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ge. La plus grande partie de ceux qui s’évacuent par les orifices des vaisseaux legerement ouverts, fournit la matiere suppurée : mais la portion la plus onctueuse de la lymphe poussée vers l’extrémité des canaux des bords de l’ulcere, en suinte goutte-à-goutte. Chaque molécule qui excede l’aire du calibre tronqué, s’arrête à l’embouchure, s’y congele, s’y épaissit, & s’y range circulairement, de maniere qu’elle offre un passage à celles qui la suivent, & qui se figent & se placent de même, jusqu’à ce que le progrès des couches soit à un tel degré que les capillaires n’admettant que les parties vaporeuses, & contraignant les liqueurs qui se présentent & qu’ils rejettent, d’enfiler les veines qui les rapportent à la masse, la cavité de l’ulcere soit remplie & la cicatrice parfaite.

Les moyens de cette reproduction nous indiquent 1°. comment les cicatrices, sur-tout celles qui sont considérables, forment toûjours des brides ; ils nous apprennent 2°. pourquoi elles sont plus basses que le niveau de la peau ; 3°. par eux nous pouvons expliquer comment, dans cette substance régénérée, on ne voit au lieu d’un ensemble de tuyaux exactement cylindriques & parfaitement distincts, qu’un amas de petites cavités dont les parois, irrégulierement adhérentes les unes aux autres, ne présentent, pour ainsi dire, qu’un corps spongieux, mais assez dense, dont la solidité accroît à mesure qu’il s’éloigne du fond, & que les fluides y sont plus rares, ce qui rend la cicatrice extérieurement plus dure & plus compacte ; 4°. enfin ils nous dévoilent sensiblement les effets des cicatrices multipliées.

Les suites de la cautérisation des parties dures sont à peu-près les mêmes que celles qui ont fixé notre attention relativement aux parties molles.

Le feu appliqué sur les os, desseche en un instant les fibres osseuses, il crispe, il oblitere les vaisseaux qui rampent entr’elles ; les sucs nécessaires que ces vaisseaux charrient, sont aussi-tôt exaltés & dissipés, & toute la portion soûmise à l’instrument brûlant, jaunit, noircit ; elle cesse d’être vivante, & répond precisément à ce que nous venons de nommer escarre. Ici elle n’est jamais aussi profonde. La chûte en est plus lente & plus tardive, parce que les vaisseaux de la substance osseuse ne sont point en aussi grande quantité, & que les sucs y sont moins abondans. Quoi qu’il en soit, les bornes de l’exsication sont celles de la partie ruinée qui doit être détachée de la partie saine, & non morte. C’est à la surface de celle-ci que les oscillations redoublées qui commencent à ébranler la premiere, se font sentir. Ces oscillations sont suivies de la rupture des canaux à leurs extrémités, la séparation desirée se trouve alors ébauchée ; mais ces canaux dilacérés, qui laissent échapper une humeur qui s’extravase, végétant, pullulant eux-mêmes, se propageant & s’unissant insensiblement, fournissent-ils une chair véritable ? l’exfoliation sera bien-tôt accomplie, vû l’accroissement de cette même chair qui soûlevera & détachera entierement enfin le corps étranger, & qui acquierra une consistance aussi ferme & aussi solide que celle dont joüissoit le corps auquel elle succede.

Ces effets divers que je ne pouvois me dispenser de détailler, parce qu’ils ont été jusqu’ici également inconnus aux écuyers qui ont écrit, aux maréchaux qui pratiquent, & aux demi-savans qui dogmatisent, sont la base sur laquelle nous devons asseoir tous les principes en matiere de cautérisation.

Il est des cas où elle est salutaire, il en est où elle est nuisible, il en est où elle est inutile.

Ceux dans lesquels l’énergie du feu est évidente, sont, quant aux parties dures, les caries, puisque l’exfoliation qu’il procure n’est autre chose que la chûte de la portion viciée de l’os ; & quant aux par-

ties molles, les bubons pestilentiels ; les ulceres

chancreux qui n’avoisinent point, ainsi que le fic, connu sous le nom de crapaud, des parties délicates, telles, par exemple, que l’expansion aponévrotique sur laquelle il est quelquefois situé ; les morsures des animaux venimeux ; celles des animaux enragés ; les gangrenes humides, qui sans être précédées d’inflammation, font tomber les parties en fonte ; les gangrenes avancées ; les ulceres avec hyporsarcose ; les engorgemens œdémateux accidentels, & même les engorgemens tendans au skirrhe, qui occupent une grande étendue ; les tumeurs dures, skirrheuses, circonscrites ; les hémorrhagies qui n’ont pas lieu par des vaisseaux d’un diametre absolument considérable, pourvû que les vaisseaux puissent être atteints sans danger ; les solutions de continuité de l’ongle, telles que les seymes, les legeres excroissances que nous appellons fic, verrues ou poireaux, &c. en un mot, dans toutes les circonstances où il importe de frayer une issue à une matiere ennemie, dont le séjour dans la partie, ou dont le retour dans les routes circulaires seroit funeste, & qu’il seroit extrèmement dangereux de laisser pénétrer dans la masse des liqueurs ; de constituer une humeur morbifique & maligne dans une entiere impuissance, soit par l’évaporation de ses parties les plus subtiles, soit par la fixation ou la coagulation de ses parties les plus grossieres ; de dessécher puissamment, & de produire dans les vaisseaux dont l’affaissement ne s’étend pas au-delà de la partie affectée, une irritation absolument nécessaire ; d’interrompre toute communication entre des parties saines & une partie mortifiée ; d’en hâter la séparation ; de dissiper une humidité surabondante, & de procurer à des fibres dont le relâchement donne lieu à des chairs fongueuses & superflues, la fermeté & la solidité dont elles ont besoin ; d’absorber la sérosité arrêtée & infiltrée dans les tégumens, lorsque nul topique n’a pû l’atténuer & la résoudre ; de l’évacuer & de faire rentrer par une suppuration convenable les vaisseaux dans leur ton & dans leur état naturel, ce qui demande beaucoup de sagacité & de prudence ; de mettre en mouvement une humeur stagnante & endurcie, & d’en faciliter le dégorgement ; d’accélerer par l’explosion une dissolution & une fonte heureuse de la matiere épaissie qui forme les tumeurs skirrheuses, ce qui se pratique plus communément que dans le cas précédent, pourvû que l’on n’apperçoive aucune disposition inflammatoire ; de crisper & de contracter dans l’instant l’orifice d’un vaisseau coupé, & de réduire le sang en une masse épaisse qui bouche ce même orifice ; de faire une plaie à l’effet de solliciter la végétation de plusieurs petits vaisseaux qui par leur régénération procureront la réunion de l’ongle dont ils acquierront la consistance ; de détruire & de consumer en entier des tubercules legers ou des corps végétaux contre nature, qui s’élevent sur la superficie de la peau ; de prévenir les enflures & les engorgemens auxquels les parties déclives peuvent paroître disposées, en soûtenant par des cicatrices fortes & multipliées, la foiblesse & l’inertie des vaisseaux : dans toutes ces circonstances, dis-je, l’application du cautere ardent est d’une efficacité véritable.

Elle est incontestablement nuisible, lorsque l’œdeme reconnoît pour cause une cachexie ou une mauvaise disposition intérieure ; elle est toûjours pernicieuse dans tous les cas où l’inflammation est marquée sensiblement. Tout habile praticien la rejette, quand il prévoit qu’elle peut offenser des vaisseaux considérables ; & il la bannit à jamais relativement aux parties tendineuses, aponévrotiques & nerveuses, attendu les accidens mortels qui peuvent en être les suites.