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vent servir à faire connoître la force : ce n’est donc que dans l’équilibre, ou dans le mouvement retardé, qu’on doit en chercher la mesure. Or tout le monde convient qu’il y a équilibre entre deux corps quand les produits de leurs masses par leurs vîtesses virtuelles, c’est-à-dire par les vîtesses avec lesquelles ils tendent à se mouvoir, sont égaux de part & d’autre. Donc dans l’équilibre, le produit de la masse par la vîtesse, ou, ce qui est la même chose, la quantité de mouvement peut représenter la force. Tout le monde convient aussi que dans le mouvement retardé, le nombre des obstacles vaincus est comme le quarré de la vîtesse : en sorte qu’un corps qui a fermé un ressort, par exemple, avec une certaine vîtesse, pourra avec une vîtesse double fermer, ou tout-à-la-fois ou successivement, non pas deux, mais quatre ressorts semblables au premier, neuf avec une vîtesse triple, & ainsi du reste. D’où les partisans des forces vives concluent que la force des corps qui se meuvent actuellement, est en général comme le produit de la masse par le quarré de la vîtesse. Au fond, quel inconvénient pourroit-il y avoir à ce que la mesure des forces fût différente dans l’équilibre & dans le mouvement retardé, puisque si on veut ne raisonner que d’après des idées claires, on doit n’entendre par le mot de force, que l’effet produit en surmontant l’obstacle, ou en lui résistant ? Il faut avoüer cependant, que l’opinion de ceux qui regardent la force comme le produit de la masse par la vîtesse, peut avoir lieu non seulement dans le cas de l’équilibre, mais aussi dans celui du mouvement retardé, si dans ce dernier cas on mesure la force, non par la quantité absolue des obstacles, mais par la somme des résistances de ces mêmes obstacles. Car cette somme de résistances est proportionnelle à la quantité de mouvement, puisque, de l’aveu général, la quantité de mouvement que le corps perd à chaque instant, est proportionnelle au produit de la résistance par la durée infiniment petite de l’instant ; & que la somme de ces produits est évidemment la résistance totale. Toute la difficulté se réduit donc à savoir si on doit mesurer la force par la quantité absolue des obstacles, ou par la somme de leurs résistances. Il me paroîtroit plus naturel de mesurer la force de cette derniere maniere : car un obstacle n’est tel qu’en tant qu’il résiste ; & c’est, à proprement parler, la somme des résistances qui est l’obstacle vaincu. D’ailleurs en estimant ainsi la force, on a l’avantage d’avoir pour l’équilibre & pour le mouvement retardé une mesure commune : néanmoins, comme nous n’avons d’idée précise & distincte du mot de force, qu’en restraignant ce terme à exprimer un effet, je crois qu’on doit laisser chacun le maître de se décider comme il voudra là-dessus ; & toute la question ne peut plus consister que dans une discussion métaphysique très-futile, ou dans une dispute de mots plus indigne encore d’occuper des Philosophes.

Ce que nous venons de dire sur la fameuse question des forces vives, est tiré de la préface de notre traité de Dynamique, imprimé en 1743, dans le tems que cette question étoit encore fort agitée parmi les Savans. Il semble que les Géometres conviennent aujourd’hui assez unanimement de ce que nous soûtenions alors, que c’est une dispute de mots : & comment n’en seroit-ce pas une, puisque les deux partis sont d’ailleurs entierement d’accord sur les principes fondamentaux de l’équilibre & du mouvement ? En effet, qu’on propose un problème de Dynamique à résoudre à deux géometres habiles, dont l’un soit adversaire & l’autre partisan des forces vives, leurs solutions, si elles sont bonnes, s’accorderont parfaitement entre elles : la mesure des forces est donc une question aussi inutile à la Méchanique, que les questions sur la nature de l’étendue & du mouvement :

sur quoi on peut voir ce que nous avons dit au mot Elémens des Sciences, tome V. pag. 493. col. 1. & 2. Dans le mouvement d’un corps nous ne voyons clairement que deux choses ; l’espace parcouru, & le tems qu’il employe à le parcourir. C’est de cette seule idée qu’il faut déduire tous les principes de la Méchanique, & qu’on peut en effet les déduire. Voyez Dynamique.

Une considération qu’il ne faut pas négliger, & qui prouve bien qu’il ne s’agit ici que d’une question de nom toute pure ; c’est que soit qu’un corps ait une simple tendance au mouvement arrêtée par quelque obstacle, soit qu’il se meuve d’un mouvement uniforme avec la vîtesse que cette tendance suppose, soit enfin que commençant à se mouvoir avec cette vîtesse, son mouvement soit anéanti peu-à-peu par quelque obstacle ; dans tous ces cas, l’effet produit par le corps est différent : mais le corps en lui même ne reçoit rien de nouveau ; seulement son action est différemment appliquée. Ainsi quand on dit que la force d’un corps est dans certains cas comme la vîtesse, dans d’autres comme le quarré de la vîtesse ; on veut dire seulement que l’effet dans certains cas est comme la vîtesse, dans d’autres comme le quarré de cette vîtesse : encore doit on remarquer que le mot effet est ici lui-même un terme assez vague, & qui a besoin d’être défini avec d’autant plus d’exactitude, qu’il a des sens différens dans chacun des trois cas dont nous venons de parler. Dans le premier, il signifie l’effort que le corps fait contre l’obstacle ; dans le second, l’espace parcouru dans un tems donné & constant ; dans le troisieme, l’espace parcouru jusqu’à l’extinction totale du mouvement, sans avoir d’ailleurs aucun égard au tems que la force a mis à se consumer.

On peut remarquer par tout ce que nous venons de dire, qu’un même corps, selon que sa tendance au mouvement est différemment appliquée, produit différens effets ; les uns proportionnels à sa vîtesse, les autres au quarré de sa vîtesse. Ainsi ce prétendu axiome, que les effets sont proportionnels à leurs causes, est au moins très-mal énoncé, puisque voilà une même cause qui produit différens effets. Il faudroit mettre cette restriction à la proposition dont il s’agit, que les effets sont proportionnels à leurs causes, agissantes de la même maniere. Mais nous avons déjà fait voir aux mots Accélératrice & Cause, que ce prétendu axiome est un principe très-vague, très-mal exprimé, absolument inutile à la Méchanique, & capable de conduire à bien des paralogismes, quand on n’en fait pas usage avec précaution.

Conservation des forces vives. C’est un principe de Méchanique que M. Huyghens semble avoir apperçû le premier, & dont M. Bernoulli, & plusieurs autres géometres après lui, ont fait voir depuis l’étendue & l’usage dans la solution des problèmes de Dynamique. Voici quel est ce principe ; il consiste dans les deux lois suivantes.

1°. Si des corps agissent les uns sur les autres, soit en se tirant par des fils ou des verges inflexibles, soit en se poussant, soit en se choquant, pourvû que dans ce dernier cas, ils soient à ressort parfait, la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses fait toûjours une quantité constante. 2°. Si les corps sont animés par des puissances quelconques, la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses à chaque instant, est égale à la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses initiales, plus les quarrés des vîtesses que les corps auroient acquises, si étant animés par les mêmes puissances, ils s’étoient mûs librement chacun sur la ligne qu’il a décrite.

Nous avons dit soit en se poussant, soit en se choquant, & nous distinguons la pulsion d’avec le choc,