nom de Goths, Visigoths, Ostrogoths, Vandales, Anglo-Saxons, Francs, Bourguignons, qui se répandirent dans toute l’Europe, s’y établirent, & donnerent le commencement aux états, aux fiefs, qui partagent aujourd’hui cette partie du monde.
Ces peuples barbares, c’est-à-dire ces peuples étrangers à la langue & aux mœurs des pays qu’ils inonderent, descendoient des anciens Germains, dont César & Tacite nous ont si bien dépeint les mœurs. Nos deux historiens se rencontrent dans un tel concert, avec les codes des lois de ces peuples, qu’en lisant César & Tacite, on trouve par-tout ces codes ; & qu’en lisant ces codes, on trouve par-tout César & Tacite.
Raisons de cette invasion en occident. Après que le vainqueur de Pompée eut opprimé sa patrie, & qu’elle eut été soûmise à la domination la plus tyrannique, l’Europe gémit long-tems sous un gouvernement violent, & la douceur romaine fut changée en une oppression des plus cruelles. Enfin les nations du Nord favorisées par les autres peuples également opprimés, se rassemblerent & se réunirent ensemble pour venger le monde : elles se jetterent comme des torrens en Italie, en France, en Espagne, dans toutes les provinces romaines du midi, les conquirent, les démembrerent, & en firent des royaumes ; Rome avoit si bien anéanti tous les peuples, que lorsqu’elle fut vaincue elle-même, il sembla que la terre en eût enfanté de nouveaux pour la détruire.
Les princes des grands états ont ordinairement peu de pays voisins qui puissent être l’objet de leur ambition ; s’il y en avoit eû de tels, ils auroient été enveloppés dans le cours de la conquête : ils sont donc bornés par des mers, des rivieres, des montagnes, & de vastes deserts, que leur pauvreté fait mépriser. Aussi les Romains laisserent-ils les Germains septentrionaux dans leurs forêts, & les peuples du Nord dans leurs glaces ; & il s’y conserva, ou il s’y forma des nations qui les asservirent eux-mêmes.
Raisons de cette invasion en Orient. Pendant que les Goths établissoient un nouvel empire en Occident, à la place de celui des Romains, il y avoit en Orient les nations des Huns, des Alains, des Avares, habitans de la Sarmatie & de la Scythie, auprès des Palus-Méotides, peuples terribles, nés dans la guerre & dans le brigandage, errans presque toûjours à cheval ou sur leurs chariots, dans le pays où ils étoient enfermés.
On raconte que deux jeunes Scythes poursuivant une biche qui traversa le bosphore Cimmérien, aujourd’hui le détroit de Kapha, le traverserent aussi. Ils furent étonnés de voir un nouveau monde ; & retournant dans l’ancien, ils firent connoître à leurs compatriotes les nouvelles terres, & si l’on peut se servir de ce terme, les Indes qu’ils avoient découvertes.
D’abord les armées innombrables de ces peuples Huns, Alains, Avares, passerent le bosphore, & chasserent sans exception tout ce qu’ils rencontrerent sur leur route ; il sembloit que les nations se précipitassent les unes les autres, & que l’Asie pour écraser l’Europe, eût acquis un nouveau poids. La Thrace, l’Illyrie, l’Achaïe, la Dalmatie, la Macédoine, en un mot toute la Grece fut ravagée.
