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un bâton quand on les charge : on prend soin aussi de les décharger. M. Desaguliers croit que c’est à une situation semblable qu’étoit dûe la résistance étonnante de cette fameuse tortue, que formoient les soldats romains avec leurs boucliers. V. Fortice.

Il doit paroître surprenant que des charges de 8 ou 9 quintaux n’écrasent pas le dos des porte-faix de Constantinople ; sans doute les vertebres se soûtiennent mutuellement, & leurs muscles se roidissent chez eux, pour assujettir l’épine à une courbure constante : mais cette force paroît bien médiocre, & il faut avoir recours à une troisieme espece de résistance qu’on n’a pas encore appliquée ici, je veux dire à la résistance des cartilages intermédiaires des vertebres. Je crois que tous ceux qui ont lû Borelli & Parent sur la force de ces cartilages, seront de mon avis ; & je remarquerai seulement que les auteurs n’ont pas fait assez d’attention aux poids immenses que peut soûtenir la résistance des ligamens & des cartilages. En calculant d’après la proposition 61 de Borelli, l’imagination seroit effrayée de la force prodigieuse que la nature employe pour la résistance de ces cartilages dans les porte-faix de Constantinople.

Tout le monde connoît la résistance des os du crane aux fardeaux qu’on lui fait supporter. M. Hunauld a expliqué cette résistance très-méchaniquement, dans les Mém. de l’ac. 1730 ; mais il ne savoit peut-être pas qu’un poids de 9 quintaux ne suffit point pour la vaincre : or c’est ce qu’on observe tous les jours à Marseille.

Les porte-faix y soûtiennent à quatre un poids de 36 quintaux ; ils ont la tête enveloppée d’une espece de sac qui leur ceint les tempes, & qui se termine en un bourrelet qui tombe sur les épaules ; sur ce bourrelet portent de longues perches, où sont suspendues les cordes qui élevent le plan sur lequel est le fardeau. Ainsi non-seulement la résistance de la voûte du crane, mais même celle de l’atlas & des autres cartilages du cou, est supérieure à l’effort d’un poids de 900 liv. agissant par un levier assez long.

Desaguliers, qui ne considere que le travail des muscles dans un homme qui supporte un poids sur ses épaules, remarque que les porte-faix de Londres qui travaillent sur les quais, & qui chargent ou déchargent des navires, portent quelquefois des fardeaux qui tueroient un cheval. Il n’en donne point la raison ; elle suit de ce que nous venons de dire, & il ne faut considérer que la situation perpendiculaire, ou du-moins peu inclinée à l’horison dans les vertebres de l’homme, & la situation horisontale des vertebres du cheval, qui rend leur luxation beaucoup plus facile.

Desaguliers raconte des tours de force prodigieux que faisoit un nommé Topham, sans employer aucun art pour les rendre étonnans. Je l’ai vû, dit-il, lever un rouleau du poids de 800 livres, étant debout dans un chassis au-dessus, saisissant avec ses mains une chaîne qui y étoit attachée. Comme il se courboit un peu en-avant pour cette opération, il faut ajoûter le poids du corps au poids élevé, & considérer ici principalement les muscles des lombes : d’où il suit que ce Topham étoit presque une fois aussi fort, à cet égard, que les hommes qui le sont le plus, ceux-ci n’élevant guere plus de 400 liv. de cette maniere. Je dis à cet egard, car les différentes parties du corps peuvent avoir des proportions de force très-peu semblables, suivant le genre de travail & d’exercice auquel chaque homme est habitué.

M. George Graham a eu la premiere idée d’une machine, que Desaguliers a perfectionnée, & qui sert à mesurer dans chaque homme la force des bras, du cou, des jambes, des doigts & des autres parties du corps.

Un cheval est égal en force, pour tirer, à cinq tra-

vailleurs anglois, suivant les observations de Jonas

Moore ; à six ou sept françois, suivant nos auteurs ; ou à 7 hollandois, selon Desaguliers : mais pour porter une charge sur le dos, deux hommes sont aussi forts, & quelquefois plus qu’un cheval. Un porte-faix de Londres transportera 200 liv. allant assez vîte pour faire trois milles par heure : les porteurs de chaise, en portant 150 livres chacun, marchent fort vîte, & sur le pié de quatre milles par heure ; tandis qu’un cheval de messager, qui fait environ deux milles par heure, porte seulement 224 liv. ou 270 liv. quand il est vigoureux, & que les chemins sont bons.

Le cheval est plus propre pour pousser en avant ; l’homme, pour monter. Un homme chargé de 100 livres montera plus vîte & plus facilement une montagne un peu roide, qu’un cheval chargé de 300 livres ne les tire. Les parties du corps de l’homme sont mieux situées pour grimper, que celles du cheval. On voit à Londres des chevaux de haute taille, lorsqu’ils sont attachés à des charrettes portées sur des roues fort hautes, traînes jusqu’à deux milles en montant la rue de S. Dunstan’s Hill ; mais le charretier épaule la voiture dans les pas difficiles.

L’application aux différentes machines fait extrèmement varier la comparaison de la force des hommes & des chevaux. M. de la Hire détermine d’une maniere très-juste & très-ingénieuse, l’effort de l’homme pour tirer ou pousser horisontalement : il considere sa force comme appliquée à la manivelle d’un rouleau dont l’axe est horisontal, & sur lequel s’entortille une corde qui soûtient un poids : il fait abstraction de l’avantage méchanique qu’on peut donner à ce cabestan, des frotemens, & de la difficulté qu’a la corde à se ployer.

Si le coude de la manivelle est placé verticalement à la hauteur des épaules ; si la direction des bras est horisontale, & fait un angle droit avec la position du corps, il est clair qu’on ne peut faire tourner la manivelle : mais si la manivelle est au-dessus ou au-dessous des épaules, la direction du bras & celle du tronc feront ensemble un angle obtus ou aigu ; & l’homme aura pour tirer ou pour pousser la manivelle, cette force qui dépend de la seule pesanteur du corps. On doit considérer cette pesanteur comme réunie dans le centre de gravité, qui est à-peu-près à la hauteur du nombril au-dedans du corps. Si le coude de la manivelle est placé horisontalement à la hauteur des genoux, l’homme qui la releve en tirant, peut élever le poids de 150 livres, qui sera attaché à l’extrémité de la corde, en prenant tous les avantages possibles, puisque son effort est le même que pour élever ce poids (voyez ci-dessus) : mais pour abaisser la manivelle, il ne peut y appliquer qu’un effort de 140 livres, qui est le poids de tout son corps, à moins qu’il ne soit chargé.

Si le corps étant fort incliné vers la manivelle, elle est à la hauteur des épaules, il faudra considérer 1°. le bout des piés comme le point d’appui d’un levier, qui passant par le centre de gravité de tout le corps, se termine à la ligne des bras, prolongée s’il est nécessaire : 2°. que le centre de gravité étant chargé du poids de tout le corps, de 140 livres, avec sa direction naturelle, l’extrémité du levier supposé est soûtenue dans la ligne horisontale des bras. Cela posé :

Soit ce levier de 140 parties, & la distance du point d’appui au centre de gravité, de 80 ; l’effort de tout le corps à l’extrémité du levier, sera le même que si un poids de 80 livres y étoit suspendu avec sa direction naturelle & perpendiculaire à la ligne des bras : donc si l’on mene du point d’appui une perpendiculaire sur la ligne des bras, cette perpendiculaire sera à la coupée depuis l’extrémité du levier, comme le poids de 80 livres avec sa direction naturelle, est à son effort sur la manivelle, suivant la direction hori-