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1°. Notre méthode est adoptée par de très-habiles théologiens qui ont traité de dessein formé la question de l’analyse de la foi : au lieu que ceux qui ont suivi des principes opposés, y ont été jettés en traitant séparément la question de l’autorité de l’Eglise. Nous nous contenterons d’en citer deux ou trois, parce que cette matiere est plûtôt du ressort du raisonnement que de celui de l’autorité.

Rien n’est plus clair & plus précis que ce que dit là-dessus le P. Juenin, instit. theolog. part. VII. diss. jv. c. 4.

Ce savant homme avance que sans les motifs de crédibilité, on ne peut pas avoir une certitude prudente de l’existence de la révélation divine ; parce que, dit-il, sans ces motifs, nous ne pouvons pas recevoir raisonnablement l’autorité divine des Ecritures, dans lesquelles l’infaillibilité de l’Eglise est révélée. D’où il forme cette analyse de la foi entierement semblable à la nôtre : ex iis quæ dicta sunt sequitur credentem sic procedere ; ideò mens adhæret alicui veritati quod sit à Deo revelata ; ideò scit esse revelatam, quod eam tanquam à Deo revelatam Ecclesia proponat ; ideo verò adhæret Ecclesiæ definitioni, quod illius infallibilitas in scripturis contineatur ; ideò adhæret scripturis, quod sint verbum Dei ; ideò tandèm certus est scripturas esse Dei verbum, quod ad id adducatur evidentibus motivis credibilitatis.

Voilà bien l’infaillibilité de l’Eglise crûe, parce qu’elle est contenue clairement dans l’Ecriture ; & la divinité des Ecritures crûe du fidele, par les motifs de crédibilité : tout cela indépendamment de l’autorité de l’Eglise.

On a vu plus haut qu’Holden, dans son traité de l’analyse de la foi, établit pour principe, que cette vérité générale, l’Ecriture est la parole de Dieu, n’est point, à proprement parler, révélée, & qu’elle est crûe par les motifs de crédibilité ; ce qui est tout-à-fait conforme à la méthode que nous embrassons.

Avant ces auteurs, Grégoire de Valence avoit posé pour fondement de l’analyse de la foi cette proposition : si la religion chrétienne est émanée de Dieu, l’Ecriture sainte est la parole de Dieu ; proposition que cet auteur trouve si évidente, qu’il ne juge pas qu’elle ait besoin de preuves : ce qui fait voir qu’il est bien éloigné d’établir la divinité du corps des Ecritures sur l’autorité de l’Eglise, & qu’il fonde, comme nous, la croyance du fidele à cet article, sur les motifs de crédibilité qui établissent que la religion chrétienne est émanée de Dieu.

2°. Notre analyse demeure solidement établie, si nous prouvons bien que la persuasion raisonnée de la vérité & de la divinité des Ecritures, n’a point pour fondement l’autorité de l’Eglise ; & qu’au contraire, l’autorité infaillible de l’Eglise est établie sur l’autorité de la révélation, & cela indépendamment de l’autorité de l’Eglise. Or nous avons déjà prouvé ces deux principes, en traitant des motifs de la persuasion raisonnée que renferme la foi ; & en voici une nouvelle preuve quant à l’autorité de l’Eglise.

C’est la doctrine de presque tous les théologiens catholiques, qu’elle est un objet de foi divine, en ce sens que nous la croyons par le motif de la révélation. Or à-moins qu’on n’embrasse notre méthode d’analyser la foi, on ne peut pas dire que cette vérité soit crûe par le motif de la révélation ; parce que lorsqu’on a une fois établi l’authenticité de la révélation sur l’autorité de l’Eglise, on ne peut plus recourir à la révélation pour établir l’autorité de l’Eglise, sans tomber dans un cercle vicieux : on est donc obligé de se retrancher à prouver l’infaillibilité de l’Eglise, par des motifs de crédibilité distingués de la révélation : mais ces motifs de crédibilité sont bien foibles, pour ne rien dire de plus : ils ne peuvent être aussi clairs que ces paroles, je suis avec vous jusqu’à la consommation des

siecles ; qui vous écoute m’écoute, &c. textes qui fournissent les seules preuves démonstratives de l’infaillibilité de l’Eglise.

