dition ? Comment est-il arrivé que parmi tant de vers grecs & latins, il n’y ait pas une syllable tellement contraire à la prononciation des Suédois, des Polonois, que la lecture leur en soit absolument impossible ? Dirons-nous que les langues mortes ont été si travaillées, sont formées d’une combinaison de sons si simples, si faciles, si élémentaires, que ces sons forment dans toutes les langues vivantes où ils sont employés, la partie la plus agréable & la plus mélodieuse ? que ces langues vivantes en se perfectionnant toûjours ne font que rectifier sans cesse leur harmonie & l’approcher de l’harmonie des langues mortes ? en un mot que l’harmonie de ces dernieres, factice & corrompue par la prononciation particuliere de chaque nation, est encore supérieure à l’harmonie propre & réelle de leurs langues.
Je répondrai premierement, que cette derniere considération aura d’autant plus de force, qu’on sera mieux instruit des soins extraordinaires que les Grecs avoient pris pour rendre leur langue harmonieuse : je n’entrerai point dans ce détail ; j’observerai seulement en général, qu’il n’y a presque pas une seule voyelle, une seule diphthongue, une seule consonne, dont la valeur soit tellement constante que l’euphonie n’en puisse disposer, soit en altérant le son, soit en le supprimant : secondement que, quoique les anciens ayent pris quelques précautions pour nous transmettre la valeur de leurs caracteres, il s’en faut beaucoup qu’ils ayent été là-dessus aussi exacts, aussi minutieux qu’ils auroient dû l’être : troisiemement, que le savant qui possédera bien ce qu’ils nous en ont laissé, pourra toutefois se flater de réduire à une prononciation fort approchée de la sienne tout homme raisonnable & conséquent : quatriemement, qu’on peut démontrer sans réplique à l’Anglois, qu’en prononçant mi, nine, a, i, dé, zi, è, il fait six fautes de prononciation sur sept syllabes. Il rend la syllabe μῆ par mi ; mais un auteur ancien nous apprend que les brebis rendoient en bêlant le son de l’η. Dira-t-on que les brebis greques bêloient autrement que les nôtres, & disoient bi, bi, & non bè, bè. Nous lisons d’ailleurs dans Denis d’Halicarnasse : η infrà basim linguæ allidit sonum consequentem, non suprà, ore moderatè aperto, mouvemens que n’exécute en aucune maniere celui qui rend η par i. Il rend ει qui est une diphthongue, par un i, voyelle & son simple. Il rend le θ par un z ou par une s grasseyée, tandis que ce n’est qu’un t ordinaire aspiré : il rend θε par zi, c’est-à-dire qu’au lieu de déterminer vivement l’air vers le milieu de la langue pour former l’é fermé bref, allidit spiritum circà dentes, ore parùm adaperto, nec labris sonitum illustrantibus, ou qu’il prononce le caractere i. Il rend ὰ par è, c’est-à-dire que allidit sonum infrà basim linguæ, ore moderatè aperto ; tandis qu’il étoit prescrit pour la juste prononciation de ce caractere ὰ, spiritum extendere, ore aperto, & spiritu ad palatum vel suprà elato.
Celui au contraire qui prononce ces mots grecs μῆνιν, ἄειδε, θεὰ, mè, nine, a, ei, ye, dé, thé, a, remplit toutes les lois enfreintes par la prononciation angloise. On peut s’en assûrer en comparant les caracteres grecs avec les sons que j’y attache, & les mouvemens que Denis d’Halicarnasse prescrit pour chacun de ces caracteres, dans son ouvrage admirable de collocatione verborum. Pour faire sentir l’utilité de ses définitions, je me contenterai de rapporter celles de l’r & de l’s. L’ρ se forme, dit-il, linguæ extremo spiritum repercutiente, & ad palatum propè dentes sublato : & l’σ, linguâ adductâ suprà ad palatum, spiritu per mediam longitudinem labente, & circà dentes cum tenui quodam & angusto sibilo exeunte. Je demande s’il est possible de satisfaire à ces mouvemens, & de donner à l’r & à l’s d’autres valeurs que celles que nous leur attachons. Il n’est pas moins précis sur les autres lettres.
