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Guido Réni, que nous appellons le Guide, naquit à Bologne en 1575, & mourut dans la même ville en 1642. Denis Calvart fut son premier maître ; il passa ensuite sous la discipline des Carraches, & ne fut pas long-tems sans se distinguer par la supériorité de son génie. Le pape Paul V. exerça ses talens, qu’il ne pouvoit se lasser d’admirer. Il lui donna pour preuve de son estime particuliere, un équipage & une forte pension.

Alors le Guide vivoit honorablement, & joüissoit de sa renommée ; mais semblable au Schidone, l’amour du jeu vint par malheur s’emparer de son ame : il y faisoit des pertes considérables, qui le mettoient continuellement dans l’indigence, & qu’il réparoit néanmoins par sa facilité prodigieuse à manier le pinceau : obligé de satisfaire aux ouvrages qu’on lui demandoit de tous côtés, il reçut long-tems un prix considérable des chefs-d’œuvre, qui sortoient de son attelier avec une promptitude étonnante. Enfin devenu vieux, & ne trouvant plus dans son pinceau la même ressource qu’il lui procuroit dans le fort de l’âge, d’ailleurs poursuivi par ses créanciers, abandonné, comme il est trop ordinaire, par ceux même qu’il mettoit au nombre de ses amis, ce célebre artiste mourut de chagrin.

La grandeur, la noblesse, le goût, la délicatesse, & par-tout une grace inexprimable, sont les marques distinctives qui caractérisent toutes les productions de cet aimable peintre, & qui les rendent l’objet d’une admiration générale.

Les ouvrages que le Guide a laissés à Rome & à Bologne, sent ce qu’il a fait de plus considérable. On vante beaucoup son crucifix, qui est dans la chapelle de l’Annonciade ; S. Laurent in Lucina, son Ariane, sa Vierge qui coud, David vainqueur de Goliath, & l’enlevement d’Helene par Paris : ces deux derniers tableaux sont à l’hôtel de Toulouse, & pechent néanmoins du côté de l’expression, qui n’est point assez vive ni assez animée. Mais le couvent des Carmelites du fauxbourg Saint-Jacques possede un admirable tableau du Guide, dont le sujet est une Annonciation. Son martyre des Innocens est connu de tout le monde. La famille Ludovisio à Rome possede quatre beaux tableaux du Guide, une Vierge, une Judith, une Lucrece, & la conversion de S. Paul. Enfin le tableau de ce grand maître, qui a fait le plus de bruit dans Rome, est celui qu’il peignit en concurrence du Dominiquin dans l’église de S. Grégoire.

Il travailloit également bien à huile & à fresque. Il se plaisoit à la musique, & à sculpter. Il a gravé à l’eau-forte beaucoup de sujets de piété, d’après Annibal Carrache, le Parmesan, &c. On a aussi beaucoup gravé d’après le Guide.

Ses desseins se font connoître par la franchise de sa main, par la legereté de sa touche, par un grand goût de draperies joint à la beauté de ses airs de têtes. Il ne faut pas croire, dit M. Mariette à ce sujet, que le Guide se soit élevé si haut, sans s’être assujetti à un travail opiniâtre : l’on s’en apperçoit aisément, & sur-tout dans les desseins qu’il a faits en grand pour ses études. Tout y est détaillé avec la derniere précision ; l’on y voit un artiste qui consulte perpétuellement la nature, & qui ne se fie point à l’heureux talent qu’il a de l’embellir.

Albane, (François) né à Bologne en 1578, mort dans la même ville en 1660. Son pere, marchand de soie, voulut inutilement le faire de sa profession. La passion dominante du fils, le décida pour la Peinture. Il se mit d’abord chez Denis Calvart dont nous avons parlé ci-dessus, & pour son bonheur il y trouva le Guide. Ils se lierent d’une étroite amitié, & ne tarderent pas à passer ensemble dans l’école des Carraches ; ensuite ils se rendirent à Rome, où l’Albane

perfectionna ses talens, & devint un des plus agréables & des plus savans peintres du monde. Il cultiva toute sa vie l’étude des belles-lettres, & se servit utilement & ingénieusement des lumieres qu’elles lui fournirent, pour enrichir ses inventions des ornemens de la Poésie.

