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dessus une couverture de laine, qu’on revêt d’un coutis bien tendu, & attaché avec des clous. Un ouvrier tient un moule ou chassis de bois, qui forme un quarré long de deux piés sur deux pouces d’épaisseur, à trois côtés, ou plûtôt deux côtés & la base. Le chassis appliqué sur une extrémité de l’établi, on prend quelques cueillerées de l’étain fondu dans une chaudiere m, qu’on verse sur ce lit, & qui se trouve arrêté par le chassis. Cette lame d’étain a deux pouces de profondeur ; & comme les plaques ne doivent avoir que deux lignes d’épaisseur environ, on la laisse étendre sur l’établi qui est en pente, en reculant doucement avec le chassis, que l’étain liquide suit toûjours, jusqu’à ce qu’il ait pris sur le coutis. Quand il est refroidi, on leve toute la coulée, qui se détache d’elle-même, & on la partage en disques ou plaques tracées au compas, de seize pouces de diametre chacune. Venons au blanchissage.

Pour cent livres d’épingles qu’on blanchit à-la-fois, on jette dans une chaudiere (fig. 14. Pl. III. vers le bas de la Planche), six seaux d’eau de huit pots chacun, où l’on répand trois livres de gravelle ou lie de vin blanc. Sur une plaque d’étain qui pese une livre à-peu-près, on met environ deux livres d’épingles ; qu’on prend à poignée sans les peser, & qu’on étend sur la plaque (figure 15), afin qu’elles s’étament mieux : les bords de la plaque sont relevés tout-autour, de peur que les épingles ne tombent. On met ainsi plusieurs plaques garnies l’une sur l’autre, ensorte que chaque lit d’épingles se trouve toûjours entre deux plaques. Un certain nombre de ces plaques forme ce qu’on appelle une portée (fig. 10. 10.) qu’un ouvrier met dans la chaudiere, au moyen d’une croix de fer en sautoir (fig. 3. 3. 1. 14.) suspendue par des fils d’archal ou de laiton (figure 2.) Ces fils débordent hors de la chaudiere, afin de pouvoir retirer les portées : chaque portée est séparée des autres par une plaque plus forte. Il faut que l’eau bouille avec la gravelle & les épingles pendant quatre heures. La gravelle sert à détacher les parties d’étain, qui s’attachent ensuite à l’épingle. Telle est la divisibilité de l’étain, qu’il ne perd que quatre onces sur cent livres d’épingles ; ainsi l’opération de couler les plaques ne revient qu’après dix-huit mois d’intervalle. L’étain dont on se sert en Angleterre, est du plus pur & très-bien calciné ; aussi les épingles y sont-elles très-blanches. Celles de Bordeaux ont encore un avantage sur celles-ci pour l’éclat & la durée de la blancheur, parce qu’on y mêle du tartre dans le blanchissage.

14°. On éteint les épingles, c’est-à-dire qu’on les lave dans un baquet d’eau fraîche (fig. 1. Pl. III.) suspendu en l’air sur un bâton, ou par des anses attachées à des crochets avec des cordes qu’on appelle la branloire ; on les secoue en balotant le baquet de côté & d’autre, pour séparer la gravelle qui tombe au fond, & purifier l’étamage.

15°. On seche les épingles. Il n’y a qu’à les mêler avec du son bien gros & bien sec, dans des sacs de cuir que deux hommes agitent chacun par un bout (5. fig. 4.) ; ou bien on les met dans un auget o ou boîte de bois qui va en retrécissant, & finit par une ouverture d’où les épingles coulent dans un barril foncé (B. fig. 2.) qu’on appelle frotoire. A la place de la bonde est un trou de six pouces quarré, qui s’ouvre & se ferme par une porte de bois doublée de papier, afin que les épingles & le son ne s’arrêtent ou ne tombent pas en tournant. Cette porte mobile est enchâssée entre deux liteaux, le long desquels elle monte & descend, comme les chassis de certaines fenêtres sans volet ; ensorte qu’elle ferme presque hermétiquement ce barril suspendu sur deux montans, & traversé d’un axe ; il se tourne avec un manche ou une manivelle à chaque bout, ou à un seul.

