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d’une maniere indécente dans celui d’Honorius & de Marie.

Pour Sidonius, aussi-bien que tous les modernes, dont les poésies sont lûes des honnêtes gens, comme Buchanan parmi les Ecossois, Malherbe & quelques autres parmi nous, excepté Scarron, ils sont irréprochables à cet égard ; si pourtant l’on excepte encore parmi les Italiens le cavalier Marini, qui mêle sans respect pour ses héros, à des loüanges quelquefois délicates, des traits tout-à-fait licentieux.

Il semble que l’épithalame admettant toute la liberté de la Poésie, il ne peut être assujetti à des préceptes ; mais comment arriver à la perfection de l’art, sans le secours de l’art même ? Aussi Denys d’Halicarnasse donnant aux orateurs les regles de l’épithalame, ne dit pas qu’elles soient inutiles ; il les renvoye même aux écrits de Sapho. Rien n’est si avantageux, en général, que d’étudier les modeles, parce qu’ils renferment toûjours les préceptes, & qu’ils en montrent encore la pratique.

Il est vrai qu’il n’y a point de regles particulieres prescrites pour le genre, pour le nombre, ni pour la disposition des vers propres à cet ouvrage ; mais comme le sujet en tout genre de poésie est ce qu’il y a de principal, il semble que le poëte doit chercher une fiction qui soit tout ensemble juste, ingénieuse, propre & convenable aux personnes qui en seront l’objet ; & c’est en choisissant les circonstances particulieres, qui ne sont jamais absolument les mêmes, que l’épithalame est susceptible de toutes sortes de diversités.

Claudien & Buchanan, sans être en tout & à tous égards de vrais modeles, ont rendu propres à leurs héros les épithalames qu’ils nous ont laissés. Pour le cavalier Marini, loin qu’il soit heureux dans le choix des circonstances, ou dans les fictions qu’il ne doit qu’à lui-même, on n’y trouve presque jamais ni convenance ni justesse. L’épithalame qui a pour titre, les travaux d’Hercule, & pour objet un seigneur de ce nom, n’est qu’une indécente & froide allusion aux travaux de ce dieu de la fable. Dans l’hymenée où il s’agit des noces de Vincent Caraffe, c’est Silene qui chante tout simplement l’épithalame du berger Amynte. Telles sont ordinairement les fictions de cet auteur : s’il en a d’une autre nature, il les emprunte de Claudien, de Sidonius même ; ou il les gâte par des descriptions si longues & si fréquentes, qu’elles rebutent l’esprit, & font disparoître le sujet principal.

Fuyez de cet auteur l’abondance stérile,
Et ne vous chargez point d’un détail inutile,


dit un de nos meilleurs poëtes dans une occasion toute semblable.

Parlons à présent des images ou des peintures qui conviennent à ce genre de poëme. L’épithalame étant par lui-même destiné à exprimer la joie, à en faire éclater les transports, on sent qu’il ne doit employer que des images riantes, & ne peindre que des objets agréables. Il peut représenter l’Hymenée avec son voile & son flambeau ; Vénus avec les graces, mêlant à leurs danses ingénues de tendres concerts ; & les Amours cueillant des guirlandes pour les nouveaux époux.

Mais ramener dans un épithalame le combat des géans, & la fin tragique des héroïnes fabuleuses, comme fait Sidonius, ou le repas de Thyeste, & la mort de César, comme fait le cavalier Marini, c’est (pour le dire avec un ancien) être en fureur en chantant l’hymenée.

Pour les images indécentes, ou qui révoltent la modestie, quiconque en employe de ce caractere ne peche pas moins contre les regles de l’art en général, que contre ses vrais intérêts. En effet, si un discours

n’a de véritable beauté qu’autant qu’il exprime une chose qui fait plaisir à voir ou à entendre, ou bien qu’il présente un sens honnête, comme Théophraste le soûtient, & comme la raison même le persuade, que doit-on penser de ces sortes d’images ? Et se les permettre dans une matiere chaste par elle-même, n’est-ce pas en quelque maniere imiter Ausone, qui pour avoir travesti en poëte sans pudeur le plus sage de tous les Poëtes, n’a pû trouver encore depuis tant de siecles un seul apologiste ?

Bien différent de cet écrivain, Théocrite n’offre à l’esprit que des images agréables ; il ne représente que des objets gracieux, & avec des idées & des expressions enchanteresses. Telle est son épithalame d’Hélene, chef-d’œuvre en ce genre qu’on ne sauroit trop loüer.

Après avoir donné des couronnes de jacinthe aux filles de Lacédémone qui chantent l’hymenée, il leur fait relever en ces termes le bonheur de Ménélas. « Vous êtes arrivé à Sparte sous des auspices bien favorables ; seul entre les demi-dieux, vous devenez le gendre de Jupiter, vous épousez Hélene ! Les graces l’accompagnent, les amours sont dans ses yeux ; elle étoit l’ornement de Sparte, comme le cyprès est l’honneur des jardins ». Puis venant à Hélene même : « Uniquement occupées de vous, nous allons, disent-elles, vous cueillir une guirlande de lotos ; nous la suspendrons à un plane, & en votre honneur nous y répandrons des parfums. Sur l’écorce du plane, on gravera ces mots : honorez-moi, je suis l’arbre d’Hélene ». S’adressant ensuite aux deux époux : « Puisse Vénus, ajoûtent-elles, vous inspirer une ardeur mutuelle & durable ! puisse Latone vous accorder une heureuse postérité, & Jupiter vous donner des richesses que vous transmettiez à vos descendans » !

Ce poëme, au reste, a deux parties qui sont bien marquées, & qui paroissent essentielles à tout épithalame ; l’une qui comprend les loüanges des nouveaux époux, l’autre qui renferme des vœux pour leur prospérité.

La premiere partie exige tout l’art du poëte ; car il en faut infiniment pour donner des loüanges, qui soient tout ensemble ingénieuses, naturelles, & convenables : & voilà sans doute pourquoi l’on dit si souvent que l’épithalame est l’écueil des Poëtes.

Les loüanges seront ingénieuses, si elles sortent, pour ainsi dire, du fond même de la fiction ; naturelles, si elles ne blessent pas la vraissemblance poétique ; convenables, si elles sont accommodées selon les regles de cette vraissemblance au sexe, à la naissance, à la dignité, au mérite personnel.

Il en est de même, à proportion, des vœux ; ils doivent être naturels, ou se renfermer dans la vraissemblance poétique ; & convenables, ou ne pas excéder la vraissemblance relative, si je puis m’exprimer ainsi avec M. Souchai ; car j’ai tiré toutes les réflexions qu’on vient de lire dans cet article, d’un de ses discours inséré dans le recueil de l’académie des Belles Lettres, & je ne crois pas que personne ait mieux traité cette matiere.

C’est peut-être un travail en pure perte, que celui de notre savant ; du moins on a lieu de le penser, quand on considere à quel point tout le monde est dégoûté de ce genre de poëme, soit par la difficulté du succès, soit par l’exemple de tant de gens qui y ont échoüé avec mépris, soit enfin par le peu d’honneur qu’on gagne à courir dans cette carriere : il est du moins certain que les épithalames sont tombés dans un tel discrédit, que les Hollandois qui en étoient les plus grands protecteurs, non-seulement les ont abandonnés, mais même ont pris le parti de leur substituer des estampes particulieres, qu’ils appellent de ce nom, comme s’ils pensoient que l’épithalame poéti-