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leurs victoires se multipliant aussi-bien que les jeux publics, cette dépense seroit devenue fort à charge à leurs compatriotes, si l’on ne l’eût resserrée dans les bornes de la médiocrité ; les empereurs conserverent tous ces priviléges des vainqueurs aux jeux gymniques, & même les accrûrent ; Auguste en montra l’exemple, suivant le témoignage de Suetone.

L’exemption de toute charge & de toute fonction civile, n’étoit pas une de leurs moindres prérogatives ; mais il falloit pour l’obtenir, avoir été couronné au-moins trois fois aux jeux sacrés.

Le desir d’immortaliser les victoires des athletes remportées aux jeux gymniques, fit mettre en œuvre divers moyens qui conduisoient naturellement à ce but : tels étoient les archives publiques, les écrits des poëtes, les statues, les inscriptions. La célébration des jeux finie, un des premiers soins des agonothetes étoit d’inscrire sur le registre public le nom, le pays des vainqueurs, & l’espece de combat dont ils étoient sortis victorieux. Leurs loüanges devinrent chez les Grecs un des principaux sujets de la poésie lyrique ; c’est sur quoi roulent, comme l’on sait, toutes les odes de Pindare, partagées en quatre livres, chacun desquels porte le nom des jeux où se sont signalés les athletes dont les victoires sont célébrées dans ces poëmes immortels.

Les peuples non contens du secours qu’ils empruntoient des archives publiques & des poëtes pour perpétuer le souvenir des victoires des athletes dans les jeux gymniques, employerent outre cela tout l’art des Sculpteurs pour transmettre aux siecles à venir la figure & les traits de ces mêmes hommes, qu’ils regardoient avec tant d’admiration. On peut lire dans Pausanias un dénombrement de toutes les statues qui se voyoient de son tems à Olympie, & ces statues ne devoient pas être plus grandes que le naturel ; on ornoit ces statues d’inscriptions, qui marquoient le pays des athletes vainqueurs, représentés par ces statues, le genre, & le tems de leurs victoires, & le prix qu’ils avoient remporté. Octavio Falconerii a recueilli, publié, & éclairci par de savantes notes plusieurs de ces inscriptions qui nous restent encore.

Enfin, malgré la défense des agonothetes, on est allé jusqu’à rendre des honneurs divins aux vainqueurs dans les combats gymniques, & cette espece de culte peut passer pour le comble de la gloire athlétique. On en cite trois exemples tirés de l’histoire : le premier rapporté par Hérodote, est de Philippe Crotoniate, vainqueur aux jeux olympiques, & le plus bel homme de son tems ; les Egestains lui dresserent après sa mort un monument superbe, & lui sacrifierent comme à un héros : le second exemple encore plus extraordinaire, est d’Euthime de Locres, excellent athlete pour le pugilat, lequel pendant sa vie reçut les honneurs divins ; Pline le naturaliste raconte ce fait, liv. VII. ch. lvij. de son histoire : le troisieme exemple est celui de l’athlete Théagene, qui au rapport de Pausanias, fut après sa mort non seulement adoré par les Thasiens ses compatriotes, mais par divers peuples tant grecs que barbares. Voilà quels étoient les fruits des combats gymniques, ces exercices a jamais célebres, & dont nous n’avons plus d’idée. Article de M. le Chev. de Jaucourt.

GYMNOPÉDIE, s. f. (Antiq. greq.) γυμνωπαιδία, mot composé de γυμνός, nud, & παῖς, jeune homme ; danse en usage chez les Lacédémoniens, & qui devoit son institution à Lycurgue. Cette danse faisoit partie d’une fête solennelle qu’on célébroit publiquement à Lacédémone, en mémoire de la victoire remportée près de Thyrée par les Spartiates sur les Argiens. Deux troupes de danseurs nuds, la premiere de jeunes gens, la seconde d’hommes faits, composoient la gymnopédie, & lui donnoient son nom :

celui qui menoit chaque troupe, portoit sur la tête une couronne de palmier, qu’on nommoit couronne thyréatique, à cause du sujet de la fête. Toute la bande en dansant chantoit les poésies lyriques de Thaletas & d’Aleman, ou les péanes de Dionysodote. Ces danses se faisoient dans la place publique ; & la partie de cette place destinée aux danseurs s’appelloit le chœur, χῶρος.