16°. On vanne les épingles, c’est-à-dire qu’on en sépare le son. Cette opération se fait dans un plat de bois d’environ deux piés & demi de circonférence, où l’on secoue les épingles, comme dans un crible ou dans un van à blé ; ou bien on les met dans une grosse cruche de terre (d. figure 3), d’où on les fait couler ; & tandis que les épingles tombent, le vent emporte le son, qui sert plusieurs fois, pourvû qu’on le resseche au four ou au soleil, car le plus usé se trouve le meilleur.

17°. On pique les papiers. Après qu’on les a pliés en plusieurs doubles, qui forment autant d’étages de 40 à 50 épingles chacun, jusqu’à la concurrence d’un demi-millier, on prend un poinçon ou peigne de fer à 20 ou 25 dents, d’où il tire le nom de quarteron ; & d’un seul coup de marteau qu’on frappe sur une élévation qui se trouve au dos du peigne, dans le centre, voilà la place faite à un quarteron d’épingles. Les demi-milliers sont divisés en deux colonnes, dont chacune contient 10 ou 12 rangs d’épingles. Outre ces papiers, il y en a dont on empaquete les demi-milliers par sixains ou dixains, qui contiennent 6 ou 10 milliers. Ces papiers sont marqués en rouge, à la marque de l’ouvrier qui fait les épingles, ou plûtôt du marchand qui les fait faire, & les débite en gros.

18°. On boute les épingles. C’est les placer dans le papier. On les prend à poignée, on les range par douzaine à-la-fois : il le faut bien, pour bouter jusqu’à 36 milliers d’épingles par jour ; encore ne gagne-t-on, quand on y excelle, que trois sous : aussi cet ouvrage reste entre les mains des enfans, qui gagnent deux liards pour 6 milliers qu’ils en peuvent bouter dans un jour.

On distingue l’espece & le prix des épingles par les numeros, qui varient avec la longueur & la grosseur. Tel est l’ordre des numeros : 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 12. 14. 17. 18. 20. 22. 24. 26. 30. 36. celles qui sont au-dessus s’appellent houseaux, espece d’épingles jaunes dont le millier se compte à la livre : il y a des milliers d’une livre, de deux & de trois. Le fil de laiton arrive de Suede en bottes de trois grosseurs : celles de la premiere grosseur servent à faire les houseaux & les drapieres ; la drapiere est une épingle grosse & courte, que les Drapiers employent à emballer leurs étoffes, ou à les attacher en double : la seconde grosseur s’employe aux épingles moyennes, c’est-à-dire depuis le n°. 20 jusqu’au n°. 10 ; & la troisieme grosseur, depuis le n°. 10 jusqu’au n°. 3, qui est le camion ou la demoiselle ; & pour en venir à ce point de finesse, le fil n’a besoin de passer que cinq à six fois par la filiere, tant il est ductile.

Il y a des épingles de fer qui passent par les mêmes épreuves que celles de laiton, excepté qu’au lieu de les blanchir, on les teint quelquefois en noir, pour le deuil ou pour les cheveux ; & qu’au lieu de les empointer, on en fait à double tête pour ce dernier usage : mais les têtes sont toûjours de laiton. La façon même de les blanchir est particuliere ; on y employe une poudre composée de sel ammoniac, d’étain commun, & d’étain de glace ou de vif-argent, qu’on fait bouillir avec les épingles dans un pot de fer.

Voici la maniere de préparer le fer pour le réduire en fil d’épingle, ou la description d’une allemanderie qu’on voit à Laigle en Normandie, à 30 lieues de Paris. Il y a d’abord une grande roue à palettes, que l’eau fait tourner comme celle des moulins à blé. L’arbre de cette roue est d’environ 24 piés de long sur 18 pouces de diametre : il est armé vers les deux extrémités de coins ou cames, placés tout-au-tour, les uns, vers le côté de la roue, acérés d’acier au nombre de 16, larges de 4 pouces, épais d’un pouce