Il épousa en secondes noces une femme qui lui apporta en dot peu de richesses, mais une grande beauté. Elle servit plus d’une fois de modele à l’Albane, qui la peignoit tantôt en nymphe, tantôt en Vénus, tantôt en déesse. Il en eut douze enfans, & prit le même plaisir à les peindre en amours ; sa femme les tenoit dans ses bras, ou les suspendoit avec des bandelettes, & les lui présentoit dans toutes les attitudes touchantes qu’il a si bien exprimées dans ses petits tableaux. De-là vient qu’ils se sont dispersés comme des pierres précieuses par toute l’Europe, & ont été payés très-chérement : il ne faut pas s’en étonner ; la legereté, l’enjouement, la facilité, & la grace, caracterisent les ouvrages de l’Albane.

Lanfranc, (Jean) né à Parme de parens pauvres en 1581, mort à Rome dans l’opulence en 1647. Disciple des Carraches, il fit des progrès rapides qui lui acquirent promptement de la célébrité, des richesses, & beaucoup d’occupation. Il excelloit dans les grandes machines, & se montra dans ce genre un des premiers peintres du monde. La voûte de la premiere chapelle de l’église de S. Pierre, & la coupole de S. André della Vallé à Rome, justifierent la hardiesse & l’étendue de son génie.

Les papes Paul V. & Urbain VIII. comblerent Lanfranc de biens & d’honneurs ; mais sur-tout un caractere doux & tranquille, une femme aimable, & des enfans qui réunissoient tous les talens d’agrément, le rendirent heureux.

Ses principaux ouvrages sont à Rome, à Naples, & à Plaisance. Toute la chapelle de S. Jean-Baptiste à Rome, est de sa main.

Dominiquin, (Dominique Zampiéri, dit le) né à Bologne en 1581, mort en 1641. Il se mit sous la discipline des Carraches, & remplit la prophétie d’Annibal son maître, qui prédit que le Dominiquin nourriroit un jour la Peinture. Cependant ses études furent tournées en ridicule, ses premieres productions méprisées, sa persévérance traitée de tems perdu, & son silence de stupidité.

En effet la nature lui donna un esprit paresseux, pesant, & stérile ; mais par son opiniâtreté dans le travail, il acquit de la facilité, de la fécondité, de l’imagination, j’allois presque dire du génie : du moins sa persévérance opiniâtre, la bonté cachée de son esprit, & la solidité de ses réflexions, lui tenant lieu du don de la nature, que nous appellons génie, ont fait produire au Dominiquin des ouvrages dignes de la postérité.

Absorbé dans son art, il amassa peu-à-peu un thrésor de science ; qui se découvrit en son tems. Son esprit enveloppé comme un ver à soie l’est dans sa coque, après avoir long-tems travaillé dans la solitude, se développa, s’anima, prit l’essor, & se fit admirer non-seulement de ses confreres qui avoient tâché de le dégoûter, mais des Carraches même qui l’avoient soûtenu. En un mot, les pensées du Dominiquin s’éleverent insensiblement au point qu’il s’en faut peu qu’elles ne soient arrivées jusqu’au sublime, si l’on ne veut pas convenir qu’il y a porté quelques-uns de ses ouvrages ; comme le martyre de S. André, la communion de S. Jerôme, le S. Sébastien qui est dans la seconde chapelle de l’église de saint Pierre, le Musée, & autres morceaux admirables, qu’il a faits à Rome à la chapelle du thrésor de Naples, & à l’abbaye de Grotta Ferrata ; monumens éternels de sa capacité.

Je crois bien que les parties de la peinture que