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fait qui donneroit aux courses à cheval presque la même ancienneté que celle qu’on trouve dans Hygin, M. Freret soûtient qu’il n’est fondé que sur une tradition peu ancienne : Pindare, dit-il, n’en a pas fait usage lorsqu’il a célébré des victoires remportées dans les courses de chevaux. « Dans ces occasions, ajoûte-t-il, l’histoire ancienne ne lui fournissant aucun exemple de ces courses, il a recours aux avantures des héros qui se sont distingués dans les courses de chars[1] ». Mais qui ne voit que le poëte a voulu varier ses descriptions, en faisant de ces deux sortes de courses un objet de comparaison, capable de jetter plus de feu, plus de brillant, plus d’énergie dans ses odes ?

Si ces courses à cheval, dit M. Freret, avoient été en usage dès le tems de l’olympiade d’Hercule, pourquoi n’en trouve-t-on aucun exemple jusqu’à la trente-troisieme olympiade de Corœbus, célébrée l’an 648[2] avant J. C. 700 ans après les jeux funebres de Pelops, & 240 ans après le renouvellement des jeux olympiques par Iphitus ? Ce raisonnement ne prouve rien du tout : car on pourroit avec autant de raison dire à M. Freret : vous assûrez qu’au tems d’Homere l’art de l’équitation étoit porté à un tel degré de perfection, qu’un seul écuyer conduisoit à toute bride quatre chevaux à la fois, s’élançant avec adresse de l’un à l’autre pendant la rapidité de leurs courses ; & moi je dis que si cela étoit vrai, on n’auroit pas attendu près de trois cents ans depuis Homere, pour mettre les courses de chevaux au nombre des spectacles publics.

Il y a quelque apparence que la nouveauté des cou ses de chars fut la cause qu’on abandonna les autres pendant long-tems, & qu’on n’y revint qu’après plusieurs siecles : il falloit en effet bien plus d’art & de dextérité pour conduire dans la carriere un char attelé de plusieurs chevaux, que pour manier un seul cheval. Qu’on en juge par le discours de Nestor à Antiloque son fils (Iliad. l. XXIII.).

La fable & Homere après elle, ont parlé du cheval d’Adraste : ce poëte le nomme le divin Arion ; il avoit eu pour maître Hercule ; ce fut étant monté sur Arion (Paus. II. vol. p. 181.) que ce héros gagna des batailles, & qu’il évita la mort. Après avoir pris Augias roi d’Elis, & après la guerre de Thebes antérieure à celle de Troye, il donna ce cheval à Adraste. Comme on voit dans presque tous les auteurs qui en ont parlé ce rapide coursier toûjours seul, on en a conclu avec assez de vraissemblance, que c’étoit un cheval de monture : mais M. Freret lui trouve un second qu’on nommoit Cayros. Voilà un fait. Antimaque[3] l’assûre ; il faut l’en croire : mais il doit aussi servir d’autorité à ceux qui ne pensent pas comme M. Freret. Or Antimaque dit positivement qu’Adraste fuit en deuil monté sur son Arion. On a donc eu rai-

son de regarder Arion comme un cheval accoûtumé à être monté, sans nier toutefois qu’il n’ait pû être quelquefois employé à conduire un char. Antimaque ajoûte qu’Adraste fut le troisieme qui eut l’honneur de dompter Arion : c’est qu’il avoit appartenu d’abord à Onéus, qui le donna à Hercule. Tout cela ne prouve-t-il pas en faveur de l’équitation de tems antérieurs à la guerre de Troye ?

Monumens anciens. M. Freret suit la même marche dans l’examen des monumens anciens. Ceux où il n’a point vû de chevaux de monture, méritent seuls quelque croyance, ils sont autant de preuves positives : les autres sont ou factices, ou modernes, on ne doit point y ajoûter foi.

