me quelquefois assez librement, non sur le fond du Christianisme, mais sur des matieres que trop de personnes affectent de confondre avec le Christianisme même ; sur l’esprit de persécution dont tant de Chrétiens ont été animés ; sur les usurpations temporelles de la puissance ecclésiastique ; sur la multiplication excessive des monasteres, qui enleve des sujets à l’Etat sans donner à Dieu des adorateurs ; sur quelques opinions qu’on a vainement tenté d’ériger en dogmes ; sur nos disputes de religion, toûjours violentes, & souvent funestes. S’il paroît toucher ailleurs à des questions plus délicates, & qui intéressent de plus près la Religion Chrétienne, ses réflexions appréciées avec justice, sont en effet très-favorables à la révélation, puisqu’il se borne à montrer combien la raison humaine, abandonnée à elle-même, est peu éclairée sur ces objets. Enfin, parmi les véritables Lettres de M. de Montesquieu, l’Imprimeur étranger en avoit inséré quelques-unes d’une autre main, & il eût fallu du moins, avant que de condamner l’auteur, démêler ce qui lui appartenoit en propre. Sans égard à ces considérations, d’un côté la haine sous le nom de zèle, de l’autre le zèle sans discernement ou sans lumieres, se soûleverent & se réunirent contre les Lettres Persannes. Des délateurs, espece d’hommes dangereuse & lâche, que même dans un gouvernement sage on a quelquefois le malheur d’écouter, allarmerent par un extrait infidele la piété du Ministere. M. de Montesquieu, par le conseil de ses amis soûtenu de la voix publique, s’étant présenté pour la place de l’Académie Françoise vacante par la mort de M. de Sacy, le Ministre écrivit à cette Compagnie que S. M. ne donneroit jamais son agrément à l’Auteur des Lettres Persannes ; qu’il n’avoit point lû ce Livre, mais que des personnes en qui il avoit confiance, lui en avoient fait connoître le poison & le danger. M. de Montesquieu sentit le coup qu’une pareille accusation pouvoit porter à sa personne, à sa famille, à la tranquillité de sa vie. Il n’attachoit pas assez de prix aux honneurs littéraires, ni pour les rechercher avec avidité, ni pour affecter de les dédaigner quand ils se présentoient à lui, ni enfin pour en regarder la simple privation comme un malheur : mais l’exclusion perpétuelle, & sur-tout les motifs de l’exclusion lui paroissoient une injure. Il vit le Ministre, lui déclara que par des raisons particulieres il n’avoüoit point les Lettres Persannes, mais qu’il étoit encore plus éloigné de desavouer un ouvrage dont il croyoit n’avoir point à rougir, & qu’il devoit être jugé d’après une lecture, & non sur une délation : le Ministre prit enfin le parti par où il auroit dû commencer ; il lut le livre, aima l’auteur, & apprit à mieux placer sa confiance ; l’Académie Françoise ne fut point privée d’un de ses plus beaux ornemens ; & la France eut le bonheur de conserver un sujet que la superstition ou la calomnie étoient prêtes à lui faire perdre : car M. de Montesquieu avoit déclaré au Gouvernement qu’après l’espece d’outrage qu’on alloit lui faire, il iroit chercher chez les étrangers qui lui tendoient les bras, la sûreté, le repos, & peut-être les récompenses qu’il auroit dû espérer dans son pays. La Nation eût déploré cette perte, & la honte en fût pourtant retombée sur elle.
Feu M. le Maréchal d’Estrées, alors Directeur de l’Académie Françoise, se conduisit dans cette circonstance en Courtisan vertueux & d’une ame vraiment élevée ; il ne craignit ni d’abuser de son crédit ni de le compromettre ; il soûtint son ami & justifia Socrate. Ce trait de courage si précieux aux Lettres, si digne d’avoir aujourd’hui des imitateurs, & si honorable à la mémoire de M. le Maréchal d’Estrées, n’auroit pas dû être oublié dans son éloge.
M. de Montesquieu fut reçû le 24 Janvier 1728 ; son Discours est un des meilleurs qu’on ait prononcés dans une pareille occasion ; le mérite en est d’autant plus grand, que les Récipiendaires gênés jusqu’alors par ces formules & ces Eloges d’usage auxquels une espece de prescription les assujettit, n’avoient encore osé franchir ce cercle pour traiter d’autres sujets, ou n’avoient point pensé du moins à les y renfermer ; dans cet état même de contrainte il eut l’avantage de réussir. Entre plusieurs traits dont brille son discours, on reconnoîtroit l’écrivain qui pense, au seul portrait du Cardinal de Richelieu, qui apprit à la France le secret de ses forces, & à l’Espagne celui de sa foiblesse, qui ôta à l’Allemagne ses chaînes & lui en donna de nouvelles. Il faut admirer M. de Montesquieu d’avoir sçû vaincre la difficulté de son sujet, & pardonner à ceux qui n’ont pas eu le même succès.
Le nouvel Académicien étoit d’autant plus digne de ce titre, qu’il avoit peu de tems auparavant renoncé à tout autre travail, pour se livrer entierement à son génie & à son goût. Quelque importante que fût la place qu’il occupoit, avec quelques lumieres & quelque intégrité qu’il en eût rempli les devoirs, il sentoit qu’il y avoit des objets plus dignes d’occuper ses talens ; qu’un Citoyen est redevable à sa Nation & à l’Humanité de tout le bien qu’il peut leur faire ; & qu’il seroit plus utile à l’une & à l’autre, en les éclairant par ses écrits, qu’il ne pouvoit l’être en discutant quelques contestations particulieres dans l’obscurité : toutes ces reflexions le déterminerent à vendre sa charge ; il cessa d’être Magistrat, & ne fut plus qu’Homme de Lettres.
Mais pour se rendre utile par ses ouvrages aux différentes Nations, il étoit nécessaire