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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/615

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imagination, lorsqu’il n’a d’autre guide qu’elle dans les recherches de la vérité. En effet, la comparaison proposée entre les modifications ou l’action de la lumiere qui peint les objets sur la rétine & les modifications où l’action du fluide électrique réfléchi des différentes parties du corps sur la semence dans ses reservoirs, pour y imprimer l’esquisse de toutes ces parties ; cette comparaison qui paroît avoir fourni seule le fondement de l’explication dont il s’agit sur la génération, n’auroit-elle pas dû au contraire faire sentir à l’auteur, avec un peu de réflexion, combien une idée aussi singuliere est peu suffisante pour remplir cet objet ? car la lumiere ne donne à aucune portion de matiere la forme des choses sensibles qu’elle représente à l’ame : elle affecte seulement les organes par des impressions de différens degrés de force, qui portent à l’ame l’image de l’objet, non par la ressemblance qu’elles ont avec lui, mais sans laisser aucune trace, & par le seul effet des lois de l’union de l’ame avec le corps, conséquemment auquel effet il est attaché à tel degré d’impression de représenter telle chose, sans qu’il y ait aucun rapport absolu entre cette impression & l’idée qui en résulte. Ainsi les impressions de la lumiere ne produisant aucune modification intrinseque dans les parties qui composent la rétine, si la matiere électrique n’agit sur la semence que comme la lumiere sur cet organe, il ne doit s’ensuivre aucun effet propre à donner à la matiere séminale la disposition nécessaire pour qu’elle acquiere l’organisation. La modification produite dans le lait, pour qu’il s’en forme des toiles, ne suppose qu’une adunation de parties huileuses homogenes, qui surnageant le reste du fluide, se rapprochent avec une certaine force de cohésion, à-mesure que le feu, ou même la seule chaleur de l’été, fait évaporer les parties aqueuses, hétérogenes, intermédiaires. La construction du corps animal est-elle aussi simple que cela ? Peut-on, de bonne foi, trouver quelque ressemblance dans la production de ces différens phénomenes ?

Mais en admettant l’irradiation de la matiere électrique sur la semence, comment peut-on concevoir si celle du mâle en a reçu quelque modification dans ses reservoirs, qu’elle conserve cette modification, malgré les secousses violentes qu’elle a à éprouver dans l’éjaculation qui la divise en plusieurs parties. puisqu’elle est lancée à plusieurs reprises ? Quelle est la portion modifiée, chargée de l’empreinte ? sortira-t-elle entiere ? peut-elle sortir telle ? si elle se partage, que résulte-t-il des deux portions ? s’il en reste une dans le reservoir, quelle confusion pour les nouvelles impressions électriques qui y seront ajoûtées avant une nouvelle éjaculation ? Mais en supposant la semence du mâle déposée dans la matrice avec son empreinte entiere, comment se conservera-t-elle cette empreinte dans le mélange des deux semences ? Si elles reçoivent encore de nouvelles impressions de l’irradiation électrique dans la matrice, à quoi serviront-elles ? qu’ajoûteront-elles aux premieres qui leur soit nécessaire ? Comment conçoit-on que la force plus ou moins grande avec laquelle elles sont produites, pouvant agir indistinctement sur tous les points de l’empreinte, puisse décider de la production particuliere des organes de l’un ou de l’autre sexe ? La différence de cette organisation peut-elle dépendre du plus ou moins de force dans la puissance qui l’opere ?

Enfin, pour abréger & terminer d’une maniere décisive les objections contre ce système singulier, il suffit de demander comment on peut se former l’idée de la formation de l’embryon, d’après des effets qui ne portent que sur la surface des matieres, à modifier pour cette formation qui demande assûrément, quelle que soit la puissance modifiante, des arrange-

mens, des dispositions, des altérations intrinseques,

pour qu’il en résulte une organisation ou un développement de parties déjà organisées.

Le jugement qu’on peut porter en général de ce système, c’est qu’il semble ajoûter à l’obscurité de la matiere qui en est l’objet, dans les ténebres de laquelle se sont égarés de grands génies qui s’y sont plongés, pour tenter de les dissiper ; ensorte que l’auteur de l’idée de l’homme physique & moral, n’a fait que grossir le nombre de ceux qui ont éprouvé un pareil sort, comme feront vraissemblablement encore dans la suite bien d’autres, c’est-à-dire tous ceux qui entreront dans la même carriere.

En fait de recherches physiques, nous ne pouvons marcher & juger de ce qui nous environne, qu’en aveugles, quand nous sommes dénués des secours des sens, comme dans le cas où il est question de sonder la profondeur du mystere de la génération, dont la plûpart des phénomenes ne sont que le résultat de différentes opérations, qui de leur nature se dérobent constamment à la lumiere ; en sorte que de tous les faits qu’on a pû recueillir à cet égard d’après les expériences, les observations les plus nombreuses & faites avec le plus d’exactitude, il n’a pû résulter encore assez de connoissances pour qu’on puisse seulement déterminer en quoi consiste l’acte qu’on appelle la conception, & pour donner une définition précise de ce mot si ancien, dont il seroit si important pour l’histoire naturelle des animaux, & de l’homme sur-tout, de fixer le vrai sens : on a été borné jusqu’à présent à ne pouvoir en donner qu’une idée vague, & à dire avec Boerhaave, que c’est l’action par laquelle ce en quoi le mâle concourt à la reproduction des individus de son espece, se joint à ce que la femelle fournit pour la même opération : de maniere que la réunion de ces différens moyens se faisant dans le corps de la femelle, il en résulte la formation d’un ou de plusieurs des êtres organisés destinés à perpétuer le genre animal. Voilà toute l’idée qu’on a, & peut-être toute celle qu’il est possible d’avoir de la conception. Ce que la femelle éprouve de la part du mâle ; ce qu’il y a de passif dans les changemens qui se font en elle dans l’acte principal efficace de la génération, est appellé la fécondation ; & ce qui s’opere de la part de la femelle dans cet acte, ou par une suite de cet acte, entant qu’elle retient ce que le mâle lui a communiqué d’effectif, est donc proprement la conception, κύησις, conceptio. Mais qu’est-ce que le mâle lui communique essentiellement ? en quoi contribuent-ils précisément l’un & l’autre à la génération ? ont-ils chacun quelque chose de prolifique à fournir ? quel est spécialement l’organe de la femelle où se fait la conception, la fécondation, &c ? Tous ces problèmes sont encore à résoudre, malgré tout ce qui a été écrit sur ce sujet, dont on n’a donné dans cet article, tout long qu’il est, qu’un très-petit abregé, eu égard aux ouvrages immenses ou au-moins très-nombreux, qui ont été mis au jour sur cette matiere ; ouvrages qui n’ont presque servi, & ne serviront encore que de monumens pour l’histoire des erreurs de l’esprit humain, & de preuves de l’obscurité dans laquelle le principe de la vie semble obstiné à rester enveloppé, pour se dérober aux regards des mortels, d’autant que sa connoissance ne leur seroit d’aucune utilité. Voyez le recueil d’une bonne partie des systèmes sur la génération, & de ce qui y a rapport, dans la bibliotheque anatomique de Manget ; les œuvres fort détaillées de Schurigius, sur le même sujet ; la Physiologie de M. de Sénac, sur l’anatomie d’Heister ; les institutions médicales de Boerhaave, avec leur commentaire & les notes savantes de M. de Haller ; la Vénus physique ; l’Histoire naturelle, générale & particuliere de M. de Buffon ; l’ouvrage in-