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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/1036

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teur, elles sont la ressource des généraux médiocres qui donnent tout au hasard ; au lieu que ceux qui sont savans dans la guerre, cherchent par préférence les actions où ils peuvent soûtenir les troupes par leur savoir & leur habileté. Voyez Bataille.

Il est certain que si l’on peut sans donner de batailles exécuter les différentes choses que l’on s’est proposé, il y auroit une imprudence inexcusable à vouloir en risquer l’évenement : mais il y a plusieurs circonstances où elles sont inévitables. Si par exemple l’ennemi que vous avez en tête attend des secours considérables qui lui donnent la supériorité sur vous ; si les affaires du prince exigent qu’il tire de forts détachemens de votre armée pour aller au secours d’un corps d’armée dans une province éloignée ; si les subsistances manquent & qu’il ne soit pas possible de s’en procurer sans chasser l’ennemi des lieux qu’il occupe : dans ces circonstances & dans beaucoup d’autres qui arrivent à la guerre, les batailles sont absolument nécessaires. M. de Turenne, qui savoit les éviter quand il le falloit, en a donné plusieurs dans des cas de cette espece ; & c’est par cette conduite qu’avec des armées inférieures, il a toûjours sû se conserver la supériorité sur l’ennemi.

Ce qu’il y a d’essentiel à observer dans les batailles, c’est de savoir se soûtenir & ne point se décourager pour avoir été poussé & même battu dans quelques endroits de sa ligne. « C’est être habile, je le veux, dit Polybe, que de faire ensorte après avoir bien commencé une action, que la fin ne démente pas le commencement : mais la gloire est bien plus grande lorsqu’après avoir eu du pire au premier choc, loin d’en être ébranlé & de perdre la tête, on refléchit sur les fautes que les bons succès font commettre à son ennemi, & qu’on les tourne à son avantage. Il est assez ordinaire de voir des gens à qui tout semble prospérer au commencement d’un combat, tourner le dos peu de tems après, & être vaincus ; & d’autres au contraire qui après des commencemens très-desavantageux, savent par leur bonne conduite changer la face des choses, & remporter la victoire lorsqu’on s’y attendoit le moins ». Hist. de Polybe, liv. XI. ch. iij.

Polybe en donne pour exemple la bataille de Mantinée, gagnée par Philopemen sur Machanidas, tyran de Sparte.

Au commencement de cette bataille l’armée de Philopemen fut poussée, & même mise en partie en déroute : mais ce grand capitaine ne s’épouvanta pas, & ne perdit pas l’espérance de faire changer la fortune ; il sut remédier au desordre de son armée, & trouver ensuite le moyen de remporter une victoire complete, dans laquelle il tua lui-même Machanidas.

Nous avons un exemple à-peu-près de même espece, rapporté dans les mémoires de M. de Turenne, à la bataille de Nordlingue.

Dans cette bataille, l’aîle droite de l’armée de France fut entierement mise en déroute, le centre battu, & l’aîle gauche un peu poussée. Malgré cela M. le Prince soûtint le combat ; M. de Turenne battit l’aîle droite des ennemis ; & la nuit venant incontinent, les deux aîles qui avoient battu ce qui étoit devant elles, demeurerent en bataille l’une devant l’autre. A une heure après minuit, l’armée ennemie commença à se retirer, &c.

Un des principaux avantages de la guerre offensive, c’est de faire subsister l’armée aux dépens de l’ennemi. Par cette raison, cette guerre peut être moins dispendieuse que la guerre défensive, où l’on est obligé de vivre sur son propre terrein.

« L’empereur Léopold Ignace se plaignant, dit M. de Santa-Crux, de ce qu’il ne savoit où prendre des fonds pour payer ses armées, Walstein son

général lui répondit, que le remede qu’il y trouvoit étoit de lever une fois plus de troupes. L’empereur lui ayant repliqué comment il pourroit entretenir cent mille hommes, puisqu’il n’avoit pas le moyen d’en faire subsister cinquante mille ; Walstein le satisfit, en lui représentant que cinquante mille hommes tiroient leur subsistance du pays ami, & que cent mille le tiroient du pays ennemi ».

Le prince d’Orange, suivant ce proverbe allemand, il est toûjours bon d’attacher les chevaux aux arbres des ennemis, dit « que celui qui fait une guerre offensive peut, dans un malheur, avoir recours à son propre pays ; parce que n’ayant point souffert de la guerre, on y trouvera abondamment tout ce qui est nécessaire : au lieu que celui qui la soûtient sur ses états, ne sauroit en plusieurs jours faire les préparatifs convenables pour entrer dans le pays ennemi. Enfin en se tenant sur la défensive on ne peut que perdre, ou tout-au-plus conserver ce que l’on a, & en attaquant on peut gagner. » Réfl. mil. par M. le marquis de Santa-Crux, tome IV. ch. ij.

De la guerre défensive. La guerre défensive est beaucoup plus difficile & plus savante que la précédente. Elle demande plus d’adresse, plus de ressource dans l’esprit, & beaucoup plus d’attention dans la conduite.

« Dans la guerre offensive on compte pour rien ce qu’on manque de faire ; parce que les yeux attentifs à ce qui se fait, & remplis d’une action éclatante, ne se tournent point ailleurs, & n’envisagent point ce qu’on pouvoit faire. Dans la guerre défensive, la moindre faute est mortelle, & les disgraces sont encore exagérées par la crainte, qui est le vrai microscope des maux, & on les attribue toutes à un seul homme. On ne regarde que le mal qui arrive, & non ce qui pouvoit arriver de pis, si on ne l’avoit empêché ; ce qui en bonne partie devroit être compté pour un bien ». Mém. de Montecuculli, liv. III. ch. iij.

M. de Feuquieres observe qu’il est bien difficile de prescrire des maximes générales dans cette espece de guerre, parce qu’elle est toute, dit-il, dans la prudence & l’esprit de prévoyance de celui qui la conduit.

« On peut dire seulement qu’elle a été tout-à-fait imprévûe, ou qu’elle n’a pas été prévûe assez tôt, ou que la perte d’une bataille, ou de quelque place considérable, l’a rendue telle, quoiqu’elle eût eu un autre commencement.

Au premier cas, le peu de troupes qu’on a sur pié doit être ménagé ; l’infanterie jettée, selon la quantité des places qu’on a à garder, dans celle que l’on peut croire le plus indispensablement attaquée, abandonnant ainsi à l’ennemi celles qui dans la suite de la guerre pourroient être plus facilement conquises, ou qu’il pourra le plus difficilement conserver. La cavalerie doit être mise en campagne, mais en état d’avoir une retraite sûre ; elle doit incommoder les fourrages & les convois de l’ennemi, empêcher que ses partis ne s’écartent trop de son armée, & ne jettent trop facilement la terreur dans le dedans du pays.

Le plat pays ne doit point être ménagé. Il faut en retirer dans les meilleures places tout ce que l’on peut en ôter, & consumer même par le feu tous les grains & fourrages qu’on ne peut mettre en lieu sûr, afin de diminuer par-là la subsistance aisée de l’armée ennemie. Les bestiaux doivent être aussi renvoyés dans les lieux les plus éloignés de l’ennemi ; & autant qu’il se peut, couverts de grandes rivieres, où ils trouveront plus de sûreté & une subsistance plus aisée ». Mém. de M. le marquis de Feuquieres, tome II. pag. 2.