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suite. Il faut distinguer dans une forge le massif de la forge, sur lequel l’âtre est placé, la cheminée, la tuyere, l’auge, &c. Voyez ci-après l’article Grosses Forges.

Forges, (Grosses-) c’est ainsi qu’on appelle les usines où l’on travaille la mine du fer.

La manufacture du fer, le plus nécessaire de tous les métaux, a été jusqu’ici négligée. On n’a point encore cherché à connoître & suivre une veine de mine ; à lui donner ou ôter les adjoints nécessaires ou contraires à la fusion ; & la façon de la convertir en fers utiles au public. Les fourneaux & les forges sont pour la plûpart à la disposition d’ouvriers ignorans. Le point utile seroit donc d’apprendre à chercher la mine, la fondre, la conduire au point de solidité & de dimension qui constituent les différentes especes de fer ; à le travailler en grand au sortir des forges, dans les fonderies, batteries, & fileries ; d’où il se distribueroit aux différens besoins de la société. Le fer remue la terre ; il ferme nos habitations ; il nous défend ; il nous orne : il est cependant assez commun de trouver des gens qui regardent d’un air dédaigneux le fer & le manufacturier. La distinction que méritent des manufactures de cette espece, devroit être particuliere : elles mettent dans la société des matieres nouvelles & nécessaires ; il en revient au roi un produit considérable, & à la nation un accroissement de richesses égal à ce qui excede la consommation du royaume, & passe chez l’étranger.

Pour mettre cette partie sous les yeux, en attendant de plus amples connoissances, on a suivi l’ordre du travail & des opérations.

La premiere regarde les qualités du maitre, commis, & principaux ouvriers.

La seconde, la recherche des minieres, & disposition des mines.

La troisieme, la maniere de tirer les mines.

La quatrieme, les réglemens à ce sujet.

La cinquieme, la façon d’en séparer les corps étrangers.

La sixieme, les réservoirs & dépense de l’eau.

La septieme, l’achat, l’exploitation, l’emploi des bois.

La huitieme, le service qu’on tire de l’air.

La neuvieme, le fourneau pour gueuse, & pour marchandises.

La dixieme, la forge.

La onzieme, la fonderie.

La douzieme, la batterie.

La treizieme, la filerie.

On n’entreprend pas de détailler chaque forge en particulier ; il n’est question que d’une description générale d’un travail susceptible de modifications, suivant les circonstances particulieres.

Article I. Du maître. La probité & l’honneur sont les premieres choses que tout homme, dans toutes sortes d’états, ne doit jamais perdre de vûe. Dans les forges, le danger est prochain. Communément au milieu des campagnes, souvent au milieu des bois, nécessairement environné d’un grand nombre d’ouvriers & domestiques ; il faut veiller pour se garantir des vices qu’engendrent la solitude, la grossiereté des ouvriers, le maniement de l’argent.

Soyez bon voisin, confrere sans jalousie, ami avec discernement ; faites vos achats & vos ventes sans mensonge ; vendez vos denrées en bon citoyen ; distribuez votre argent en bon économe ; veillez au travail ; faites vos fournitures de bonne heure ; ne laissez pas manquer votre caisse.

Il faut à un maître de forges la connoissance de son état, de la santé, de l’ordre, & de l’argent. Comme le gouvernement d’une forge s’étend à beaucoup d’objets différens, un petit détail fera voir les soins & les démarches qu’il demande.

Vous proposez-vous de bâtir, acheter, ou prendre à bail une forge ? Combinez votre santé, votre argent, avec la connoissance du terrein, des héritages voisins, du cours d’eau, des bois, des mines, de la qualité du fer, du débit : voilà le premier pas.

Je dis votre santé, par le travail attaché à cet état : votre argent, pour ne pas trop entreprendre : la connoissance du terrein & des héritages voisins, tant pour la dépense & la solidité de la construction, que pour le danger de se jetter dans des dédommagemens ; du cours d’eau, pour lui opposer une force capable de la retenir, ménager des sorties pour l’excédent, & des réservoirs pour le nécessaire : des bois, tant d’affoüages qu’en traite, pour savoir sur quoi vous pouvez compter : la connoissance des mines, leur traite, leur produit, la qualité du fer, le débit.

Déterminé sur cette premiere combinaison, ne perdez point de tems à faire les apprêts nécessaires. Les bois veulent être coupés dans un certain tems, d’une certaine mesure, séchés, dressés, cuits, hébergés dans certaines saisons. Le travail des mines doit être suivi avec la même exactitude : l’intelligence doit sur tout s’exercer au fourneau & à la forge, qu’il faut pour cela bien connoître. La vente des fers, ainsi que des autres parties, consiste en trois choses ; à qui, combien, & comment. Je veux dire, connoître les marchands, pour ne point exposer sa fortune ; la valeur des choses & des tems, pour ne point être la dupe ; & prendre garde à ses engagemens, qu’on doit remplir en quantité, qualité, tems, & lieu, & aux payemens qui doivent être combinés avec le courant des affaires, afin que la caisse ne manque pas.

Une bonne réputation, ce qu’en terme d’art on appelle bon crédit, est bien nécessaire : elle vous donne le choix dans les ouvriers, la préférence dans les bois des seigneurs, souvent dans les usines qui leur appartiennent. Vous aurez ce crédit parmi les ouvriers, par l’égalité entre ceux de la même valeur, le retranchement sans retour & avec éclat des vitieux, la fidélité dans les comptes & payemens ; vous l’acquerrez des marchands, par le soin de remplir vos traités : vos voisins de quelque état qu’ils soient, ne pourront vous le refuser, par l’habitude où vous les aurez mais de vous voir remplir votre travail sans ostentation & sans détour.

Il y a entr’autres trois ouvriers auxquels il ne faut donner sa confiance qu’après les avoir bien connus ; le charbonnier, le fondeur, & le marteleur. Comment juger de leurs talens, si on ignore le travail du charbon, de la fonte, & du fer ? Voyez les articles Fer & Charbon.

Quelquefois une affaire est trop considérable par les fonds qu’elle demande ; c’est le cas de choisir un ou plusieurs associés. Les sociétés bien composées sont le nerf, le soûtien, l’agrément du commerce : mais nous voyons mille exemples funestes des sociétés où plusieurs gouvernent les mêmes parties, pour une qui finit en paix. Comment trouver dans plusieurs personnes la même exactitude, pour ne pas dire fidélité ? Dans le cas de société, partagez l’affaire ; & que chacun régisse une partie pour son compte.

Il y a des forges auxquels sont joints des domaines qui fournissent beaucoup de denrées : nous voyons aussi des maîtres qui en achetent pour remettre à leurs ouvriers : ceux qui le font dans l’idée d’entretenir l’abondance & le bon marché, font bien ; mais le droit de garde & de déchet décele un peu l’envie de gagner. Il est commun que ceux qui fournissent des denrées perdent par la mort ou la fuite des ouvriers : ne pourroit-on pas en soupçonner la raison & la punition ?

Je ne puis finir les qualités d’un maître de forges, sans faire remarquer que celles de sa femme sont essentielles à cet état, & en font souvent le bien ou