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la fois de l’honneur de l’avoir éclairé, & des progrès rapides que doivent à ses efforts les Lettres, les Arts, & les Sciences dans le nôtre.

M. Blondel de Gagny, Intendant pour lors des menus-plaisirs du Roi, seconda tout le zele de l’ordonnateur. Par malheur pour les Arts & les talens, qu’il sait discerner & qu’il aime, il a préféré le repos aux agrémens dont il étoit sûr de joüir dans l’exercice d’une charge à laquelle il étoit propre. Tous les sujets différens qui pendant cinquante jours avoient déployé leurs talens & leurs efforts pour contribuer au grand succès de tant d’ouvrages, se retirerent comblés d’éloges, encouragés par mille attentions, récompensés avec libéralité. (B)

Fêtes de la Ville de Paris. On a vû dans tous les tems le zele & la magnificence fournir à la capitale de ce royaume des moyens éclatans de signaler son zele & son amour pour nos rois. L’histoire-de-tous les regnes rappelle aux Parisiens quelque heureuse circonstance que leurs magistrats ont célébrée par des fêtes. Notre objet nous borne à ne parler que de celles qui peuvent honorer ou éclairer les Arts.

Le mariage de Madame, infante, offrit à feu M. Turgot une occasion d’en donner une de ce genre ; on croit devoir la décrire avec quelque détail. L’administration de ce magistrat sera toûjours trop chere aux vrais citoyens, pour qu’on puisse craindre à son égard d’en trop dire.

Le Roi, toute la famille royale lui firent espérer d’honorer ses fêtes de leur présence ; il crut devoir ne leur offrir que des objets dignes d’eux.

On étoit en usage de prendre l’hôtel-de-ville pour le centre des réjoüissances publiques. Les anciennes rubriques, que les esprits médiocres réverent comme des lois sacrées, ne sont pour les têtes fortes que des abus ; leur destruction est le premier degré par lequel ils montent bientôt aux plus grandes choses. Telle fut la maniere constante dont M. Turgot se peignit aux François, pendant le cours de ses brillantes prevôtés. Il pensa qu’une belle fête ne pouvoit être placée sur un terrein trop beau, & il choisit l’éperon du pont-neuf sur lequel la statue d’Henri IV. est élevée, pour former le point de vûe principal de son plan.

Ce lieu, par son étendue, par la riche décoration de divers édifices qu’il domine & qui l’environnent, sur-tout par le bassin régulier sur lequel il est élevé, pouvoit faire naître à un ordonnateur de la trempe de celui-ci, les riantes idées des plus singuliers spectacles. Voici celles qu’il déploya aux yeux les plus dignes de les admirer.

On vit d’abord s’élever rapidement sur cette espece d’esplanade un temple consacré à l’hymen ; il étoit dans le ton antique ; ses portiques étoient de cent-vingt piés de face, & de quatre-vingt piés de haut, sans y comprendre la hauteur de l’appui & de la terrasse de l’éperon, qui servoit de base à tout l’édifice, & qui avoit quarante piés de hauteur.

Le premier ordre du temple étoit composé de trente-deux colonnes d’ordre dorique, de quatre piés de diametre & trente-trois piés de fust, formant un quarré long de huit colonnes de face, sur quatre de retour.

Elles servoient d’appui à une galerie en terrasse de cent cinq piés de long, ornée de distance en distance de belles statues sur leurs piés-d’estaux. Au dessus de la terrasse, & à l’à-plomb des colonnes du milieu, s’élevoit un socle antique formé de divers compartimens ornés de bas-reliefs, & couronné de douze vases.

Deux massifs étoient bâtis dans l’intérieur, afin d’y pratiquer des escaliers commodes. Le socle au reste formoit une seconde terrasse de retour avec

les bases, chapiteaux, entablemens, & balustrades, servans d’appui à une galerie en terrasse de cent cinq piés de long, divisée par des pié-d’estaux. Au dessus de cette terrasse, & à l’à-plomb des colonnes du milieu, s’élevoit un socle en attique, formé de compartimens ornés de bas-reliefs, & couronné de douze vases ; deux corps solides étoient construits dans l’intérieur, dans lesquels on avoit pratiqué des escaliers.

Toute la construction de cet édifice étoit en relief, ainsi que les plafonds, enrichis de compartimens en mosaïque, guillochés, rosettes, festons, &c. à l’imitation des anciens temples, & tels qu’on le voit au panthéon, dont on avoit imité les ornemens ; à la reserve cependant des bases que l’on jugea à propos de donner aux colonnes, pour s’accommoder à l’usage du siecle : elles y furent élevées sur des socles d’environ quatre piés de haut, servans comme de repos aux balustrades de même hauteur qui étoient entre les entre-colonnemens. C’est la seule différence que le nouvel édifice eût avec ceux de l’antiquité, où les colonnes d’ordre dorique étoient presque toûjours posées sur le rez-de-chaussée, quoique sans base. A cela près, toutes les proportions y furent très-bien gardées. Ces colonnes avoient huit diametres un quart de longueur, qui est la véritable proportion que l’espace des entre-colonnemens exige de cette ordonnance : il devoit y avoir un second ordre ionique ; mais le tems trop court pour l’exécution, força de s’en tenir au premier ordre dorique, qui se grouppant avec le massif, pour monter au haut de l’édifice, formoit un très-beau quarté long.

Ving-huit statues isolées, de ronde bosse, de dix piés de proportion, représentant diverses divinités avec leurs symboles & attributs, étoient posées sur les pié-d’estaux de la balustrade, à l’à-plomb des colonnes.

On préféra pour tout cet édifice & pour ses ornemens, la couleur de pierre blanche à celle des différens marbres qu’on auroit pû imiter ; outre que la couleur blanche a toûjours plus de relief, sur-tout aux lumieres & dans les ténebres, la vraissemblance est aussi plus naturelle & l’illusion plus certaine : aussi ce temple faisoit-il l’effet d’un édifice réel, construit depuis long-tems dans la plus noble simplicité de l’antique sans ornement postiche, & sans mélange d’aucun faux brillant. Telle renaîtra de nos jours la belle & noble Architecture ; nous la reverrons sortir des mains d’un moderne qui manquoit à la gloire de la nation : le choix éclairé de M. le marquis de Marigny a sû le mettre à sa place. C’est-là le vrai coup de maître dans l’ordonnateur. Le talent une fois placé, les beautés de l’art pour éclore en foule n’ont besoin que du tems.

La terrasse en saillie qui portoit le temple, étoit décorée en face d’une architecture qui formoit trois arcades & deux pilastres en avant-corps dans les angles : on voyoit aussi dans chacun des deux côtés, une arcade accompagnée de ses pilastres. Toute cette décoration étoit formée par des refends & bossages rustiques, & elle étoit parfaitement d’accord avec le temple. Tous les membres de l’architecture étoient dessinés par des lampions ; & l’intérieur des arcades, à la hauteur de l’imposte, étoient préparées pour donner dans le tems une libre issuë à des cascades, des nappes, des torrens de feu, qui firent un effet aussi agréable que surprenant.

Sur la terrasse du temple s’élevoit un attique porté par des colonnes intérieures, & orné de panneaux chargés de bas-reliefs : des vases ornés de sculpture étoient posés au haut de l’attique, à l’à-plomb des colonnes.

Les corps solides des escaliers étoient ornés d’ar-