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claire, on avance les mains du côté de la tête, qui est tournée vers l’ouvrier dans cette manipulation : on serre, on frotte, en un mot on lave cette partie, & tout le reste de la peau, comme la premiere. On rechange d’eau ; cependant les peaux s’égouttent : quand elles sont bien égouttées, on les reporte au cuvier, pour leur donner un dernier lavage, après lequel on les jette l’une après l’autre sur une perche exposée à l’air, où on les laisse pendant quatre heures. Alors elles sont prêtes à passer au confit.

Voici comment vous le préparerez. Vous prendrez pour un cent de peaux d’agneaux propres à faire des fourrures, un bichet de farine moitié seigle & moitié orge, avec quinze livres de sel : vous ferez fondre le sel dans de l’eau, & vous vous servirez de cette eau pour détremper votre farine. Quand elle sera bien délayée, vous y jetterez de plus, pour deux cents d’agneaux, de nouvelle eau, à la quantité en tout de cinq à six seaux, tant de cette eau nouvelle que de l’eau salée : au reste, cela varie selon la force des peaux.

Quand vos peaux seront bien égouttées, pliez-les de la tête à la culée, l’une après l’autre, la laine en-dedans ; que les deux flancs se touchent. Prenez de la main droite une peau par la culée ; tenez-la par la tête de la main gauche : que le dos soit tourné de votre côté. Trempez-la dans le confit ; d’abord d’un côté, ensuite de l’autre, la tournant & la retournant sans déranger vos mains, que vous glisserez seulement le long du dos, pour faire pénétrer la pâte dans la peau.

Quand vous aurez ainsi trempé toutes vos peaux, placez-les dans un cuvier propre, les unes sur les autres, les arrosant de ce qui peut vous rester de pâte. Deshabillez-vous jusqu’à la ceinture ; entrez dans le cuvier, & foulez pendant un quart-d’heure : marchez tout-autour du cuvier ; tâchez d’atteindre le fond avec vos piés ; pressez les peaux de toute votre force. Faites entrer la nourriture dans le cuir ; cela s’appelle renfoncer le confit. Cette manœuvre se réitere deux fois par jour, une fois le matin, une fois le soir, & se continue quinze jours, & quelquefois trois semaines, pendant lesquelles, de deux jours l’un, on jette les peaux sur une planche mise en-travers sur le cuvier, les laissant égoutter pendant la journée : le soir on les remet de dessus la planche dans le cuvier, observant de les tenir posées lâchement les unes sur les autres & comme soulevées, afin qu’elles prennent fausse par-tout.

Ce travail du confit ne se pratique que dans les mois de Mai, Juin, & Juillet, afin d’avoir un tems favorable pour étendre. Si vous voulez vous assûrer que le confit est mûr, c’est l’expression du fourreur, c’est-à-dire si les peaux sont prêtes à étendre, regardez aux flans de la peau du côté de la laine : placez vos doigts sous la peau du côté du cuir ; frottez-la du côté de la laine avec le pouce. Si vous emportez le court-poil, ou si même en avançant vers le milieu du corps, vous faites la même expérience & la même observation, il est tems d’étendre.

Vous choisirez un jour de beau soleil ; sur les trois ou quatre heures du matin, vous tirerez toutes vos peaux du cuvier, & les étendrez sur la planche mise en-travers du cuvier ; elles seront les unes sur les autres, la laine tournée en-dessus ; vous les laisserez égoutter pendant quatre heures : de-là vous les passerez dans quelqu’endroit d’un pré où l’herbe soit courte, & que le soleil échauffe long-tems ; vous les porterez par la culée, & les étendrez sur la laine, observant de tirer à droite & à gauche les deux ventres, & de bien étaler les pattes.

Lorsque le cuir sera sec, vous retournerez les peaux, & vous exposerez la laine en-dessus, ne négligeant pas de les changer de place. Si vous les re-

mettiez au même endroit, l’humidité que la laine auroit laissée sur l’herbe, ne manqueroit pas de rentrer dans les peaux & de les ramollir ; ce qui pourroit les gâter.

