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métier d’enchanteurs, ou des hommes assez scélérats pour espérer parvenir à leurs fins par les enchantemens. Entre plusieurs especes dont parlent ou les historiens ou les auteurs qui ont traité en particulier de la magie, nous ne nous arrêterons qu’à ces figures de cire par le moyen desquelles on s’imaginoit faire périr ceux qu’on haïssoit. On appelloit autrefois en France ces figures un volt ou un voust, & l’usage qu’on en prétendoit faire, envouster quelqu’un ; terme que Ménage dérive d’invotare, dévoüer quelqu’un aux puissances infernales, mais qui, selon Ducange, vient d’invulturare, vultum effingere, mot employé dans la moyenne latinité pour exprimer cette représentation de quelqu’un en cire ou en terre glaise. Quoi qu’il en soit de l’étymologie du mot, il est certain que dans l’usage qu’on en prétendoit faire, il entroit des paroles qu’on se persuadoit ne pouvoir être prononcées efficacement par toutes sortes de personnes. C’est ce que nous apprenons par quelques particularités du procès de Robert d’Artois sous Philippe de Valois ; procès dont M. Lancelot, de l’académie des Belles-Lettres, nous a donné une histoire si intéressante dans les mémoires de cette académie. Cet auteur dit que Robert d’Artois & son épouse userent d’enchantemens contre le roi & la reine ; & que l’an 1313, entre la S. Remi & la Toussaints, Robert manda frere Henri Sagebrand, de l’ordre de la Trinité, son chapelain ; & après beaucoup de caresses, & l’avoir obligé de jurer qu’il lui garderoit le secret sous le sceau de la confession, ce que le moine jura, Robert ouvrit un petit écrin, & en tira une image de cire, enveloppée en un querre-chief crespé, laquelle image estoit à la semblance d’une figure de jeune homme, & estoit bien de la longueur d’un pied & demi, ce li semble (c’est la déposition de frere Henri), & si le vit bien clerement par le querre-chief qui étoit moult déliez, & avoit entour le chief semblance de cheveux aussi comme un jeune homme qui porte chief. Le moine voulut y toucher : N’y touchiez, frere Henry, lui dit Robert, il est tout fait, icestuy est tout baptisiez ; l’en le m’a envoyé de France tout fait & tout baptisiez. Il n’y faut rien à cestuy, & est fait contre Jehan de France & en son nom & pour le grever.... mais je en vouldroye avoir un autre que je vouldroye qu’il fust baptisé. Et pour qui est-ce, dit frere Henri ? C’est contre une deablesse, dit Robert ; c’est contre la royne.... si vous prie que vous me le baptisiez, quar il est tout fait, il n’y faut que le baptesme ; je ai tout prêt les parains & les marraines, & quant que il y a metier, fors le baptisement... Il n’y faut à faire fors aussi comme à un enfant baptiser & dire les noms qui y appartiennent. Frere Henri refusa constamment son ministere pour de pareilles opérations, & dit à Robert d’envoyer chercher celui qui avoit baptisé l’autre. Il fit également & aussi inutilement solliciter Jean Aymeri, prêtre du diocèse de Liége, de baptiser son voust ou son image de cire. Mem. de l’acad. des Inscript. tome X. p. 627. & 629.

Il paroît par ce récit, qu’outre la prophanation sacrilége qu’on exigeoit, la forme de baptême & l’imposition du nom par les parrains & marraines passoit pour nécessaire, afin qu’au moyen de la figure on pût nuire à ses ennemis.