Enfin sous l’empereur Théodose, dans le cinquieme siecle, Attila vint au monde pour desoler l’Univers. Cet homme, un des plus grands monarques dont l’histoire ait parlé, logé dans sa maison de bois où nous le représente l’histoire, étant maître de tous ces peuples Scythes, craint de ses sujets sans être haï, rusé, fier, ardent dans sa colere, & sachant la regler suivant ses intérêts ; fidelement servi des rois mêmes qui étoient sous sa dépendance ; simple dans sa conduite, & d’ailleurs d’une bravoure qu’on ne peut
guere loüer dans le chef d’une nation, où les enfans entroient en fureur au récit des beaux faits d’armes de leurs peres, & où les peres versoient des larmes lorsqu’ils ne pouvoient pas imiter leurs enfans ; Attila, dis-je, soûmit tout le Nord, traversa la Germanie, entra dans les Gaules, ravagea l’Italie, détruisit Aquilée, retourna victorieux dans la Pannonie, & y mourut après avoir imposé ses lois à l’empire d’Orient & d’Occident, & se préparant encore à envahir l’Asie & l’Afrique. Envain, après sa mort, les nations barbares se diviserent, l’empire des Romains étoit perdu ; il alla de degrés en degrés, de la décadence à sa chûte, jusqu’à ce qu’il s’affaissa tout-à-coup sous Arcadius & Honorius. Ainsi changea la face de l’Univers.
Différence qui a résulté de l’invasion en Occident & en Orient. Par le tableau que nous venons de tracer de ce grand évenement qu’ont produit les invasions successives des Goths & des Huns, le lecteur est en état de juger de la différence qui a dû résulter de l’irruption de ces divers peuples du Nord. Les derniers n’ont fait que ravager les pays de l’Europe où ils ont passé, sans y former d’établissement ; semblables aux Tartares leurs compatriotes, soûmis à la volonté d’un seul, avides de butin, ils n’ont songé dans leurs conquêtes qu’à se rendre formidables, à imposer des tributs exorbitans, & à affermir par les armes l’autorité violente de leur chef. Les premiers au contraire se fixerent dans les royaumes qu’ils soûmirent ; & ces royaumes, quoique fondés par la force, ne sentirent point le joug du vainqueur. De plus, ces premiers, libres dans leurs pays, lorsqu’ils s’emparerent des provinces romaines en Occident, n’accorderent jamais à leur général qu’un pouvoir limité.
Quelques-uns même de ces peuples, comme les Vandales en Afrique, les Goths dans l’Espagne, déposoient leur roi dès qu’ils n’en étoient pas contens ; & chez les autres, l’autorité du prince étoit bornée de mille manieres différentes. Un grand nombre de seigneurs la partageoient avec lui ; les guerres n’étoient entreprises que de leur consentement ; les dépouilles étoient communes entre le chef & les soldats ; aucun impôt en faveur du prince ; & les lois étoient faites dans les assemblées de la nation.
Quelle différence entre les Goths & les Tartares ! Ces derniers en renversant l’empire grec, établirent dans les pays conquis le despotisme & la servitude ; les Goths conquérant l’empire romain, fonderent partout la monarchie & la liberté. Jornandez appelle le nord de l’Europe, la fabrique du genre humain ; il seroit encore mieux de l’appeller, la fabrique des instrumens qui ont brisé les fers forgés au midi : c’est-là en effet que se sont formées ces nations vaillantes, qui sont sorties de leurs pays pour détruire les tyrans & les esclaves, & pour apprendre aux hommes que la nature les ayant fait égaux, la raison n’a pû les rendre dépendans que pour leur bonheur.
Autres preuves de cette différence. On comprendra mieux ces vérités, si l’on veut se rappeller les mœurs, le caractere, & le génie des Germains dont sortirent ces peuples, que Tacite nomme Gethones, & qui subjuguerent l’empire d’Occident. Ils ne s’appliquoient point à l’agriculture ; ils vivoient de lait, de fromage, & de chair ; personne n’avoit de terres ni de limites qui lui fussent propres. Les princes & les magistrats de chaque nation donnoient aux particuliers la portion de terrein qu’ils vouloient dans le lieu qu’ils vouloient, & les obligeoient l’année suivante de passer ailleurs.
Chaque prince avoit une troupe de compagnons (comites) qui s’attachoient à lui & le suivoient. Il y avoit entre eux une émulation singuliere pour obtenir quelque distinction auprès du prince ; il regnoit