mes continuent leurs éjaculations, & les hommes donnent les mêmes marques de douleur qu’au jour de la mort de ceux dont ils viennent de lever les tristes restes : & ce second acte est suivi d’un festin dans chaque cabane, en l’honneur des morts de sa famille.
» Les jours suivans on en fait de publics, accompagnés de danses, de jeux, de combats, pour lesquels il y a des prix proposés. De tems en tems on jette de certains cris, qui s’appellent les cris des ames. On fait des présens aux étrangers, parmi lesquels il y en a quelquefois qui sont envoyés à 150 lieues, & on en reçoit d’eux. On profite même de ces occasions pour traiter des affaires communes, ou de l’élection d’un chef… Tout, jusqu’aux danses, y respire je ne sai quoi de lugubre, & on y sent des cœurs percés de la plus vive douleur… Au bout de quelques jours on se rend encore processionnellement dans une grande salle du conseil, dressée exprès ; on y suspend contre les parois, les ossemens & les cadavres, dans le même état où on les a tirés du cimetiere ; on y étale les présens destinés pour les morts. Si parmi ces tristes restes il se trouve ceux d’un chef, son successeur donne un grand repas en son nom, & chante sa chanson. En plusieurs endroits les corps sont promenés de bourgade en bourgade, & reçûs par-tout avec de grandes démonstrations de douleur & de tendresse. Par-tout on leur fait des présens, & on les porte enfin à l’endroit où ils doivent être déposés pour toûjours… Toutes ces marches se font au son des instrumens, accompagné des plus belles voix, & chacun y marche en cadence.
» La derniere & commune sépulture est une grande fosse qu’on tapisse des plus belles pelleteries & de ce qu’on a de plus précieux. Les présens destinés pour les morts, sont placés à part. A mesure que la procession arrive, chaque famille s’arrange sur des especes d’échafauds dressés autour de la fosse ; & au moment que les corps sont déposés, les femmes recommencent à crier & à pleurer ; ensuite tous les assistans descendent dans la fosse, & il n’est personne qui n’en prenne un peu de terre, qui se conserve précieusement. Ils s’imaginent que cette terre porte bonheur au jeu. Les corps & les ossemens sont arrangés par ordre, couverts de fourrures toutes neuves, & par-dessus d’écorces, sur lesquelles on jette des pierres, du bois & de la terre. Chacun se retire ensuite chez soi, &c. ».
Fête de l’O ou des O, (Théol.) que l’on appelle autrement la fête de l’attente des couches de la Vierge. Elie fut établie en Espagne au dixieme concile de Tolede, tenu en 656 sous le regne de Recesuinde, roi des Wisigoths alors maîtres de l’Espagne, & du tems de S. Eugene III. évêque de Tolede. On y ordonna que la fête de l’Annonciation de N. D. & de l’Incarnation du Verbe divin, se célébreroit huit jours avant Noël ; parce que le 25 de Mars, auquel ces mysteres ont été accomplis, arrive ordinairement en carême, & assez souvent dans la semaine de la Passion & dans la solennité de Pâque, où l’Église est occupée d’autres objets & de cérémonies différentes. Saint Ildephonse, successeur d’Eugene, confirma cet établissement, & ordonna que cette fête seroit aussi appellée de l’attente des couches de N. D. On lui donna encore le nom de fête des O ou de l’O, parce que durant cette octave on chante après le cantique Magnificat, chaque jour, une antienne solennelle qui commence par O, qui est une exclamation de joie & de desir, comme O Adonaï ! O rex gentium ! O radix Jesse ! O clavis David ! &c.
Dans l’église de Rome & dans celle de France, il n’y a point de fête particuliere sous ce nom ; mais depuis le 15 Décembre jusqu’au 23 inclusivement, on
y chante tous les jours à vêpres, au son des cloches, une de ces antiennes.
Fête des Anes, (Hist. mod.) cérémonie qu’on faisoit anciennement dans l’église cathédrale de Roüen le jour de Noël. C’étoit une procession où certains ecclésiastiques choisis représentoient les prophetes de l’ancien Testament qui avoient prédit la naissance du Messie, Balaam y paroissoit monté sur une ânesse, & c’est ce qui avoit donné le nom à la fête. On y voyoit aussi Zacharie, sainte Elisabeth, saint Jean-Baptiste, Siméon, la sybille Erythrée, Virgile, à cause de son églogue, Sicelides Musa, &c. Nabuchodonosor, & les trois enfans dans la fournaise. La procession, qui sortoit du cloître, étant entrée dans l’église, s’arrêtoit entre un nombre de personnes qui étoient rangées des deux côtés pour marquer les Juifs & les Gentils, auxquels les chantres disoient quelques paroles ; puis ils appelloient les prophetes l’un après l’autre, qui prononçoient chacun un passage touchant le Messie. Ceux qui faisoient les autres personnages, s’avançoient en leur rang, les chantres leur faisant la demande, & chantant ensuite les versets qui se rapportoient aux Juifs & aux Gentils ; & après avoir représenté le miracle de la fournaise, & fait parler Nabuchodonosor, la sybille paroissoit la derniere, puis tous les prophetes & les chœurs chantoient un motet qui terminoit la cérémonie. Ducange, gloss. (G)
Fête des Fous, (Hist. mod.) réjoüissance pleine de desordres, de grossieretés & d’impiétés, que les sous-diacres, les diacres & les prêtres même faisoient dans la plûpart des églises durant l’office divin, principalement depuis les fêtes de Noël jusqu’à l’Epiphanie.
Ducange, dans son glossaire, en parle au mot kalendæ, & remarque qu’on la nommoit encore la fête des sous-diacres ; non pas qu’il n’y eût qu’eux qui la fêtassent, mais par un mauvais jeu de mots tombant sur la débauche des diacres, & cette pointe signifioit la fête des diacres saouls & ivres.
Cette fête étoit réellement d’une telle extravagance, que le lecteur auroit peine à y ajoûter foi, s’il n’étoit instruit de l’ignorance & de la barbarie des siecles qui ont précédé la renaissance des Lettres en Europe.
Nos dévots ancêtres ne croyoient pas deshonorer Dieu par les cérémonies bouffonnes & grossieres que je vais décrire, dérivées presque toutes du Paganisme, introduites en des tems peu éclairés, & contre lesquelles l’Église a souvent lancé ses foudres sans aucun succès.
Par la connoissance des Saturnales on peut se former une idée de la fête des fous, elle en étoit une imitation ; & les puérilités qui regnent encore dans quelques-unes de nos églises le jour des Innocens, ne sont que des vestiges de la fête dont il s’agit ici.
Comme dans les Saturnales les valets faisoient les fonctions de leurs maîtres, de même dans la fête des fous les jeunes clercs & les autres ministres inférieurs officioient publiquement pendant certains jours consacrés aux mysteres du Christianisme.
Il est très-difficile de fixer l’époque de la fête des fous, qui dégénera si promptement en abus monstrueux. Il suffira de remarquer sur son ancienneté, que le concile de Tolede, tenu en 633, fit l’impossible pour l’abolir ; & que S. Augustin, long-tems auparavant, avoit recommandé qu’on châtiât ceux qui seroient convaincus de cette impiété. Cedrenus, hist. pag. 639. nous apprend que dans le dixieme siecle Théophylacte, patriarche de Constantinople, avoit introduit cette fête dans son diocèse ; d’où l’on peut juger sans peine qu’elle s’étendit de tous côtés dans l’église greque comme dans la latine.
On élisoit dans les églises cathédrales, un évêque