qu’on regarde ailleurs comme les plus importans à la religion. Plusieurs ne croyent plus la divinité de Jesus-Christ, dont Calvin leur chef étoit si zélé défenseur, & pour laquelle il fit brûler Servet. Quand on leur parle de ce supplice, qui fait quelque tort à la charité & à la modération de leur patriarche, ils n’entreprennent point de le justifier ; ils avouent que Calvin fit une action très-blâmable, & ils se contentent (si c’est un catholique qui leur parle) d’opposer au supplice de Servet cette abominable journée de la S. Barthélemy, que tout bon françois desireroit d’effacer de notre histoire avec son sang, & ce supplice de Jean Hus, que les Catholiques mêmes, disent-ils, n’entreprennent plus de justifier, où l’humanité & la bonne-foi furent également violées, & qui doit couvrir la mémoire de l’empereur Sigismond d’un opprobre éternel.
« Ce n’est pas, dit M. de Voltaire, un petit exemple du progrès de la raison humaine, qu’on ait imprimé à Genève avec l’approbation publique (dans l’essai sur l’histoire universelle du même auteur), que Calvin avoit une ame atroce, aussi-bien qu’un esprit éclairé. Le meurtre de Servet paroît aujourd’hui abominable ». Nous croyons que les éloges dûs à cette noble liberté de penser & d’écrire, sont à partager également entre l’auteur, son siecle, & Genève. Combien de pays où la Philosophie n’a pas fait moins de progrès, mais où la vérité est encore captive, où la raison n’ose élever la voix pour foudroyer ce qu’elle condamne en silence, où même trop d’écrivains pusillanimes, qu’on appelle sages, respectent les préjugés qu’ils pourroient combattre avec autant de décence que de sûreté ?
L’enfer, un des points principaux de notre croyance, n’en est pas un aujourd’hui pour plusieurs ministres de Genève ; ce seroit, selon eux, faire injure à la divinité, d’imaginer que cet Être plein de bonté & de justice, fût capable de punir nos fautes par une éternité de tourmens : ils expliquent le moins mal qu’ils peuvent les passages formels de l’Ecriture qui sont contraires à leur opinion, prétendant qu’il ne faut jamais prendre à la lettre dans les Livres saints, tout ce qui paroît blesser l’humanité & la raison. Ils croyent donc qu’il y a des peines dans une autre vie, mais pour un tems ; ainsi le purgatoire, qui a été une des principales causes de la séparation des Protestans d’avec l’Eglise romaine, est aujourd’hui la seule peine que plusieurs d’entr’eux admettent après la mort : nouveau trait à ajoûter à l’histoire des contradictions humaines.
Pour tout dire en un mot, plusieurs pasteurs de Genève n’ont d’autre religion qu’un socinianisme parfait, rejettant tout ce qu’on appelle mysteres, & s’imaginant que le premier principe d’une religion véritable, est de ne rien proposer à croire qui heurte la raison : aussi quand on les presse sur la nécessité de la révélation, ce dogme si essentiel du Christianisme, plusieurs y substituent le terme d’utilité, qui leur paroît plus doux : en cela s’ils ne sont pas orthodoxes, ils sont au-moins conséquens à leurs principes. Voyez Socinianisme.
Un clergé qui pense ainsi doit être tolérant, & l’est en effet assez pour n’être pas regardé de bon œil par les ministres des autres églises réformées. On peut dire encore, sans prétendre approuver d’ailleurs la religion de Genève, qu’il y a peu de pays où les théologiens & les ecclésiastiques soient plus ennemis de la superstition. Mais en récompense, comme l’intolérance & la superstition ne servent qu’à multiplier les incrédules, on se plaint moins à Genève qu’ailleurs des progrès de l’incrédulité, ce qui ne doit pas surprendre : la religion y est presque réduite à l’adoration d’un seul Dieu, du moins chez presque tout ce qui n’est pas peuple : le respect pour J. C. & pour
les Ecritures, sont peut-être la seule chose qui distingue d’un pur déisme le christianisme de Genève.
Les ecclésiastiques font encore mieux à Genève que d’être tolérans ; ils se renferment uniquement dans leurs fonctions, en donnant les premiers aux citoyens l’exemple de la soûmission aux lois. Le consistoire établi pour veiller sur les mœurs, n’inflige que des peines spirituelles. La grande querelle du sacerdoce & de l’empire, qui dans des siecles d’ignorance a ébranlé la couronne de tant d’empereurs, & qui, comme nous ne le savons que trop, cause des troubles fâcheux dans des siecles plus éclairés, n’est point connue à Genève ; le clergé n’y fait rien sans l’approbation des magistrats.
Le culte est fort simple ; point d’images, point de luminaire, point d’ornemens dans les églises. On vient pourtant de donner à la cathédrale un portail d’assez bon goût ; peut-être parviendra-t-on peu-à-peu à décorer l’intérieur des temples. Où seroit en effet l’inconvénient d’avoir des tableaux & des statues, en avertissant le peuple, si l’on vouloit, de ne leur rendre aucun culte, & de ne les regarder que comme des monumens destinés à retracer d’une maniere frappante & agréable les principaux évenemens de la religion ? Les Arts y gagneroient sans que la superstition en profitât. Nous parlons ici, comme le lecteur doit le sentir, dans les principes des pasteurs génevois, & non dans ceux de l’Eglise catholique.
Le service divin renferme deux choses, les prédications, & le chant. Les prédications se bornent presqu’uniquement à la morale, & n’en valent que mieux. Le chant est d’assez mauvais goût, & les vers françois qu’on chante, plus mauvais encore. Il faut espérer que Genève se réformera sur ces deux points. On vient de placer un orgue dans la cathédrale, & peut-être parviendra-t-on à loüer Dieu en meilleur langage & en meilleure musique. Du reste la vérité nous oblige de dire que l’Être suprème est honoré à Genève avec une décence & un recueillement qu’on ne remarque point dans nos églises.
Nous ne donnerons peut-être pas d’aussi grands articles aux plus vastes monarchies ; mais aux yeux du philosophe la république des abeilles n’est pas moins intéressante que l’histoire des grands empires, & ce n’est peut-être que dans les petits états qu’on peut trouver le modele d’une parfaite administration politique. Si la religion ne nous permet pas de penser que les Génevois ayent efficacement travaillé à leur bonheur dans l’autre monde, la raison nous oblige à croire qu’ils sont à-peu-près aussi heureux qu’on le peut être dans celui-ci :
O fortunatos nimiùm, sua si bona norint ! (O)
GENEVOIS, (le) Géog. petit état entre la France, la Savoie & la Suisse ; il est extrèmement fertile, beau & peuplé. Genève en est la capitale. Voyez ci-devant Genève. (D. J.)
GENEVRETTE, s. f. (Econ. rustiq.) c’est le vin de genievre, dont la boisson est agréable, saine & peu coûteuse. Voyez Genievre. Cette boisson tient lieu de vin aux pauvres, & seroit un bon médicament pour les riches. On fait la genevrette avec six boisseaux de baies de genievre pilées & concassées, que l’on met infuser & fermenter dans cent pintes d’eau pendant trois semaines ou un mois, au bout duquel tems la liqueur est bonne à boire ; mais en vieillissant davantage, elle acquiert encore du goût & de la force : on peut en laisser tomber le marc, & la tirer au clair ; on y mêle aussi quelquefois trois ou quatre poignées d’absynthe. Le journal historique (Avril 1710) enseigne la maniere de faire de bonne genevrette ; mais simplifiez sa maniere, & vous réussirez encore mieux. (D. J.)