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qui le doit aujourd’hui : il rend au peuple les moyens de s’occuper ; mais c’est en partageant le fruit de son travail, en bornant sa subsistance.

Nous parlons donc ici d’une nouvelle masse d’argent qui n’entre point précairement dans la circulation d’un état : il n’est que deux manieres de se la procurer, par le travail des mines, ou par le commerce étranger.

L’argent qui vient de la possession des mines, peut n’être pas mis dans le commerce de l’état, par diverses causes. Il est entre les mains d’un petit nombre d’hommes ; ainsi, quand même ils useroient de l’augmentation de leur faculté de dépenser, la concurrence de l’argent ne sera accrue qu’en faveur d’un petit nombre de denrées. La consommation des choses les plus nécessaires à la vie, n’augmente pas avec la richesse d’un homme ; ainsi la circulation de ce nouvel argent commencera par les denrées les moins utiles, & passera lentement aux autres qui le sont davantage.

La classe des hommes occupés par le travail des denrées utiles & nécessaires, est cependant celle qu’il convient de fortifier davantage, parce qu’elle soûtient toutes les autres.

L’argent qui entre en échange des denrées superflues, est nécessairement réparti entre les propriétaires de ces denrées par les négocians, qui sont les économes de la nation. Ces propriétaires sont ou des riches qui, travaillant avec le secours d’autrui, sont forcés d’employer une partie de la valeur reçûe à payer des salaires ; ou des pauvres, qui sont forcés de dépenser presqu’en entier leur rétribution pour subsister commodément. Le commerce étranger embrasse toutes les especes de denrées, toutes les classes du peuple.

Nous établirons donc pour maxime que la circulation s’accroîtra plus sûrement & plus promptement dans un état, par la balance avantageuse de son commerce avec les étrangers, que par la possession des mines.

C’est aussi uniquement de l’augmentation de la masse d’argent par le commerce étranger, que nous parlerons.

Par-tout où l’argent n’est plus simple signe attiré par les denrées, il en est devenu en partie la mesure, & en cette qualité il les attire réciproquement : ainsi toute augmentation de la masse d’argent, sensible dans la circulation, commence par multiplier sa fonction de signe, avant d’augmenter son volume de signe ; c’est-à-dire que le nouvel argent, avant de hausser le prix des denrées, en attirera dans le Commerce un plus grand nombre qu’il n’y en avoit. Mais enfin ce volume du signe sera augmenté en raison composée des masses anciennes & nouvelles, soit des denrées, soit de leurs signes.

En attendant, il est clair que cette nouvelle masse d’argent aura nécessairement réveillé l’industrie à son premier passage. Tâchons d’en découvrir la marche en général.

Toute concurrence d’argent survenue dans le Commerce en faveur d’une denrée, encourage ceux qui peuvent fournir la même denrée, à l’apporter dans le Commerce, afin de profiter de la faveur qu’elle a acquise. Cela arrive sûrement, si quelque vice intérieur dans l’état ne s’y oppose point : car si le pays n’avoit point assez d’hommes pour accroître la concurrence de la denrée, il en arrivera d’étrangers, si l’on sait les accueillir & rendre leur sort heureux.

Cette nouvelle concurrence de la denrée favorisée, rétablit une espece d’équilibre entr’elle & l’argent ; c’est-à-dire que l’augmentation des signes destinés à échanger cette denrée, se répartit entre un

plus grand nombre d’hommes ou de denrées : la fonction du signe est multipliée.

Cependant le volume du signe augmente communément de la portion nécessaire pour entretenir l’ardeur des ouvriers : car leur ambition se regle d’elle-même, & borne tôt ou tard la concurrence de la denrée en proportion du profit qu’elle donne.

Les ouvriers occupés par le travail de cette denrée se trouvant une augmentation de signe, établiront avec eux une nouvelle concurrence en faveur des denrées qu’ils voudront consommer. Par un enchaînement heureux, les signes employés aux nouvelles consommations, auront à leur tour la même influence chez d’autres citoyens : le bénéfice se répétera jusqu’à ce qu’il ait parcouru toutes les classes d’hommes utiles à l’état, c’est-à-dire occupés.

Si nous supposons que la masse d’argent introduite en faveur de cette denrée à une ou plusieurs reprises, ait été partagée sensiblement entre toutes les autres denrées par la circulation, il en résultera deux effets.

1°. Chaque espece de denrée s’étant approprié une portion de la nouvelle masse des signes, la dépense des ouvriers au travail desquels sera dû ce bénéfice, se trouvera augmentée, & leur profit diminué. Cette diminution des profits est bien différente de celle qui vient de la diminution de la masse des signes. Dans la premiere, l’artiste est soûtenu par la vûe d’un grand nombre d’acheteurs ; dans la seconde, il est desespéré par leur absence : la premiere exerce son génie : la seconde le dégoûte du travail.

2°. Par la répartition exacte de la nouvelle masse de l’argent. sa présence est plus assûrée dans le Commerce ; les motifs de défiance qui pouvoient se rencontrer dans l’état, s’évanoüissent ; les propriétaires de l’ancienne masse la répandent plus librement : la circulation est rapprochée de son ordre naturel ; il y a moins d’emprunteurs, l’argent perd de son prix.

L’intérêt payé à l’argent étant une diminution de la valeur des denrées, suivant notre neuvieme conséquence, la diminution de cet intérêt augmente leur valeur ; il y a dès-lors plus de profit à les apporter dans le Commerce : en effet, il n’est aucune de ses branches à laquelle la réduction des intérêts ne donne du mouvement.

Toute terre est propre à quelqu’espece de production ; mais si la vente de ces productions ne rapporte pas autant que l’intérêt de l’argent employé à la culture, cette culture est négligée ou abandonnée ; d’où il résulte que plus l’intérêt de l’argent est bas dans un pays, plus les terres y sont réputées fertiles.

Le même raisonnement doit être employé pour l’établissement des Manufactures, pour la Navigation, la Pêche, le défrichement des colonies. Moins l’intérêt des avances qu’exigent ces entreprises est haut, plus elles sont réputées lucratives.

De ce qu’il y a moins d’emprunteurs dans l’état, & plus de profit proportionnel dans le Commerce, le nombre des négocians s’accroît. La masse d’argent grossit, les consommations se multiplient, le volume des signes s’accroît : les profits diminuent alors ; & par une gradation continuelle l’industrie devient plus active, l’intérêt de l’argent baisse toûjours, ce qui rétablit la proportion des bénéfices ; la circulation devient plus naturelle.

Permettons à nos regards de s’étendre, & de parcourir le spectacle immense d’une infinité de moyens réunis d’attirer l’argent étranger par le Commerce. Mais supposons-en d’abord un seulement dans chaque province d’un état : quelle rapidité dans la circulation ? quel essor la cupidité ne donnera-t-elle point aux artistes ? leur émulation ne se borne plus