s’introduisit bien-tôt parmi eux ; ils devinrent la plûpart chasseurs, guerriers, quelques-uns même concubinaires : ils prirent ainsi les mœurs des seigneurs qu’ils avoient supplantés dans l’administration & le crédit. Grégoire de Tours dit lui-même qu’il avoit peu étudié, & on le voit bien à son style.

Quand les ecclésiastiques de quelque ville ou autre lieu, ne pouvoient obtenir des laïcs ce qu’ils vouloient, ils portoient dans un champ les croix, les vases sacrés, les ornemens, & les reliques, formoient autour une enceinte de ronces & d’épines, & s’en alloient. La terreur que cet appareil inspiroit aux laïcs, les engageoit à rappeller les gens d’église & à leur accorder ce qu’ils demandoient. Cet usage ne fut aboli qu’au concile de Lyon, tenu sous Grégoire X. vers l’an 1274.

En France, les ecclésiastiques séculiers étoient en