Mais, insistera-t-on, si les peuples subsistans qui lisent le grec se conformoient aux regles de Denis d’Halicarnasse, ils prononceroient donc tous cette langue de la même maniere, & comme les anciens grecs la prononçoient.
Je répons à cette question par une supposition qu’on ne peut rejetter, quelqu’extraordinaire qu’elle soit dans ce pays-ci ; c’est qu’un Espagnol ou un Italien pressé du desir de posseder un portrait de sa maîtresse, qu’il ne pouvoit montrer à aucun peintre, prit le parti qui lui restoit d’en faire par écrit la description la plus étendue & la plus exacte ; il commença par déterminer la juste proportion de la tête entiere ; il passa ensuite aux dimensions du front, des yeux, du nez, de la bouche, du menton, du cou ; puis il revint sur chacune de ces parties, & il n’épargna rien pour que son discours gravât dans l’esprit du peintre la véritable image qu’il avoit sous les yeux ; il n’oublia ni les couleurs, ni les formes, ni rien de ce qui appartient au caractere : plus il compara son discours avec le visage de sa maîtresse, plus il le trouva ressemblant ; il crut sur-tout que plus il chargeroit sa description de petits détails, moins il laisseroit de liberté au peintre ; il n’oublia rien de ce qu’il pensa devoir captiver le pinceau. Lorsque sa description lui parut achevée, il en fit cent copies, qu’il envoya à cent peintres, leur enjoignant à chacun d’exécuter exactement sur la toile ce qu’ils liroient sur son papier. Les peintres travaillent, & au bout d’un certain tems notre amant reçoit cent portraits, qui tous ressemblent rigoureusement à sa description, & dont aucun ne ressemble à un autre, ni à sa maîtresse. L’application de cet apologue au cas dont il s’agit, n’est pas difficile ; on me dispensera de la faire en détail. Je dirai seulement que, quelque scrupuleux qu’un auteur puisse être dans la description des mouvemens de l’organe lorsqu’il produit différens sons, il y aura toûjours une latitude, légere en elle-même, infinie par rapport aux divisions réelles dont elle est susceptible, & aux variétés sensibles, mais inapprétiables, qui résulteront de ces divisions. On n’en peut pas toutefois inférer, ni que ces descriptions soient entierement inutiles, parce qu’elles ne donneront jamais qu’une prononciation approchée, ni que l’euphonie, cette loi à laquelle une langue ancienne a dû toute son harmonie, n’ait une action constante dont l’effet ne tende du moins autant à nous en rapprocher qu’à nous en éloigner. Deux propositions que j’avois à établir.
Je ne dirai qu’un mot de la ponctuation. Il y a peu de différence entre l’art de bien lire & celui de bien ponctuer. Les repos de la voix dans le discours, & les signes de la ponctuation dans l’écriture, se correspondent toûjours, indiquent également la liaison ou la disjonction des idées, & suppléent à une infinité d’expressions. Il ne sera donc pas inutile d’en déterminer le nombre selon les regles de la Logique, & d’en fixer la valeur par des exemples.
Il ne reste plus qu’à déterminer l’accent & la quantité. Ce que nous avons d’accent, plus oratoire que syllabique, est inapprétiable ; & l’on peut réduire notre quantité à des longues, à des breves, & à des moins breves ; en quoi elle paroît admettre moins de variété que celle des anciens qui distinguoient jusqu’à quatre sortes de breves, sinon dans la versification, au moins dans la prose, qui l’emporte évidemment sur la poésie, pour la variété de ses nombres. Ainsi ils disoient que dans ὁδὸς, ρόδος, τρόπος, στρόφος, les premieres qui sont breves, n’en avoient pas moins une quantité sensiblement inégale. Mais c’est encore ici le cas où l’on peut s’en rapporter à l’organe exercé, du soin de réparer ces négligences.
Voici donc les conditions praticables & néces-