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le fuseau, les brins se plieront les uns sur les autres, feront des spires, & formeront une petite corde.

2°. Qu’en faisant tourner le fuseau en sens contraire de celui où il tournoit quand on a mis la filasse en fil, tous ces brins de fil faisant effort pour reprendre leur premier tors, auquel ce second mouvement est contraire, chercheront à tourner sur eux-mêmes, se serreront fortement les uns contre les autres, & donneront un tissu d’autant plus ferme à la petite corde qu’ils composeront.

3°. Que ce serrement n’auroit point eu lieu, si on eût fait tourner le fuseau & les brins dans le sens dont ils avoient été filés, & que la petite corde eût été lâche, sans consistence, & ses brins toûjours prêts à se séparer. En effet, dans ce cas les brins portés au-delà de leur premier tors par un retors fait dans le même sens, auroient cherché à revenir à ce premier tors, & par conséquent à tourner sur eux-mêmes dans le sens contraire à ce retors, à se séparer & à ouvrir la corde.

J’ai vû beaucoup de personnes qui ne pouvoient se faire des idées nettes de la raison de cette manœuvre, & qui s’opiniâtroient à prétendre qu’il falloit retordre les brins dans le sens où le fil avoit été tordu.

Quand on retord les brins en sens contraire à celui selon lequel ils ont été filés, l’effort qu’ils font pour se restituer à leur premier tors, pour tourner sur eux-mêmes, & pour serrer la petite corde, est si considérable, que le fil retors se tortilleroit, & formeroit des boucles & des nœuds, si le fuseau n’étoit chargé à son extrémité d’un anneau de plomb, & si la fileuse ne le tenoit tendu à chaque fois qu’elle veut envider sur son fuseau la portion de fil qu’elle a retorse.

Mais on ne tarda pas à s’appercevoir que cette maniere de retordre étoit trop longue, & l’on imagina la machine dont nous allons parler.

Les différentes figures qui sont contenues dans cette Planche, ne sont que des détails de cette machine vûe par parties & sous différens points de vûe : on a donné à leur ensemble le nom de roüet. Ce roüet qui est très-simple en comparaison de ceux qui servent à filer l’or & l’argent, a été le premier instrument dont on s’est servi pour retordre les laines & fils servant à coudre, à faire la dentelle, & à faire des toiles brochées de laine ou soie, telles qu’on les fabrique depuis quelques années à Roüen, & depuis une année à Pont-de-Vele en Bresse ; il est indiqué par la figure 1. de la vignette. La figure 2. de la vignette représente une fille qui fait une bobine composée de deux fils qu’elle joint ensemble ; ces deux fils sont tirés de deux échevaux séparés, & posés sur deux tournettes ou guindres indiqués par les lettres b, b. Ce sont ces mêmes bobines qui chargées de ce fil double, sont posées comme il est démontré dans la fig. 5. Elles sont traversées d’un petit arbre ou d’une branche de fer très-polie qui les soûtient ; & au moyen d’une poulie qui adhere à chaque bobine ou fusée, & sur laquelle passe une corde qui le fait tourner très-vîte, les deux brins de fil se tordent par le mouvement que reçoit la bobine, n’en composent plus qu’un, & forment un parfait fil retors, soit fil, soit laine ou soie.

Il est d’une conséquence infinie de faire attention de quelle façon le fil doit être retordu, parce que si on vouloit retordre à droite un fil qui auroit été filé de même, il ne seroit pas possible d’en faire usage, attendu que ce second tors forçant le premier, sans néanmoins qu’il fût bien tordu, le fil s’ouvriroit de façon qu’il seroit impossible de l’employer, attendu qu’il ne pourroit absolument se tenir retordu. Il faut donc avoir la précaution d’observer que lorsqu’un brin de fil ou laine est filé ou tordu à droite, il doit être re-

tordu à gauche : il en est de même pour la soie.

Le fil préparé de cette façon recevant plus de tors, ne s’ouvre point pour cela, & ne se raccourcit pas ; au contraire il acquiert plus de consistance par cette seconde opération, qui le met en état d’être employé à tous les usages, tels que la couture, fabrique, &c.

La figure 3. n’est qu’une représentation en grand de la figure 1. de la vignette, où l’on peut distinguer toutes les parties du roüet avec plus de facilité.

A, figure 3. est la manette ou manivelle ajustée à l’arbre de fer B qui traverse la grande roue C qui donne le mouvement à toute la machine. Cette grande roue est cavée sur sa circonférence, & dans sa cavité il entre une corde un peu grosse, laquelle enveloppant la petite roue D placée sur l’arbre qui supporte la roue de piece E, cavée aussi très-legerement, & recevant la corde fine F qui passe sur les poulies G & N adhérantes aux bobines ou fusées, elle leur donne le mouvement pour retordre le fil double qu’elles soûtiennent.

H, même figure, est une entaille faite dans une piece de bois KL, nommée le sommier. Dans cette entaille entre une piece mobile de bois ou de fer M, à laquelle est attachée une petite poulie I sous laquelle passe la corde fine F qui donne le mouvement aux bobines. Cette piece M, & les deux autres qui ne sont pas marquées, s’élevent & se baissent selon le besoin, & servent à donner l’extension ou le relâchement nécessaire à la corde passée sous la poulie I, & conduisent cette corde comme on la voit ; c’est-à-dire des deux premieres bobines en-dessus, sous la premiere poulie ; de la premiere poulie en-dessous, dessus les deux secondes bobines ; des deux secondes bobines en-dessus, sous la seconde poulie ; de la seconde poulie en-dessous, dessus les deux troisiemes bobines, & ainsi de suite : d’où il arrive que toutes les bobines tournent dans le même sens.

O, même figure, est une fusée cavée, adhérante à la grande roue C, à laquelle elle est attachée ; elle sert à placer dans ses cavités la corde nommée d’attirage, qui passée en recoude sur deux poulies longues P & Q, & croisée à une poulie semblable R, fig. 4. enveloppe la roue marquée S, qui fait partie de l’aspe X, dont l’arbre passé dans les deux piliers T qui le soûtiennent, & lui donnent la liberté de tourner & recevoir la soie des huit bobines qui composent huit écheveaux. On a pratiqué au montant où sont attachées les poulies PR, des trous, afin de déplacer à discrétion les poulies, & rendre la corde qui passe sur elles plus ou moins tendue. Cette fusée composée de huit cavités dont les diametres sont différens, sert encore à donner à l’aspe un mouvement plus lent ou plus prompt, selon qu’on veut un tors plus ou moins grand au fil travaillé ; ce qui est opéré en plaçant la corde d’attirage dans les cavités plus ou moins grandes, & selon que le besoin l’exige. Y est une des grosses pieces du bâtiment du roüet.

Z, même figure, est une verge de bois bien polie, sous laquelle passent les huit fils tordus, & qui se tordent encore jusqu’à ce qu’ils soient sur l’aspe ou dévidoir.

La fig. 4. montre une partie du roüet vûe de côté, la fusée O, la roue de piece E, & la petite roue D, sur laquelle est passée la corde de la grande roue qui donne le mouvement aux huit bobines ou fusées : elle indique encore de quelle façon est passée la corde qui donne le mouvement à l’aspe ou devidoir X.

La figure 5. représente le sommier marqué K & L, & la figure 6. la forme de l’aspe ou devidoir.

Les autres figures sont des détails qu’il est facile de comprendre ; ainsi on voit au-dessus de la figure 5. une poulie séparée avec son soûtien ; & dans la fig. 5. l’entaille qui la reçoit.