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que le motif des unes & des autres soit toûjours la perception claire ou obscure du bien & du mal ; car les libres sont déterminées par la raison & la volonté, quoiqu’elles ne soient pas toûjours conformes à la droite raison & à la vérité : ce sont les seules actions qui nous sont imputées ; elles sont du ressort de la Jurisprudence & de la Morale.

Mais les actions naturelles sont déterminées par la perception claire ou obscure, mais toûjours confuse du bien & du mal, les sens ne pouvant seuls nous en donner des idées distinctes, & nous nous y portons par une cupidité ou une aversion aveugles dont nous connoissons quelquefois clairement les motifs, comme dans les passions, & quelquefois nous ignorons ce motif, comme dans le mouvement des organes cachés à la vûe, & dans les actions que nous faisons par coûtume.

Faculté, (Physiol.) terme générique ; c’est la puissance par laquelle les parties peuvent satisfaire aux fonctions auxquelles elles sont destinées. Telle est, par exemple, la faculté qu’a l’estomac de retenir les alimens jusqu’à ce qu’ils soient suffisamment digérés, & de les chasser dans les intestins, lorsque la digestion qui se doit faire dans ce viscere est achevée.

Il y a deux choses à remarquer dans les facultés ; 1°. les organes ou les causes instrumentales, par lesquelles les opérations de l’économie animale s’exécutent : ces causes sont purement machinales ; elles dépendent uniquement de l’organisation des parties, & du principe vital qui les anime & qui les met en mouvement. 2°. La premiere cause qui donne le mouvement à ce principe matériel qui anime les organes & qui dirige leurs actions. Presque tous les philosophes anciens & modernes ont attribué à la matiere même, cette puissance motrice ou cette ame qui la dirige dans ces mouvemens, & qui l’arrange dans la construction des corps.

Comme les facultés se divisent communément en facultés animales, facultés sensitives, & facultés intellectuelles, nous suivrons ici cette division.

Il y a dans les hommes deux sortes de facultés animales ; savoir les facultés du corps qui agissent sur l’ame, & les facultés motrices de l’ame qui agissent sur le corps. Les premieres ont été attribuées par les Medecins, à l’ame sensitive ; car il n’y a que quelques philosophes modernes qui n’ont pas voulu reconnoître d’ame sensitive dans les animaux.

Les facultés du corps qui agissent sur l’ame, dépendent des différens organes qui nous procurent différentes sensations ; telles sont les sensations de la lumiere & des couleurs qui nous sont procurées par les organes de la vûe ; le sentiment du son par les organes de l’oüie ; celui des odeurs, par les organes de l’odorat ; celui des saveurs, par l’organe du goût ; ceux des qualités tactiles, par l’organe du toucher, qui est distribué dans presque toutes les parties du corps ; les appétits qui nous avertissent par divers organes des besoins du corps, ou qui nous sollicitent à satisfaire nos inclinations & nos passions : enfin les sentimens de gaïeté & d’angoisse, qui dépendent des différens états de la plûpart des visceres, par exemple du cerveau, du cœur, des poumons, de l’estomac, des intestins, de la matrice, &c.

Les esprits animaux mis en jeu par les objets qui affectent les organes des sens, contractent des mouvemens habituels, & laissent dans le cerveau ou dans les nerfs de ces organes, des traces, des modifications qui rappellent ou causent à l’ame des sensations, semblables à celles qu’elle a eues lorsque les objets mêmes ont agi sur les sens.

Tout ce que nous savons sur les facultés qui rappellent ces sensations, c’est-à-dire sur la mémoire, l’imagination, &c. se réduit à des connoissances vagues, qui ne peuvent nous servir qu’à former des

conjectures sur le lieu où résident ces facultés, & sur le méchanisme par lequel elles s’exécutent.

Est-ce dans le cerveau ou dans les nerfs des organes des sens que se forment les traces, les modifications qui rappellent à l’ame, par l’entremise des esprits animaux, des sensations que lui ont causé les objets qui ont frappé les organes des sens ? Il est difficile d’assigner dans le cerveau aucun lieu, ni aucun endroit où se puissent graver ou tracer tant d’images différentes : cependant nous savons qu’un foible dérangement dans certaines parties du cerveau, mais particulierement dans le corps calleux, comme l’a prouvé M. de la Peyronie (Mémoires de l’acad. des Scienc. an. 1741.), détruit ou fait cesser entierement l’usage de toutes les facultés du corps qui peuvent agir sur l’ame. Mais que peut-on conclure de-là, si ce n’est que cette partie est le lieu où l’être sensitif reçoit les sensations que lui procurent les facultés du corps qui agissent sur lui ?

Ces facultés résident-elles dans toute l’étendue des nerfs, qui se terminent par une de leurs extrémités dans le corps calleux, & par l’autre dans les organes des sens, qui ont d’abord fourni des sensations ? Il ne paroît pas qu’elles existent dans la partie de ces nerfs, qui entre dans la composition des organes des sens ; car lorsque ces organes sont détruits, ou lorsque leur usage est suspendu, les facultés qui nous rappellent les sensations qu’ils nous ont procurées, subsistent encore. Un aveugle peut se représenter les objets qu’il a vûs ; un sourd peut se ressouvenir des airs de musique qu’il a entendus ; un homme à qui on a coupé une jambe, souffre quelquefois des douleurs qu’il croit sentir dans la jambe même qui lui manque : cependant ces exemples ne prouvent point absolument que les facultés recordatives ne s’étendent pas jusque dans la partie des nerfs qui entrent dans la composition des organes des sens ; mais seulement que ces facultés peuvent subsister indépendamment de cette partie, parce qu’elles subsistent encore dans les nerfs qui vont à ces mêmes organes, & qui restent dans leur état naturel. Concluons qu’on ne sauroit déterminer en quoi consiste le méchanisme des facultés qui nous rappellent des sensations.

La faculté motrice de l’ame sur le corps, est la puissance qu’ont les animaux de mouvoir volontairement quelques parties organiques de leur corps : cette faculté, comme je l’ai dit ci-dessus, a été attribuée à la matiere par la plûpart des philosophes. Selon eux, la matiere n’a rien de déterminé ; ce n’est qu’une substance incomplete, qui est perfectionnée par la forme ; mais cette même substance est cependant toute en puissance ; & c’est de cette puissance que dépendent radicalement les propriétés qu’a la matiere de recevoir toutes les formes par lesquelles elle peut acquérir les facultés de sentir & de se mouvoir.

L’ame n’est point une vraie cause motrice, mais tout au plus une cause dirigente ou déterminante des mouvemens qui paroissent dépendre de la volonté des animaux, & qu’on attribue à leur ame sensitive. L’ame a dans l’homme une puissance active, qui dirige les mouvemens soûmis à sa volonté. Notre ame peut changer, modifier, suspendre, accélérer la direction naturelle du mouvement des esprits, par lequel s’exécutent ces déterminations ; elle peut affoiblir, retenir, faire disparoître, & faire renaître quand elle veut, les sensations & les perceptions que lui rappellent la mémoire & l’imagination ; elle peut se former des idées composées, des idées abstraites, des idées vagues, des idées précises, des idées factices ; elle arrange ses idées, elle les compare, elle en cherche les rapports, elle les apprécie, elle juge, elle pese les motifs qui peuvent la déterminer à agir : toutes ces facultés supposent nécessairement dans no-