La fête étoit consacrée à Apollon pour la poésie, & à Bacchus pour la danse ; cette danse, selon Athénée, avoit quelque rapport à une sorte d’exercice, connu anciennement sous le nom d’ἀναπάλη, parce les danseurs par les démarches entre-coupées & cadencées de leurs piés, & par les mouvemens figurés de leurs mains, offroient aux yeux une image adoucie de la lutte & du pancrace. Meursius a discuté cette matiere avec érudition, dans son livre intitulé orchestra ; on y peut recourir. Il me suffira d’ajoûter qu’on passoit ordinairement de cette danse à la pyrrhique, dont la gymnopédie étoit comme le prélude.

Le législateur de Lacédémone appliqua l’exercice de la danse aux vues qu’il avoit de porter la jeunesse de Sparte à apprendre en se joüant l’art terrible de la guerre : non-seulement Lycurgue voulut que les jeunes garçons dansassent nuds, mais il établit que les jeunes filles, dans certaines fêtes solennelles, ne danseroient que parées de leur propre beauté, & sans autre voile que leur pudeur. Quelques personnes lui ayant demandé la cause de cette institution : c’est afin, répondit-il, que les filles de Sparte faisant les mêmes exercices que les hommes, elles ne leur soient point inférieures ni pour la force & la santé du corps, ni pour la générosité de l’ame.

M. Guillet, dans sa Lacédémone ancienne, entreprend d’après Plutarque l’apologie de Lycurgue contre ceux qui prétendent que cette institution étoit plus capable de corrompre les mœurs que de les affiner. « Outre, dit M. Guillet, qu’il est impossible d’imaginer que Lycurgue, qui regardoit l’éducation des enfans pour la plus importante affaire d’un législateur, ait pû jamais fonder des usages qui tendissent au déréglement, il n’est pas douteux que la nudité étant commune à Lacédémone, ne faisoit point d’impression criminelle ou dangereuse. Il se forme par-tout naturellement une habitude de l’œil à l’objet qui dispose à l’insensibilité, & qui bannit les desirs déréglés de l’imagination ; l’émotion ne vient guere que de la nouveauté du spectacle. Enfin (& c’est la meilleure raison de M. Guillet) dès qu’on s’est mis une fois dans l’esprit l’intégrité des mœurs de Sparte, on demeure persuadé de ce bon mot : les filles de Lacédémone n’étoient point nues, l’honnêteté publique les couvroit. Telle étoit, dit Plutarque, la pudicité de ce peuple, que l’adultere y passoit » pour une chose impossible & incroyable.

Ces usages nous paroissent également étranges & blâmables ; & nous sommes étonnés qu’un homme aussi renommé pour sa sagesse ait pû les proposer, ou qu’on ne les ait pas rejettés.

Après tout, quelque parti qu’on prenne pour ou contre Lycurgue, gardons-nous bien de croire que son excuse en fût une pour nous. Quoiqu’il y ait quantité de lieux dans le monde où les femmes paroissent toûjours dans l’état de celles qui dansoient à certaines fêtes de Sparte, & quoique nos voyageurs assûrent que dans ces lieux le deréglement des mœurs est très-rare ; le point important qu’il ne faut jamais perdre de vûe sur cette matiere, est de reconnoître que si la force de l’éducation générale, établie sur de bons principes, est infinie, lorsque des exemples contagieux n’en peuvent déranger les effets, nous ne joüissons malheureusement ni des avantages