Si la pluie survenoit tandis que vos peaux sont étendues, il ne faudroit pas manquer de les relever, & de les porter à couvert sur des perches, la laine tournée en-dessus. On les laisseroit sur les perches jusqu’à ce que la pluie fût passée, & qu’on pût les rétendre sur l’herbe, afin d’achever de les sécher. Il ne faut pas ignorer que si le confit pressoit, c’est à-dire demandoit qu’on tirât les peaux du cuvier, & qu’on ne le fît pas, ou que le tems ne le permît pas, il pourroit arriver que les peaux seroient perdues ; elles lâcheroient la laine. Mais on prévient aisément ces accidens, avec un peu de précaution.

Lorsque votre confit ou vos peaux seront bien seches, il s’agit de les tirer au fer du pelletier.

Pour cet effet, ayez une grosse éponge ; trempez-la dans l’eau ; mouillez toutes vos peaux sur la chair legerement & uniment. Quand elles seront humectées, placez-les chair contre chair, culée contre culée, tête contre tête ; laissez-les ainsi jusqu’au lendemain, ou même deux jours ; elles s’imbiberont de leur eau. Quand elles seront bien soulées d’eau, prenez alors une claie ; placez-la au pié d’une table ; jettez dessus cinq à six peaux ; & les mains appuyées sur la table, foulez-les avec les piés : cette maniere de fouler est particuliere. L’ouvrier rassemble les peaux, il les roule sous le talon de son soulier droit ; il les développe en-arriere, en poussant fortement ; tandis qu’avec le derriere du talon de son soulier gauche, il les frappe, les pressant de la semelle, les tirant, les étendant, les brisant, les corrompant. Après cette manœuvre pratiquée sur toutes les peaux, il s’agit de les tirer au fer de pelletier : nous avons expliqué ci-dessus comment cela se pratiquoit. Quand elles sont tirées au fer, on les étend à l’air, la laine en-dessus : on choisit un beau jour de soleil. Le but de cet étendage est de sécher les peaux, afin d’en faire ensuite sortir la farine, & leur ôter la mauvaise odeur qu’elles ont, ainsi que toutes les autres peaux en poil, qu’il faut par conséquent exposer à l’air, comme les peaux d’agneaux : trois ou quatre heures d’exposition suffiront à celles-ci. Quand elles seront séchées, vous les battrez sur la laine avec la baguette, comme il a été dit ailleurs.

Il ne s’agit plus maintenant que de savoir teindre à froid le poil de toutes sortes d’animaux : c’est le secret des fourreurs ; & c’est ce qu’ils appellent lustrer les peaux.

Pour teindre à froid ou lustrer les peaux, voici les drogues dont il faut se pourvoir.

De noix de galle ; il faut les choisir pesantes, noirâtres, & bien nourries : de verd-de-gris, soit en poudre, soit en pain, mais le plus sec, le moins rempli de taches blanches, & celui dont le verd est le plus beau : d’alun de glace ou d’Angleterre : de couperose d’un beau verd bleuâtre, claire, transparente, en gros morceaux, & bien seche : d’arsenic, en gros morceaux pesans, luisans en-dedans, & blanchâtres en-dehors : de sel ammoniac de Venise, en pains épais de cinq doigts, gris en-dehors, blancs & crystallins en-dedans ; blanc, net, sec, d’un goût acre & pénétrant : d’antimoine à longues aiguilles, brillantes & faciles à casser : de summac. Voyez ces drogues à leurs articles.

Pourvû de ces drogues, ayez les ustensiles suivans.

1°. Un pot de cuivre rouge fait en poire, à deux couvercles ; l’un posé en-dedans sur un rebord, l’autre emboîtant le dessus ou la gorge du pot par-dehors, où il se fixe par deux crochets placés aux cô-