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quelque portion osseuse qui n’a point souffert de division : cela ne se rencontre qu’aux os du crane, des hanches, aux omoplates. Cela peut cependant arriver aux os longs, dans les enfans très-jeunes ou rachitiques ; ou aux adultes, dans le cas des plaies d’armes à feu, qui peuvent écorner un os. Un chirurgien qui donneroit pour preuve de la fracture incomplette une observation dans laquelle le malade, pansé comme d’une contusion considérable, feroit quelque mouvement violent, à la suite duquel la fracture se manifesteroit ; ce chirurgien, dis-je, paroîtroit plûtôt avoir méconnu une fracture complette sans déplacement primitif des pieces osseuses, qu’il ne persuaderoit la fracture totale de l’os, par le mouvement violent qui auroit, selon lui, achevé de rompre les fibres osseuses, que le coup ou la chûte auroient d’abord épargnées.

Les coups, les chûtes, les violens efforts, de quelque nature qu’ils soient, sont les causes les plus ordinaires des fractures. On appelle fractures de cause interne celles qui se font à l’occasion d’une cause très-legere, à cause des dispositions internes qui rendent les os très-fragiles : telles sont la carie, l’exostose, la mollesse, & autres états contre nature, qui dépendent de diverses dépravations de la lymphe & du sang, comme la vérole, le scorbut, le virus écroüelleux, le levain cancereux.

Les signes des fractures sont la douleur, l’impuissance du membre, sa mauvaise configuration, & le craquement des pieces fracturées, connu sous le nom de crépitation. Tous ces signes séparément pris, peuvent être équivoques : la douleur & l’impuissance étant les effets ordinaires de beaucoup d’autres maladies, ne prouvent rien en elles-mêmes. La mauvaise configuration du membre est souvent un vice originaire de conformation ; & l’on sait qu’il y a des fractures sans difformité apparente. Enfin les tumeurs emphysémateuses font ressentir une espece de craquement quand on les presse, & qui pourroit en imposer à ceux qui n’y feroient pas grande attention. Un chirurgien qui demande si la difformité qu’il apperçoit à un membre confronté avec la partie saine, est naturelle, ne peut guere se tromper à la simple vûe sur une fracture simple sans gonflement : il y a même fort peu de cas où cette question ne devînt ridicule. Si la mauvaise configuration du membre n’est pas assez manifeste pour faire appercevoir qu’il y a fracture, on pourra la reconnoître par le moyen du toucher, en sentant les inégalités que font les pieces d’os déplacées. Il faut pour cet effet que le malade soit assujetti par quelqu’un de fort ; de crainte qu’abandonné à lui-même, la douleur ne lui fît faire des mouvemens qui pourroient devenir très-nuisibles. Pour mieux reconnoître les inégalités des pieces fracturées, on choisira les endroits où l’os cassé est le moins couvert de muscles ; & glissant les doigts d’un bout à l’autre, l’on suivra l’une des faces ou des crêtes de l’os dans toute sa longueur. On aura encore attention, afin de ménager la sensibilité, de ne toucher qu’avec beaucoup de douceur & de circonspection les endroits où l’on sent des esquilles ou pointes d’os s’élever & faire tumeur : car en poussant durement les parties sensibles contre les pointes & les tranchans des os, on feroit un supplice d’un examen salutaire. La crépitation ou le bruit que font les bouts de l’os casse, en se froissant l’un l’autre lorsqu’on remue le membre, est un des principaux signes des fractures. Pour faire avec moins de douleur cette épreuve presque toûjours nécessaire, il faut faire tenir fixement la partie supérieure du membre cassé ; afin qu’en remuant doucement la partie inférieure, elle puisse occasionner une legere crépitation : le chirurgien la sent par l’ébranlement que le choc ou le froissement des os fracturés communique à ses

mains. Il n’est pas nécessaire que l’air extérieur soit mû au point d’ébranler les oreilles.

Le prognostic des fractures se tire de leur nature & différences de leurs symptômes, & les accidens qui les compliquent. Les fractures obliques, celles qui sont en flûte, celles où il y a plusieurs pieces éclatées, sont plus fâcheuses que les fractures transversales, non-seulement parce que les pointes & les tranchans des os peuvent blesser les chairs, & en conséquence produire plusieurs accidens, mais encore parce qu’il est plus difficile de contenir ces fractures exactement réduites. Les vices intérieurs qui accompagnent les fractures, les rendent dangereuses, parce que le suc osseux n’a pas toûjours alors les dispositions requises pour la formation du cal. Voyez Calus. Le plus ou moins d’écartement des pieces osseuses, & les différens accidens qui compliquent les fractures, rendent la cure plus ou moins facile.

La cure des fractures consiste premierement à réduire l’os fracturé dans sa situation naturelle ; secondement à l’y retenir, moyennant les appareils convenables ; troisiemement à corriger les accidens, & à prévenir ceux qui pourroient arriver.

La difficulté de réduire les fractures, ne vient que de ce que les bouts de l’os se touchent par les côtés : il faut donc, pour lever cet obstacle, faire des extensions suffisantes. Voyez Extension. Leur degré doit être mesuré sur l’étendue du déplacement, & sur la force des muscles qui tirent les bouts de l’os fracturé, & qui les tiennent éloignés. Les mains seules ne sont pas toûjours suffisantes pour faire les extensions & centre-extensions nécessaires : il faut avoir recours aux laqs appliqués avec méthode. Voyez Laqs. Il y a des cas où un seul aide fait en même tems l’extension & la contre-extension : la fracture de la clavicule en donne un exemple. Le blessé doit être assis sur un tabouret d’une hauteur convenable ; un aide placé par-derriere appuye du genou entre les deux épaules, & tire le moignon de chacune en-arriere. Le chirurgien qui opere travaille pendant ce tems à l’exacte réduction des bouts de l’os. Il faut voir le détail de toutes les manœuvres particulieres pour la réduction de chaque os, dans les livres de l’art, & principalement dans le traité des maladies des os, par M. Petit. Dans toutes les fractures, lorsque les extensions nécessaires sont faites, on travaille à replacer les pieces d’os dans leur situation naturelle : c’est ce qu’on appelle faire la conformation.

La seconde intention, dans la cure des fractures, est de maintenir l’os réduit ; ce qui se fait par l’appareil & par la situation. L’appareil est différent suivant la partie fracturée, & selon l’espece de fracture.

Dans les fractures simples des grands os des extrémités, qui sont la cuisse & la jambe, le bras & l’avant-bras, on applique d’abord sur la partie une compresse simple fendue à deux ou à quatre chefs. Pl. II. Chir. fig. 18 & 15. cette compresse doit être trempée dans une liqueur résolutive, telle que l’eau-de-vie camphrée ; non-seulement pour l’effet du médicament, mais aussi afin qu’elle s’applique plus exactement sur la partie, sans y faire aucun pli. On se sert ensuite d’une bande roulée à un chef, trempée dans la même liqueur : on commence par faire trois tours égaux de cette bande sur le lieu de la fracture, & l’on continue de l’employer en doloires sur la partie en remontant jusqu’à l’attache des muscles qui la font mouvoir. Voyez Doloire. Après cette premiere bande, on en applique une seconde d’une longueur convenable à son usage, qui est de faire d’abord deux circonvolutions égales sur l’endroit fracturé : on continue les circonvolutions jusqu’en bas de la partie fracturée, & l’on remonte vers le haut par des doloires. Les différens tours de bande ne doivent laisser à découvert qu’une quatrieme partie du tour pré-