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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/3

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point la Nation de ce serment ; d’où il s’ensuit que la race de Hugues Capet a pû légitimement recevoir de cette même Nation une couronne que la race de Charlemagne avoit enlevée aux héritiers légitimes.

Non-seulement, ajoûte l’Auteur, les Papes n’ont aucun pouvoir sur les Empires, ils ne peuvent même, sans la permission des Princes, rien recevoir des sujets, à quelque titre que ce puisse être. Jean XXII. ayant entrepris de faire une levée d’argent sur notre Clergé, Charles-le-Bel s’y opposa d’abord avec vigueur ; mais ensuite le Pape lui ayant donné la dixme des Eglises pendant deux ans, le Roi, pour reconnoître cette condescendance par une autre, lui permit de lever l’argent qu’il vouloit. Les Chroniques de S. Denis, citées par M. du Marsais, racontent cette convention avec la simplicité de ces tems-là : « Le Roi, disent-elles, considérant donnes-m’en, je t’en donrai, octroya au Pape de lever ».

L’Auteur prouve avec la même facilité, par le raisonnement & par l’Histoire, les maximes qui ont rapport à la jurisdiction ecclésiastique des Evêques, & qui font une partie si essentielle de nos Libertés. Selon l’aveu d’un des plus saints Pontifes de l’ancienne Eglise, les Evêques ne tiennent pas leur autorité du Pape, mais de Dieu même : ils n’ont donc pas besoin de recourir au S. Siége pour condamner des erreurs, ni, à plus forte raison, pour des points de discipline. Ils ont droit de juger avant le Pape & après le Pape ; ce n’a été qu’à l’occasion de l’affaire de Jansénius, en 1650, qu’ils se sont adressés à Rome avant que de prononcer eux-mêmes. L’usage des appellations au Pape n’a jamais été reçu en Orient, & ne l’a été que fort tard en Occident. L’Evêque de Rome n’ayant de jurisdiction immédiate que dans son Diocèse, ne peut excommunier ni nos Rois ni leurs Sujets, ni mettre le Royaume en interdit. C’est par les Empereurs, & non par d’autres, que les premiers Conciles généraux ont été convoqués ; & le Pape même n’y a pas toûjours assisté, soit en personne, soit par ses Légats. Ces Conciles ont besoin d’être autorisés, non par l’approbation du Pape, mais par la Puissance séculiere, pour faire exécuter leurs lois. Enfin c’est aux Rois à convoquer les Conciles de leur Nation, & à les dissoudre.

Il faut au reste, comme M. du Marsais l’observe après plusieurs Ecrivains, distinguer avec soin la Cour de Rome, le Pape, & le Saint-Siége : on doit toûjours conserver l’unité avec celui-ci, quoiqu’on puisse desapprouver les sentimens du Pape, & l’ambition de la Cour de Rome. Il est triste, ajoûte-t-il, qu’en France même on n’ait pas toûjours sû faire cette distinction si essentielle ; & que plusieurs Ecclésiastiques, & sur-tout certains Ordres religieux, soient encore secretement attachés parmi nous aux sentimens ultramontains, qui ne sont pas même regardés comme de foi dans les pays d’Inquisition.

M. du Marsais dit à la fin de son Livre, qu’il avoit eu dessein d’y joindre une dissertation historique qui exposât par quels degrés les Papes sont devenus Souverains. Cette matiere, aussi curieuse que délicate, étoit bien digne d’être traitée par un Philosophe qui sans doute auroit sû se garantir également du fiel & de la flaterie ; en avoüant le mal que quelques Papes ont fait pour devenir Princes, il n’auroit pas laissé ignorer le bien que plusieurs ont fait depuis qu’ils le sont devenus : aux entraves funestes que la Philosophie a reçûes par quelques Constitutions apostoliques, il eût opposé la renaissance des Arts en Europe, presqu’uniquement dûe à la magnificence & au goût des souverains Pontifes. Il n’eût pas manqué d’observer qu’aucune liste de Monarques ne présente, à nombre égal, autant d’hommes dignes de l’attention de la postérité. Enfin il se fût conformé sur cette matiere à la maniere de penser du Public, qui malgré sa malignité naturelle, est aujourd’hui trop éclairé sur la Religion, pour faire servir d’argumens contr’elle les scandales donnés par quelques Chefs de l’Eglise. L’indifférence avec laquelle on recevroit maintenant parmi nous une satyre des Papes, est une suite heureuse & nécessaire des progrès de la Philosophie dans ce siecle.

Nous savons, & nous l’apprenons avec regret au Public, que M. du Marsais se proposoit encore de joindre à son Ouvrage l’examen impartial & pacifique d’une querelle importante, qui tient de près à nos Libertés, & que tant d’Ecrivains ont agitée dans ces derniers tems avec plus de chaleur que de logique. L’Auteur, en Philosophe éclairé & en Citoyen sage, avoit réduit toute cette querelle aux questions suivantes, que nous nous bornerons sagement à énoncer, sans entreprendre de les résoudre : Si une société d’hommes qui croit devoir se gouverner à certains égards par des lois indépendantes de la Puissance temporelle, peut exiger que cette Puissance concoure au maintien de ces lois ? Si dans les pays nombreux où l’Eglise ne fait avec l’Etat qu’un même corps, la liberté absolue que les Ministres de la Religion reclament dans l’exercice de leur ministere, ne leur donneroit pas un droit qu’ils sont bien éloignés de prétendre sur les priviléges & sur l’état des Citoyens ? En cas que cet inconvénient fût réel, quel parti les Législateurs devroient prendre pour le prévenir ? ou de mettre au pouvoir spirituel de l’Eglise des bornes qu’elle croira toûjours devoir franchir, ce qui entretiendra dans l’Etat la division & le trouble ; ou de tracer