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que le diatonique-enharmonique peut l’être, & même l’a été par de bons musiciens ; mais M. le Vens, maître de musique de la métropole de Bordeaux, doute de ce fait dans un ouvrage publié en 1743. « Il est vrai, dit-il, qu’une des parties de symphonie frappe le la ♭ dans le tems que la haute-contre frappe le sol ♯, & ensuite fa avec mi ♯. Si c’est-là en quoi consiste le genre enharmonique, il est très-aisé d’en donner, & toute la musique le deviendra, si l’on veut, puisque tout consistera dans la maniere de la copier. On me dira peut-être que réellement il y a un quart de ton de sol ♯ à la ♭, & de fa à mi ♯ : j’y consens ; mais qu’en résulte-t-il, si les deux partis disent la même chose, à la faveur du tempérament qui a rapproché ces deux notes de si près, qu’elles ne sont plus qu’un seul & même son ; & si l’intervalle du quart de ton existoit réellement, il n’y a point d’oreille assez forte pour résister au tiraillement qu’elle souffriroit dans cet instant » ? Qu’opposer à ce raisonnement ? l’expérience contraire que M. Rameau assure avoir faite, & sur laquelle c’est aux connoisseurs à décider.

L’enharmonique du premier genre, où le quart de ton n’a point lieu, & où il se fait pour ainsi dire sentir sans être entendu, a été employé par M. Rameau avec succès dans le premier monologue du quatrieme acte de Dardanus ; & nous croyons que le mélange de ce genre avec le diatonique & le chromatique, aideroit beaucoup à l’expression, sur-tout dans les morceaux où il faudroit peindre quelque violente agitation de l’ame. Quel effet, par exemple, le genre enharmonique sobrement ménagé & mêlé de chromatique, n’eût-il pas produit dans le fameux monologue d’Armide, où le poëte est si grand & le musicien si foible ; où le cœur d’Armide fait tant de chemin, tandis que Lulli tourne froidement autour de la même modulation, sans s’écarter des routes les plus communes & les plus élémentaires ? Aussi ce monologue est-il tout-à-la-fois une très-bonne leçon de composition pour les commençans, & un très-mauvais modele pour les hommes de génie & de goût. M. Rameau, il est vrai, a entrepris de la défendre contre les coups qui lui ont été portés :

. . . . . . . Si Pergama dextrâ
Defendi possent, etiam hâc defensa fuissent.


Mais en changeant, comme il l’a fait, la basse de Lulli en divers endroits, pour répondre aux plus fortes objections de M. Rousseau, en supposant dans cette basse mille choses sous-entendues qui ne devroient pas l’être, & auxquelles Lulli n’a jamais pensé, il n’a fait que montrer combien les objections étoient solides. D’ailleurs, en se bornant à quelques changemens dans la basse de Lulli, croit-on avoir rechaussé ou pallié la froideur du monologue ? Nous en appellons au propre témoignage de son célebre défenseur. Eût-il fait ainsi chanter Armide ? eût-il fait marcher la basse d’une maniere si pédestre & si triviale ? Qu’il compare ce monologue avec la scene du second acte de Dardanus, & il sentira la différence. Les beautés de Lulli sont à lui, ses fautes viennent de l’état d’enfance où la musique étoit de son tems ; excusons ces fautes, mais avoüons-les.

La scene de Dardanus, que nous venons de citer, vient ici d’autant plus à-propos, qu’elle nous fournit un exemple du genre chromatique employé dans le chant & dans la basse : nous voulons parler de cet endroit,

Et s’il étoit un cœur trop foible, trop sensible,
Dans de funestes nœuds malgré lui retenu,
Pourriez-vous ? &c.


Le chant y procede en montant par semi-tons, ce qui amene nécessairement le demi-ton mineur dans

la mélodie, & par conséquent le chromatique ; la basse fondamentale, au premier vers, descend de tierce mineure de la tonique sol sur la dominante tonique mi, & remonte à la tonique la portant l’accord mineur, laquelle devient ensuite dominante tonique elle-même, c’est-à-dire porte l’accord majeur. Voyez Dominante. Cette dominante tonique remonte à sa tonique , qui dans le second vers descend de tierce mineure sur la dominante tonique si, pour remonter de-là à la tonique mi. Or une marche de basse fondamentale dans laquelle la tonique qui porte l’accord mineur, reste sur le même degré pour devenir dominante tonique, ou dans laquelle la basse descend de tierce d’une tonique sur une dominante, produit nécessairement le chromatique par l’effet de l’harmonie. Voyez Chromatique, & nos élémens de Musique.

Le genre chromatique qui procede par semi-tons en montant, a été employé avec d’autant plus de vérité dans ce morceau, qu’il nous paroît représenter parfaitement les tons de la nature. Un excellent acteur rendroit infailliblement le second & le troisieme vers comme ils sont notés, en élevant sa voix par semi-tons ; & nous remarquerons que si on chantoit cet endroit comme on chante le récitatif italien, sans appuyer sur les sons, sans les filer, à-peu-près comme si on parloit ou on lisoit, en observant seulement d’entonner juste, on n’appercevroit point de différer ce entre le chant de ce morceau & une belle déclamation théatrale : voilà le modele d’un bon récitatif.

Je ne sai, pour le dire en passant, si la méthode de chanter notre récitatif à l’italienne, seroit impraticable sur notre théatre. Dans les récitatifs bien faits, elle n’a point paru choquante à d’excellens connoisseurs devant lesquels j’en ai fait essai ; ils l’ont unanimement préférée à la langueur insipide & insupportable de notre chant de l’opéra, qui devient tous les jours plus traînant, plus froid, & d’un ennui plus mortel. Ce que je crois pouvoir assûrer, c’est que quand le récitatif est bon, cette maniere de le chanter le fait ressembler beaucoup mieux à la déclamation. J’ajoûte, par la même raison, que tout récitatif qui déplaira étant chanté de cette sorte, sera infailliblement mauvais ; ce sera une marque que l’artiste n’aura pas suivi les tons de la nature, qu’il doit avoir toûjours présens. Ainsi un musicien veut-il voir si son récitatif est bon ? qu’il l’essaye en le chantant à l’italienne ; & s’il lui déplaît en cet état, qu’il en fasse un autre. On peut remarquer que les deux vers du monologue d’Armide, que M. Rousseau trouve les moins mal déclamés,

Est ce ainsi que je dois me venger aujourd’hui ?
Ma colere s’éteint quand j’approche de lui,


sont en effet ceux qui, étant récités à l’italienne, auroient moins l’air de chant. Nous prions le lecteur de nous pardonner cette legere digression, dont une partie eût peut-être été mieux placée à Récitatif ; mais on ne sauroit trop se hâter de dire des vérités utiles, & de proposer des vûes qui peuvent contribuer au progrès de l’art. (O)

Genre, (Peinture.) Le mot genre adapté à l’art de la Peinture, sert proprement à distinguer de la classe des peintres d’histoire, ceux qui bornés à certains objets, se font une étude particuliere de les peindre, & une espece de loi de ne représenter que ceux-là : ainsi l’artiste qui ne choisit pour sujet de ses tableaux que des animaux, des fruits, des fleurs ou des paysages, est nommé peintre de genre. Au reste cette modestie forcée ou raisonnée qui engage un artiste à se borner dans ses imitations aux objets qui lui plaisent davantage, ou dans la représentation desquels il trouve plus de facilité, n’est que loüable,