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Évolutions de l’Infanterie.
Observations préliminaires.

I. Toute troupe qu’on assemble pour quelqu’objet que ce soit, doit d’abord être mise en bataille, c’est-à-dire former des rangs & des files. Voyez Rangs & Files.

Si l’on place plusieurs rangs de suite les uns derriere les autres, les files seront composées d’autant d’hommes qu’il y aura de rangs. Voyez Bataillon.

Lorsqu’une troupe est en bataille, dans l’ordre où elle doit combattre, les files & les rangs sont serrés autant qu’il est possible pour donner plus de force à la troupe, en réunissant ainsi toutes ses parties pour en former une espece de corps solide.

Dans cet état de pression, la troupe ne se meut pas aussi facilement que s’il y avoit quelqu’intervalle entre les rangs & les files. C’est pourquoi lorsqu’il ne s’agit pas d’attaquer l’ennemi ou d’en soûtenir les efforts, les hommes de la troupe ou du bataillon peuvent être dans une situation moins gênante pour marcher plus commodément & plus legerement.

De cette considération naissent deux sortes de dispositions de files & de rangs ; savoir, des files serrées & ouvertes, & des rangs serrés & ouverts.

Les files sont serrées, lorsque les soldats de chaque rang se pressent tellement les uns & les autres, qu’il ne leur reste que la liberté du coude pour se servir de leurs armes.

Lorsque les soldats d’un même rang sont ainsi pressés, on peut évaluer environ à deux piés l’espace qu’ils occupent chacun dans le rang. Si l’on veut faire serrer les soldats en marchant, autant qu’il est possible, cet espace peut se reduire à 18 pouces ; mais alors bien des officiers croyent qu’ils sont trop gênés pour se servir aisément de leurs armes : & comme ils ne sont pas dans le bataillon pour présenter uniquement leur corps à l’ennemi, qu’ils ont besoin de l’usage de leurs bras, il suit de-là qu’on ne doit serrer les files qu’autant qu’on le peut sans aucun inconvénient à cet égard.

Lorsque les files sont ouvertes, il doit y avoir entr’elles, pour l’exécution des différens mouvemens dont on parlera dans la suite, un espace égal, ou à-peu-près égal, à celui qu’elles occupent étant serrées.

Ainsi l’épaisseur d’une file serrée étant à-peu-près de deux piés, les files auront à-peu-près ce même intervalle entr’elles lorsqu’elles seront ouvertes.

Il y a des cas particuliers où les files sont beaucoup plus ouvertes, comme lorsqu’il s’agit de faire l’exercice, ou le maniement des armes, d’occuper un espace déterminé avec peu de troupes, &c. mais il n’est point question alors de les faire manœuvrer comme si elles étoient en présence de l’ennemi. C’est pourquoi ces différens cas qui sortent de la loi générale, ne peuvent être ici d’aucune considération.

Si l’union ou la pression des files est nécessaire pour donner de la solidité à un corps de troupes, il est clair que celles des rangs ne l’est pas moins, & par conséquent qu’ils doivent se serrer les uns sur les autres autant qu’il est possible pour se soûtenir réciproquement. Il seroit à souhaiter pour la solidité de la troupe, qu’ils fussent, pour ainsi dire, colés les uns sur les autres ; mais alors la troupe ne pourroit marcher qu’avec beaucoup de peine & pendant peu de tems. Si on la suppose immobile, ou qu’on veuille la faire tirer arrêtée, elle pourra se tenir ainsi, afin que le quatrieme rang, si elle a quatre rangs, puisse tirer sans incommoder le premier, c’est-à-dire que le bout des fusils des soldats du quatrieme rang dépassent les hommes du premier (voyez Emboîtement) : mais s’il s’agit de marcher, il faut que l’é-

paisseur du rang, en y comprenant l’intervalle qui

le sépare du rang qui suit immédiatement, soit d’environ trois piés. Dans cette position, on dit que les rangs sont serrés à la pointe de l’épée[1], parce que le bout des épées des soldats de chaque rang touche le devant de la jambe des soldats du rang qui est derriere.

