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tion contraire à la naturelle, trop gros pour pouvoir être contenu jusqu’à terme, ou nourri par la mere ; lorsque ses membranes sont trop foibles, lorsque le cordon est trop court, trop long, noüé ; il n’est point d’art pour prévenir la fausse-couche. Il est encore impossible qu’une femme ayant avorté d’un des deux enfans qu’elle a conçûs, puisse conserver l’autre jusqu’à terme ; car l’utérus s’étant ouvert pour mettre dehors le premier de ces enfans, ne se referme point que l’autre n’en soit chassé. Le cordon ombilical étant une des voies communicatives entre la mere & le fœtus, toutes les fois que cette communication manque, la mort du fœtus & l’avortement s’ensuivent. La même chose arrive quand les enveloppes du fœtus se rompent, parce qu’elles donnent lieu à l’écoulement du liquide dans lequel il nageoit.

Le fœtus reçoit principalement son accroissement par le placenta, & sa nourriture par la circulation commune entre lui & la mere. Si donc il se fait une séparation du placenta d’avec l’utérus, le sang s’écoule tant des arteres ombilicales, que des arteres utérines, dans la cavité de la matrice ; d’où suit nécessairement la mort du fœtus, tandis que la mere elle-même est en grand danger. Si l’on peut empêcher les causes de cette séparation, on préviendra l’avortement ; c’est pourquoi les femmes sanguines, pléthoriques, oisives, & qui vivent d’alimens succulens, ont besoin de saignées réitérées depuis le second mois de leur grossesse, jusqu’au cinq ou sixieme, pour éviter une fausse-couche.

Elle doit encore arriver, si le placenta devient skirrheux, ou s’il s’abreuve de sérosités qui ne peuvent convenir à la nourriture du fœtus.

L’utérus devient aussi très-souvent par lui-même une cause fréquente des fausses-couches ; 1°. par l’abondance du mucus, qui couvrant ses parois intérieures, donne une union trop foible au placenta ; 2°. lorsque cette partie est trop délicate ou trop petite pour contenir le fœtus ; 3°. si son orifice est trop relâchée, comme dans les femmes attaquées de fleurs blanches ; 4°. si un grand nombre d’accouchemens ou d’avortemens ont précédé ; 5°. dans toutes les maladies de cette partie, comme l’inflammation, l’érésipele, l’hydropisie, la callosité, le skirrhe, la passion hystérique, quelque vice de conformation, &c. 6°. dans des blessures, des contusions, le resserrement du bas-ventre, la compression de l’épiploon, & tout autre accident qui peut chasser le fœtus du sein maternel.

Les différentes causes qui de la part de la mere produisent la fausse-couche, sont certains remedes évacuans, propres à expulser le fœtus : tels que les cantharides, l’armoise, l’aconit, la sabine, les emménagogues, les purgatifs, les vomitifs, les fumigations les lavemens ; toutes les passions vives, la colere & la frayeur en particulier ; les fréquens vomissemens, les fortes toux, les grands cris, les exercices, danses, sauts, & secousses violentes ; les efforts, les faux-pas, les chûtes, les trop ardens & fréquens embrassemens, les odeurs ou vapeurs desagréables & nuisibles à la respiration, la pléthore ou le manque de sang, la diete trop sévere, le ventre trop pressé par des busques roides, ou par lui-même trop long-tems resserré ; des saignées & des purgations faites à contre-tems, la foiblesse de la constitution ; enfin toutes les maladies tant aiguës que chroniques, sont l’origine d’un grand nombre de fausses-couches.

C’est pourquoi il faut toûjours diriger les remedes à la nature de la maladie, & les diversifier en conséquence des causes qu’on tâchera de connoître par leurs signes : ainsi les saignées réitérées sont nécessaires dans la pléthore ; la bonne nourriture, dans

les femmes foibles & peu sanguines ; les corroborans généraux & les topiques, dans le relâchement de l’orifice de l’utérus, &c. Enfin si les causes qui produisent l’avortement, ne peuvent être ni prévenues ni détruites, & qu’il y ait des signes que le fœtus est mort, il faut le tirer hors de l’utérus par le secours de l’art.

Nous manquons d’un ouvrage particulier sur les fausses-couches ; car il faut compter pour rien celui du sieur Charles de Saint-Germain, qui parut en 1665 in-8o. Un bon traité demanderoit un homme également versé dans la théorie & la pratique. Il seroit encore à desirer que dans un ouvrage de cette nature, on réduisît sous un certain nombre d’aphorismes, les vérités incontestables qui nous sont connues sur le sujet des avortemens. J’en vais donner quelques exemples pour me faire entendre.

1°. L’avortement est plus dangereux & plus pénible au sixieme, septieme, & huitieme mois, que dans les cinq premiers ; & alors il est ordinairement accompagné d’une grande perte de sang.

2°. Il est toûjours funeste à l’enfant, ou dans le tems même de la fausse-couche, ou peu de tems après.

3°. Les femmes d’une constitution lâche ou dont quelques accidens ont affoibli la matrice, avortent le plus facilement.

4°. Cet accident arrive beaucoup plus souvent dans les deux ou trois premiers mois de la grossesse, que dans tous les autres.

5°. Comme la matrice ne s’ouvre qu’à proportion de la petitesse du fœtus, l’on voit assez fréquemment que l’arriere-faix dont le volume est beaucoup plus gros, reste arrêté dans l’utérus pendant quelque tems.

6°. Dans les fausses-couches au-dessous de cinq ou six mois, il ne faut pas beaucoup se mettre en peine de réduire en une bonne figure les fœtus qui se présentent mal ; car en quelque posture que soient ces avortons, la nature les expulse assez facilement à cause de leur petitesse.

7°. La grosseur des fœtus avortons morts ne répond pas d’ordinaire au terme de la grossesse ; car ils n’ont communément, quand ils sont chassés de l’utérus, que la grosseur qu’ils avoient lorsque leur principe de vie a été détruit.

8°. Quand ils sont expulsés vivans, ils ont rarement de la voix avant le sixieme mois, peut-être parce que leur poumon n’a pas encore la force de pousser l’air avec assez d’impétuosité pour former aucun cri.

9°. Les fausses-couches rendent quelquefois des femmes fécondes qui ont été long-tems stériles par le défaut des regles, soit en quantité, soit en qualité.

10°. Les femmes sujettes à de fréquentes fausses-couches, produites par leur tempérament, doivent avant que de se mettre en état de concevoir, se priver pendant quelques mois des plaisirs de l’amour, & plus encore dès qu’elles seront grosses.

11°. Si le fœtus est mort, il faut attendre l’avortement sans rien faire pour le hâter : excellente regle de pratique.

12°. Les précautions qu’on prend contre l’avortement pendant la grossesse, ne réussissent pas aussi souvent que celles que l’on prend entre l’avortement & la grossesse qui suit.

13°. Les femmes saines ni maigres ni grasses, qui sont dans la vigueur de leur âge, qui ont le ventre libre & l’utérus humide, supportent mieux la fausse-couches & ses suites, que ne le font d’autres femmes.

14°. Avec tous les soins & les talens imaginables, on ne prévient pas toûjours une fausse-couche de la classe de celles qui peuvent être prévûes ou prévenues.