Je ne m’arrête pas à réfuter ceux qui voudroient établir l’autorité de l’Eglise immédiatement sur l’autorité de l’Eglise : le sophisme est manifeste dans cette maniere de raisonner.

Nous allons à-présent résoudre quelques difficultés qu’on peut proposer contre la méthode d’analyser la foi que nous adoptons : les voici.

1°. Notre principe, que ce n’est pas par l’autorité de l’Eglise que nous sommes sûrs de cette proposition, les Ecritures sont vraies & sont la parole de Dieu, semble donner quelque atteinte à ce que les théologiens catholiques ont démontré contre les protestans, que l’Eglise est juge des Ecritures ; à l’usage qu’ils ont fait du mot de S. Augustin : evangelio non crederem, nisi me ecclesiæ catholicæ commoveret autoritas ; & particulierement aux principes que suit M. Bossuet dans sa conférence avec le ministre Claude. Ce prélat soûtient expressément que le fidele baptisé & adulte ne reçoit l’Ecriture que des mains de l’Eglise ; qu’avant de l’avoir ouverte, il est en état de faire un acte de foi de la divinité des Ecritures, conçû en ces termes : je crois que cette Ecriture est la parole de Dieu, comme je crois que Dieu est. D’où il paroît que selon la doctrine de ce prélat dans l’analyse de la foi, la croyance de l’infaillibilité de l’Eglise doit précéder celle de la divinité des Ecritures ; sauf à croire l’infaillibilité de l’Eglise par les motifs de crédibilité.

Je réponds, 1°. Cette question, l’Eglise juge-t-elle des Ecritures ? peut avoir trois sens. 1°. L’Eglise est-elle juge du texte & du sens des Ecritures, dans les dogmes particuliers qui sont ou qui peuvent être controverses ? 2°. L’Eglise est-elle juge du texte des Ecritures, c’est-à-dire de sa vérité & de sa divinité, dans les différentes parties du corps des Ecritures, comme dans les deutéro-canoniques, ou même dans certaines parties des proto-canoniques ? 3°. L’Eglise est-elle juge du corps entier des Ecritures, & de la question générale, les Ecritures canoniques que tous les Chrétiens reçoivent, qui renferment les fondemens mêmes de la religion, l’histoire, la vie, les miracles de J. C. &c. sont-elles vraies, & sont-elles la parole de Dieu ?

Le catholique doit répondre à la premiere question, que l’Eglise est juge du sens des Ecritures dans tous les dogmes controversés, en en exceptant ceux que l’autorité même de l’Eglise suppose vrais & inspirés, comme sa propre infaillibilité, qu’on doit établir sur l’Ecriture, indépendamment de l’autorité de l’Eglise, mais qui une fois crûe par le motif de la révélation, devient pour le Chrétien une regle de foi.

A la seconde, on répondra que l’autorité de l’Eglise évidemment prouvée par des textes fort clairs des livres proto-canoniques que tous les chrétiens admettent, doit être notre regle de foi, pour le discernement des diverses parties de l’Ecriture dont l’authenticité & la divinité peuvent être mises en doute.

A la troisieme question, il faudra dire que la décision n’en doit point être portée au tribunal de l’Eglise, que ce n’est point d’elle que nous recevons cette vérité générale : il y a des Ecritures qui sont la parole de Dieu, & celles que reçoivent tous les Chrétiens ont ce caractere. Un concile ne peut pas s’assembler pour décider que la religion chrétienne est véritable, que l’évangile n’est pas une fable, & que les Ecritures sont divines, comme la religion dont elles sont le fondement.

Que si le concile de Trente, & auparavant le quatrieme concile de Carthage, ont donné le canon des Ecritures, leur décision n’avoit pour objet que les livres deutéro-canoniques ; & leur autorité dans cette même décision étoit fondée sur les Ecritures