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ÉLOGE
DE M. DU MARSAIS.



LA Vie sédentaire & obscure de la plûpart des Gens de Lettres offre pour l’ordinaire peu d’évenemens, sur-tout quand leur fortune n’a pas répondu à ce qu’ils avoient mérité par leurs travaux. M. du Marsais a été de ce nombre ; il a vécu pauvre & presqu’ignoré dans le sein d’une patrie qu’il avoit instruite : le détail de sa vie n’occupera donc dans cet Éloge que la moindre place, & nous nous attacherons principalement à l’analyse raisonnée de ses Ouvrages. Par-là nous acquitterons, autant qu’il est en nous, les obligations que l’Encyclopédie & les Lettres ont eues à ce Philosophe ; nous devons d’autant plus d’honneur à sa mémoire, que le sort lui en a plus refusé de son vivant, & l’histoire de ses Ecrits est le plus beau monument que nous puissions lui consacrer. Cette histoire remplira d’ailleurs le principal but que nous nous proposons dans nos Eloges, d’en faire un objet d’instruction pour nos Lecteurs, & un recueil de Mémoires sur l’état présent de la Philosophie parmi nous.


César Chesneau, Sieur du Marsais, Avocat au Parlement de Paris, naquit à Marseille le 17 Juillet 1676. Il perdit son pere au berceau, & resta entre les mains d’une mere qui laissa dépérir la fortune de ses enfans par un desintéressement romanesque, sentiment loüable dans son principe, estimable peut-être dans un Philosophe isolé, mais blâmable dans un chef de famille. Le jeune du Marsais étoit d’autant plus à plaindre, qu’il avoit aussi perdu en très-bas âge, & peu après la mort de son pere, deux oncles d’un mérite distingué, dont l’un, Nicolas Chesneau, savant Medecin, est auteur de quelques Ouvrages[1]. Ces oncles lui avoient laissé une Bibliotheque nombreuse & choisie, qui bientôt après leur mort fut vendue presqu’en entier à un prix très-modique : l’enfant, qui n’avoit pas encore atteint sa septieme année, pleura beaucoup de cette perte, & cachoit tous les livres qu’il pouvoit soustraire. L’excès de son affliction engagea sa mere à mettre à part quelques livres rares, pour les lui réserver quand il seroit en âge de les lire ; mais ces livres mêmes furent dissipés peu de tems après : il sembloit que la Fortune, après l’avoir privé de son bien, cherchât encore à lui ôter tous les moyens de s’instruire.

L’ardeur & le talent se fortifierent en lui par les obstacles ; il fit ses études avec succès chez les Peres de l’Oratoire de Marseille : il entra même dans cette Congrégation, une de celles qui ont le mieux cultivé les Lettres, & la seule qui ait produit un Philosophe célebre, parce qu’on y est moins esclave que dans les autres, & moins obligé de penser comme ses Supérieurs. Mais la liberté dont on y joüit n’étoit pas encore assez grande pour M. du Marsais. Il en sortit donc bientôt, vint à Paris à l’âge de vingt-cinq ans, s’y maria, & fut reçû Avocat le 10 Janvier 1704. Il s’attacha à un célebre Avocat au Conseil, sous lequel il commençoit à travailler avec succès. Des espérances trompeuses qu’on lui donna, lui firent quitter cette profession. Il se trouva sans état & sans bien, chargé de famille, & ce qui étoit encore plus triste pour lui, accablé de peines domestiques. L’humeur chagrine de sa femme, qui croyoit avoir acquis par une conduite sage le droit d’être insociable, fit repentir plusieurs fois notre Philosophe d’avoir pris un engagement indissoluble ; il regrette à cette occasion, dans un écrit de sa main trouvé après sa mort parmi ses papiers, que notre Religion, si attentive aux besoins de l’humanité, n’ait pas permis le divorce aux Particuliers, comme elle l’a quelquefois permis aux Princes : il déplore la condition de l’homme, qui jetté sur la terre au hasard, ignorant les malheurs, les passions,

  1. Ces Ouvrages sont, 1o. la Pharmacie théorique. Paris, Fréderic Léonard, 1679, in-4o. Il en donna en 1682 une seconde édition fort augmentée.

    2o. Un Traité de Chimie à la suite de cette seconde edition.

    3o. Observationum Nicolai Chesneau, Massiliensis. Doctoris Medici, libri V. in-8o. Paris, Léonard, 1672.

    4o. Discours & Abrégé des vertus & propriétés des Eaux de Barbotan en la Comté d’Armagnac. Bordeaux, 1679, in-8o.

    On a fait à Leyde, en 1719, une nouvelle édition des Ouvrages de Chesneau : mais on a oublié les deux premiers.