Cette pression de rangs ne devroit se faire que lorsqu’on est prêt à combattre, ou qu’on veut marcher dans l’ordre propre au combat, parce qu’elle gêne toûjours un peu la marche du soldat, & que d’ailleurs il ne faut qu’un instant pour faire serrer à la pointe de l’épée quatre ou cinq rangs éloignés les uns des autres, par exemple, de 12 piés ; car alors le dernier rang n’est éloigné du premier que de huit toises. C’est pourquoi, comme il est remarqué dans une note de l’Art de la guerre de M. le maréchal de Puysegur (tom. l. pag. 194.), si l’ennemi est à 15 ou 16 toises, la troupe qui a ses rangs ouverts a encore le tems de se serrer avant d’être jointe par l’ennemi, & à plus forte raison si l’on en est à une plus grande distance. On observe dans la note qu’on vient de citer, qu’il y a cependant une attention à faire sur ce sujet, « c’est que s’il y avoit de la cavalerie à portée, comme elle peut marcher fort vîte, il faut se serrer plûtôt ; mais il n’y a que les Hussards ou de la cavalerie de pareille espece, qui puissent parcourir cent pas, qui font 50 toises, avant que votre bataillon ait serré ses rangs, le dernier n’ayant que huit toises à parcourir ».

On peut voir dans l’article 5. tom. I. du dixieme chapitre de l’Art de la guerre, les différens inconvéniens qui resultent de marcher toûjours à rangs serrés. Quel que puisse être l’usage contraire, comme un usage ne tient pas lieu de raison, nous croyons que ceux qui liront avec attention ce que M. le maréchal de Puysegur a écrit sur ce sujet, douteront au moins de la plûpart des avantages qu’on attribue à la méthode de marcher & de faire toutes les évolutions à rangs serrés.

Quoi qu’il en soit, comme les évolutions que nous allons expliquer, exigent dans différens cas que les rangs soient un peu ouverts, nous appellerons rangs ouverts, ceux qui avec leur intervalle occuperont un espace double de celui qu’ils occupent étant serrés, c’est-à-dire six piés ou environ.

L’ordonnance du 6 Mai 1755, prescrit douze piés ou six pas de deux piés chacun pour l’intervalle des rangs ouverts. C’est à-peu-près la même distance qu’on observoit autrefois en conformité du réglement du 2 Mars 1703, rapporté dans le code militaire de M. Briquet.

Ce seroit peut-être ici le lieu d’examiner quel est le nombre de rangs qu’on doit donner à une troupe d’infanterie, pour lui donner la formation la plus avantageuse pour le combat ; mais c’est ce qu’on ne peut guere fixer par des raisonnemens solides & démonstratifs.

  1. L’expression de serrer les rangs à la pointe de l’épée, commence à n’être plus d’un usage général dans les troupes. On lui substitue celle de serrer les rangs en-avant.

    La raison de ce changement, c’est que le Roi ayant ordonné de renouveller les ceinturons de l’Infanterie (ce qui doit être fini dans l’espace de trois ans), les nouveaux ceinturons seront faits de maniere que le soldat portera l’épée sur le côté le long de la cuisse, à-peu-près de la même maniere qu’on porte les couteaux de chasse. Or lorsque toute l’Infanterie portera ainsi l’épée, l’expression de serrer les rangs à la pointe de l’épée, ne sera plus exacte, parce que les soldats de chaque rang ne pourront plus toucher le bout des épées du soldat du rang qui les précédera. Cependant comme cette expression est ancienne, & qu’il ne seroit pas impossible qu’elle prevalût sur la nouvelle, nous continuerons de nous en servir, mais ne lui donnant la même signification qu’a celle de serrer les rangs en-avant, par laquelle on entend qu’il faut les serrer autant qu’il est possible les uns sur les autres, sans gêner la marche du soldat.