(Pausan. l. V.) Le cofre des Cypsélides dont il a déjà été parlé, est, selon cet académicien, un monument du huitieme siecle avant J. C. On y voyoit représentés les évenemens les plus célebres de l’histoire des tems héroïques, la célébration des jeux funebres de Pelias, plusieurs expéditions militaires, des combats, & même en un endroit deux armées en présence : dans toutes ces occasions, les principaux héros étoient montés sur des chars à deux ou à quatre chevaux, mais on n’y voyoit point de cavaliers ; doit-on conclure qu’il n’y en avoit point, de ce que Pausanias n’en parle pas ? mais son silence ne prouve rien ici : au contraire, l’expression qu’il employe donneroit lieu de croire qu’il y en avoit. En décrivant deux armées représentées sur ce coffre, il dit que l’on y voyoit des cavaliers montés sur des chars (Paus. l. V.). Ce n’est point-là affirmer qu’il n’y en avoit point de montés sur des chevaux, car il ne dit pas qu’ils fussent tous sur des chars : d’ailleurs les chefs, dans les tems héroïques, combattant pour l’ordinaire sur des chars, il se pourroit fort bien que le sculpteur, qui ne s’attachoit qu’à faire connoître ces chefs & par leur portrait & par leur nom, n’ait représenté qu’eux, pour ne pas jetter trop de confusion dans ses bas-reliefs en y ajoûtant un grand nombre de figures d’hommes à cheval. Cette raison est d’autant plus plausible, que dans le tems où ce coffre a été fait il y avoit, de l’aveu de M. Freret, au moins 250 ans que l’équitation étoit connue des Grecs.

Sur le massif qui soûtenoit la statue d’Apollon dans le temple d’Arayclé, Castor & Pollux étoient représentés à cheval (Paus. l. III.), de même que leurs fils Anaxias & Mnasinoüs. Pausanias rapporte encore qu’on voyoit à Argos (lib. II.) dans le temple des Dioscures, les statues de Castor & Pollux, celles de Phoebe & Ilaïra leurs femmes, & celles de leurs fils Anaxias & Mnasinoüs, & que ces statues étoient d’ébene, à l’exception de quelques parties des chevaux. Il y avoit à Olympie (Pausan. l. V.) un grouppe de deux figures représentant le combat d’Hercule contre une amazone à cheval ; les mêmes Castor & Pollux étoient représentés à Athenes debout, & leurs fils à cheval (Paus. l. II.).

M. Freret qui rapporte tous ces monumens, & quelques autres d’après Pausanias, étale une érudition immense pour montrer que les plus anciens sont postérieurs à l’établissement de la course des chevaux aux jeux olympiques. Quand on en conviendroit avec lui, on n’en seroit pas moins autorisé à croire que la plûpart de ces monumens n’ont été faits que pour en remplacer d’autres que la longueur du tems ou les fureurs de la guerre avoient détruits ; & que les sculpteurs se sont exactement conformés à la maniere distinctive dont les héros avoient été représentés dans les anciens monumens, de même qu’à ce que la tradition en rapportoit. La pratique constante de toutes les nations & de tous les tems, donne à cette conjecture beaucoup de vraissemblance.

    années à ceux de Pélias, & c’est ce que l’on nomme l’olympiade d’Hercule, qui combattit à ces jeux, & qui en regla la forme soixante ans avant la guerre de Troye.

  1. M. Freret cite en preuve la premiere olympionique de Pindare, où à propos de la victoire remportée par Hiéron à la course des chevaux, ce poëte rapporte l’histoire de Pélops, vainqueur à la course des chars. Mais du tems d’Hiéron, à celui où l’on introduisit aux jeux olympiques les courses des chevaux, il y a cent soixante ans d’intervalle : les exemples anciens ne pouvoient donc pas manquer à Pindare, s’il avoit eu dessein d’en rapporter.
  2. Ce calcul de M. Freret n’est ni le plus exact, ni le plus suivi. Les plus savans chronologistes rapportent l’olympiade de Corœbus à l’an 776 avant J. C. l’époque de la fondation de Rome, liée avec cette olympiade, semble donner à ce dernier sentiment toute la force d’une démonstration. Il suit de-là que les courses de chevaux furent admises au nombre des spectacles des jeux olympiques cent vingt-huit ans plûtôt que M. Freret ne l’a crû.
  3. Auteur d’un poëme de la Thébaïde ; il vivoit du tems de Socrate. Quintilien dit qu’on lui donnoit le second rang après Homere ; Adrien le mettoit au-dessus d’Homere même.