On doit pressentir à ce peu de mots, que l’on veut parler de S. A. S. mademoiselle de Clermont, surintendante de la maison de la Reine. Ce fut elle, en effet, qui donna à S. M. cette marque publique de l’attachement tendre & respectueux qu’elle inspire à tous ceux qui ont le bonheur de l’approcher. Cette princesse, doüée des dons les plus rares, & les mieux faits pour être bientôt démêlés, malgré la douceur modeste qui, en s’efforçant de les cacher, sembloit encore les embellir, fit préparer en secret le spectacle élégant dont elle vouloit surprendre la Reine. Ainsi le soir du 12 Juillet 1729, en se promenant avec elle sur la terrasse du château de Versailles, elle l’engagea à descendre aux flambeaux jusqu’au labyrinthe.
L’entrée de ce bois charmant se trouva tout-à-coup éclairée par une illumination ingénieuse, & dont les lumieres qui la formoient, étoient cachées par des transparens de feuillées.
Esope & l’Amour sont les deux statues qu’on voit aux deux côtés de la grille. Dès que la Reine parut, une symphonie harmonieuse se fit entendre ; & l’on vit tout-à-coup la fée des plaisirs champêtres, qui en étoit suivie. Elle adressa les chants les plus doux à la Reine, en la pressant de goûter quelques momens les innocens plaisirs qu’elle alloit lui offrir. Les vers qu’elle chantoit, étoient des loüanges délicates, mais sans flaterie ; ils avoient été dictés par le cœur de mademoiselle de Clermont : cette princesse ne flata jamais, & mérita de n’être jamais flatée.
La fée, après son récit, toucha de sa baguette les deux statues dont on a parlé. Au son touchant d’une symphonie mélodieuse elles s’animerent, & joüerent avec la fée une jolie scene, dont les traits legers amuserent la Reine & la cour.
Après ce début, les trois acteurs conduisirent la Reine dans les allées du labyrinthe ; l’illumination en étoit si brillante, qu’on y lisoit les fables qui y sont répandues en inscriptions, aussi aisément qu’en plein jour.
Au premier carrefour, la Reine trouva une troupe de jardiniers qui formerent un joli ballet mêlé de chants & de danses. Cette troupe précéda la Reine en dansant, & l’engagea à venir à la fontaine qu’on trouve avant le grand berceau des oiseaux.
Là plusieurs bergers & bergeres divisés par quadrilles, coururent en dansant au-devant de S. M. & ils représenterent un ballet très-court & fort ingénieux, dont le charme des plaisirs champêtres étoit le sujet.
On peut juger que les eaux admirables de tous ces jolis bosquets joüerent pendant tout le tems que la Reine voulut bien y rester ; & la réflexion des coups de lumiere qui partoient du nombre immense des lumieres qu’on y avoit répandues, augmentoit & varioit à tous les instans les charmes de cet agréable séjour.
La Reine, après le ballet, passa dans le berceau couvert ; il étoit embelli par mille guirlandes de fleurs naturelles, qui entrelacées avec une quantité immense de lustres de crystal & de girandoles dorées, formoient des especes de berceaux aussi riches que galans.
Douze jeunes bouquetieres galamment ajustées, parurent en dansant. Une encore mieux parée, & qui se distinguoit de sa troupe par les graces de ses mouvemens & l’élégance de ses pas, présenta un bouquet de fleurs les plus belles à la Reine : les autres en offrirent à toutes les dames de la cour. Il y avoit autour du berceau un grand nombre de tables de gazon, sur lesquelles on voyoit des corbeilles dorées, remplies de toutes les sortes de fleurs, & dont tout le monde avoit la liberté de se parer.
On passa d’allée en allée jusqu’au carrefour ; on
y trouva sur un banc élevé en forme de théatre, deux femmes qui paroissoient en grande querelle. Une symphonie assez longue pour donner à la cour le tems de s’approcher, finit lorsqu’on eut fait un grand demi-cercle autour de ce banc où elles étoient placées : on connut bientôt à leurs discours que l’une étoit la flaterie, & l’autre la critique. Celle-ci, après quelques courtes discussions qui avoient pour objet le bien qu’on avoit à dire d’une si brillante cour, fit convenir la flaterie qu’on n’avoit que faire d’elle pour célébrer les vertus d’une Reine adorée, qui comptoit tous ses momens par quelque nouvelle marque de bonté.
Cette scene fut interrompue par une espece d’allemand, qui perça la foule pour dire, à demi-ivre, que c’étoit bien la peine de tant dépenser en lumieres, pour ne faire voir que de l’eau. Un gascon qui passa d’un autre côté, dit : hé ! sandis, je meurs de faim ; on vit donc de l’air à la cour des rois de France ? A ces deux originaux, en succéderent quelques autres. Ils s’unirent tous à la fin pour chanter leurs plaintes, & ce chœur comique, finit d’une maniere plaisante cette partie de la fête.
La reine & la cour arriverent dans la grande allée qui sépare le labyrinthe de l’île d’amour : on y avoit formé une salle de spectacle de toute la largeur de l’allée, & d’une longueur proportionnée. La salle & le théatre étoient ornés avec autant de magnificence que de goût. Les comédiens françois y représenterent une piece en cinq actes : elle avoit été composée par feu Coypel, qui est mort premier peintre du Roi, & qui a laissé après lui la réputation la plus desirable pour les hommes qui, comme lui, ont constamment aimé la vertu.
Cette piece, dont je n’ai pu trouver ni le sujet ni le titre, fut ornée de cinq intermedes de danse, qui furent exécutés par les meilleurs danseurs de l’opéra.
La reine, après la comédie, rentra dans le labyrinthe, & le parcourut par des routes nouvelles, qu’elle trouva coupées par de jolis amphithéatres, occupés par des orchestres brillans.
Elle se rendit ensuite à l’orangerie, qu’on avoit ornée pour un bal paré : il commença & dura jusqu’à l’heure du festin, qui fut donné chez mademoiselle de Clermont, avec toute l’élégance qui lui étoit naturelle. Toute la cour y assista. Les tables, cachées par de riches rideaux, parurent tout-à-coup dans toutes les salles ; elles sembloient se multiplier, comme la multitude des plaisirs dont on avoit joüi dans la fête.
Croiroit-on que tous ces aprêts, l’idée, la conduite, l’enchaînement des diverses parties de cette fête, furent l’ouvrage de trois jours ? C’est un fait certain qui, vérifié dans le tems, fit donner à tous ces amusemens le nom d’impromptu du labyrinthe. La Reine ignoroit tout ce qui devoit l’amuser pendant cette agréable soirée ; la cour n’étoit pas mieux instruite : hors le festin chez mademoiselle de Clermont, qui avoit été annoncé sans mystere, tout le reste demeura caché, & fut successivement embelli du charme de la surprise.
Les courtisans loüerent beaucoup l’invention, la conduite, l’exécution de cette fête ingénieuse, & toute la cour s’intrigua pour en découvrir l’inventeur. Après bien des propos, des contradictions, des conjectures, les soupçons & les vœux se réunirent sur M. le duc de Saint-Aignan.
Le caractere des hommes se peint presque toûjours dans les traits saillans de leurs ouvrages. Ce secret profond, gardé par tant de monde ; la prévoyance, toûjours si rare dans la distribution des différens emplois ; le choix & l’instruction des Artistes ; l’enchaînement ingénieux des plaisirs, déceloient, malgré sa modes-