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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/627

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A tous ces caracteres on ne sauroit douter que le fluide de l’électricité ne soit très-élastique ; & si sa prodigieuse propagation le long d’un fil-de-fer, est, comme il est vraissemblable, un effet de son ressort, on peut dire que ce fluide est le plus élastique que nous connoissions. C’est une suite nécessaire de l’élasticité de ce fluide, qu’il puisse se raréfier dans les corps, ainsi qu’il y est quelquefois condensé. On parvient en effet à le raréfier, soit qu’il ait été condensé précédemment dans un corps, soit qu’il n’y ait que sa densité ordinaire ; mais en quelqu’état qu’il se trouve de raréfaction ou de condensation par rapport à son état ordinaire, ses effets d’attraction & de répulsion sont sensiblement les mêmes. Dans le dernier cas, les corps legers gagnent & partagent avec le corps électrisé, le fluide condensé dans celui-ci ; dans le premier, ils perdent & partagent avec ce même corps, la petite portion du fluide qu’ils contiennent naturellement.

Si la machine & l’homme qui tourne la roue sont posés sur de bons gâteaux de résine, & qu’on établisse au bout du conducteur une communication avec la terre par le moyen d’une chaîne ; après quelques tours de roue, l’homme & la machine attireront des corps legers, & donneront des étincelles, lorsqu’une autre personne posée sur le plancher en approchera le doigt. Dans ce cas le fluide naturellement répandu dans l’homme & dans la machine, est pompé par le globe, transmis à la barre, & dissipé dans la terre par le moyen de la chaîne ; car si on approche de l’homme ou de la machine un vaste conducteur de métal bien électrisé par un autre globe, & suspendu par des soies, l’homme qui tourne la roue en tirera une étincelle très-vive, & dissipera presque tout-à-fait la vertu électrique de ce conducteur, sans paroître après cela davantage électrique ; effet qui ne devroit pas arriver, si ce fluide étoit condensé dans cet homme, comme il l’est sur le conducteur.

L’homme qui tourne restant toûjours sur des gâteaux de résine, & ayant ôté la chaine qui pendoit de l’extrémité de la barre jusqu’à terre ; après quelques tours de roue, la machine, l’homme & la barre paroissent électriques, & une personne posée sur le plancher en peut tirer des étincelles ; mais bientôt elle cessera d’en tirer de la barre, quelque long-tems qu’on tourne la roue : alors si l’homme qui tourne touche d’une main le grand conducteur métallique, qui dans ce cas ne doit point être électrisé, on pourra encore tirer de la barre quelques legeres étincelles, mais qui s’affoibliront & s’évanoüiront bientôt. Enfin si on attache la chaîne à ce large conducteur, pour qu’il puisse communiquer avec la terre, & que l’homme qui tourne ne cesse d’y avoir la main, on tirera sans fin des étincelles de la barre, la barre fournissant continuellement à ce que le globe pompe de la machine, de l’homme & du conducteur, & qu’il transmet à la barre. Dans ce dernier cas, lorsque la machine, l’homme qui tourne, & la barre, sont parfaitement isolés, & paroissent électriques à une personne posée sur le plancher, quoique l’effet soit le même, la condition du fluide électrique est cependant bien différente ; car il est raréfié dans l’homme qui tourne, ainsi que dans la machine, & la personne leur rend ce qu’ils ont perdu, & qui a été transmis à la barre : au lieu que dans celle-ci le fluide électrique est condensé aux dépens de celui de l’homme & de la machine, & cette quantité surabondante passe dans la personne qui en approche le doigt. Il est très-facile de s’assurer de cette vérité, si la personne, au lieu de toucher à ces corps avec son doigt, tient à sa main une canne de verre à laquelle soit fixé un fil-de-fer en demi-cercle, & forme avec ce fil-de-fer une communication entre la barre & la machine ; car après une explosion assez forte, le fluide accumulé

dans la barre repassera dans la machine & dans l’homme d’où il est sorti ; & chacun ayant repris sa quantité naturelle de fluide électrique, tout paroîtra comme s’il fût toûjours demeuré dans un parfait repos, sans donner davantage de signes d’électricité.

Il y a dans tous les corps un terme au-delà duquel on ne sauroit accumuler ni raréfier le fluide électrique : après un certain nombre de tours de roue, les corps sont attirés par la machine ou par la barre d’une certaine distance qui n’augmente point, quelque long-tems que l’on continue de tourner. Ce terme dépend non-seulement de la nature des corps dans lesquels on accumule ou on raréfie ce fluide, mais principalement de leur figure ; car ayant remis la machine & l’homme qui tourne, sur le plancher, si on attache un poinçon bien aigu à chaque extrémité de la barre, de maniere que ces pointes débordent d’un pouce ou deux, dès qu’on aura froté le globe, le fluide électrique sortira sous la forme d’une aigrette lumineuse par chacun de ces poinçons, & la barre sera très-peu électrique, comme on pourra s’en assûrer en présentant une balle de liége suspendue à un fil.

Si on répete l’expérience en ne mettant qu’un seul poinçon, l’autre extrémité de la barre étant bien arrondie, l’aigrette paroîtra seulement au poinçon, & l’électricité de la barre sera plus forte. Enfin si la barre est arrondie par les deux extrémités, il ne paroîtra aucune aigrette : l’électricité sera la plus forte, & continuera d’attirer la balle de liége, même assez long-tems après qu’on aura cessé de froter le globe ; mais elle ne deviendra jamais plus forte, quelque tems qu’on employe à froter le globe & à tourner la roue.

Il paroît donc par ces expériences, que les pointes résistent moins que les surfaces arrondies à la sortie du fluide électrique ; & que dans les différentes circonstances de ces expériences, la barre n’a jamais pû recevoir ni garder qu’une quantité déterminée de ce fluide, après un certain nombre de tours de roue : d’où l’on voit que les quantités de fluide électrique qui peuvent s’accumuler sur les corps électriques, sont extrèmement variables à proportion de la figure & des angles.

Cette accumulation du fluide électrique dans la barre, varie encore infiniment, suivant qu’on en approche de plus ou moins près une aiguille bien pointue ; ensorte que cette aiguille présentée à une petite distance, enleve presque tout le fluide que la barre reçoit du globe, & le transmettant aussi promptement à la terre, empêche qu’il ne s’accumule. Entre deux corps pointus que l’on approche de la barre à une égale distance, celui qui est le plus aigu enleve davantage de matiere électrique ; & si ce corps est émoussé au point d’être terminé par une large surface bien arrondie, on pourra l’approcher de très près, sans que la barre paroisse perdre sensiblement de son électricité.

Tout ceci prouve que le fluide électrique éprouve moins de résistance, tant à entrer qu’à sortir, dans des corps terminés en pointe, que dans ceux dont les angles sont émoussés, & qui présentent de larges surfaces ; par conséquent que l’accumulation du fluide électrique est, dans ces circonstances, en raison directe de la résistance que ce fiuide éprouve à s’échapper des corps dans lesquels on l’accumule. Dans d’autres circonstances l’accumulation du fluide électrique se fait en raison réciproque de la résistance qu’il trouve à sortir du corps dans lequel on l’introduit, comme on va le voir par les expériences suivantes.

Quand on suspend à la barre la bouteille de Leyde par le moyen de son crochet, quelque tems qu’on tourne la roue, il ne s’accumule presque pas de fluide électrique dans l’intérieur de cette bouteille, tant