Ce n’est pas seulement parmi les anciens ni en Europe que ces sortes d’enchantemens ont eu lieu, ils étoient connus des sauvages d’Amérique. Chez les Ilinois & chez d’autres nations, dit le P. Charlevoix, on fait de petits marmousets pour représenter ceux dont on veut abréger les jours, & qu’on perce au cœur. Il ajoûte, que d’autres fois on prend une pierre ; & par le moyen de quelques invocations, on prétend en former une semblable dans le cœur de son ennemi. Toutes ces pratiques, quelques impies ou ridicules qu’elles soient, concourent à prouver ce que nous avons observé, que l’enchantement est un

assemblage d’actions & de paroles, dans la vûe d’opérer quelque effet extraordinaire & communément pernicieux. Journ. d’un Voyage d’Amériq. lett. xxv. p. 360. (G)

Enchantement, (Medec.) maniere de guérir les maladies, soit par des amuletes, des talismans, des philacteres, des pierres précieuses, & des mots barbares, qu’on porte sur sa personne, soit par des préparations superstitieuses de simples, soit enfin par d’autres moyens aussi frivoles.

Il n’est pas difficile d’en découvrir l’origine ; c’est l’ignorance, l’amour de la vie & la crainte de la mort qui leur ont donné naissance. Les hommes voyant que les secours naturels qu’ils connoissoient pour se guérir, étoient souvent inutiles, ils s’attacherent à tout ce qui s’offrit à leur esprit, à tout ce que leur imagination vint à leur suggérer.

Les amuletes, les talismans, les philacteres, les pierres précieuses, les os de mort qu’on mit sur soi, dans certains cas extraordinaires, parurent peut-être d’abord comme des remedes indifférens, qu’on pouvoit d’autant mieux employer, que s’ils ne faisoient point de bien, du moins ne causoient-ils point de mal. Ne voyons-nous pas encore tous les jours une infinité de gens se conduire par les mêmes principes ?

Ces remedes n’étoient d’ailleurs ni rebutans, ni douloureux, ni desagréables. On s’y livra volontiers ; l’exemple & l’imagination, quelquefois utiles pour suppléer à la vertu qui manquoit aux remedes de cette espece, les accréditerent, la superstition les autorisa, & vraissemblablement la fourberie des hommes y mit le sceau.

Quoi qu’il en soit, les enchantemens se sont si bien introduits & de si bonne heure dans la Medecine, que toutes les nations les ont pratiqués de temps immémorial, & qu’ils subsistent encore dans les trois plus grandes parties du monde ; l’Asie, l’Afrique & l’Amérique.

Hammon, Hermès, Zoroastre, passoient parmi les payens pour les auteurs de cette pratique médicinale. Hammon, qu’on compte entre les premiers rois de la premiere dynastie d’Egypte, a été regardé pour l’inventeur de l’art de faire sortir le fer d’une plaie, & de guérir les morsures des serpens par des enchantemens.

Pindare dit que Chiron le centaure traitoit toutes sortes de maladies par le même secours, & Platon raconte que les sages-femmes d’Athenes n’avoient pas d’autres secrets pour faciliter les accouchemens ; mais je ne sache point de peuple chez qui cet usage ait trouvé plus de sectateurs que chez les Hébreux.

Leur loi ne put venir à bout d’arrêter le cours du desordre ; c’est pourquoi Jérémie (chap. vij v. 17.) les menaça au nom du Seigneur de leur envoyer des serpens contre la morsure desquels l’enchanteur ne pourroit rien.

Hippocrate contribua merveilleusement par ses lumieres à effacer de l’esprit des Grecs les idées qu’ils pouvoient avoir sucées sur la vertu des enchantemens. Ce n’est pas que leurs philosophes, & ceux qui étoient nourris dans leurs principes, donnassent dans ces niaiseries ; l’histoire nous prouve bien le contraire. J’aime à lire dans Plutarque ce que Périclès, instruit par Anaxagore, pensoit de tous ces vains remedes : « Vous voyez, dit-il à un de ses amis qui vint le visiter dans le tems qu’il étoit attaqué de la peste dont il mourut, vous voyez mon état de langueur ; mais regardez sur-tout, ajoûta-t-il, cette espece de charme que des femmes ont pendu à mon col, & jugez après cela si j’ai eu l’esprit bien affoibli. »

Cependant les Romains gémirent long-tems sous le poids de cette superstition. Tite-Live nous apprend qu’une maladie épidémique régnant à Rome l’an 326 de sa fondation, on épuisa vainement tous les reme-